Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°458 (2015-09)

mardi 3 mars 2015

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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JS Bach - Cantate BWV 51

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Un répit au milieu de l'hiver :
Rougegorge et autres petits oiseaux...
Astugue (Hautes-Pyrénées)
du 15 au 22 février 2015


Perché sur une ancienne machine agricole
dimanche 15 février 2015

Rougegorge familier
mardi 17 février 2015

Sur un piquet, par temps gris (!)
mercredi 18 février 2015

Sur la "machine rouge" I
mercredi 18 février 2015

Troglodyte mignon, en contre-jour
jeudi 19 février 2015

Première fleur : une fleur femelle d'un Noisetier
jeudi 19 février 2015

Chatons (fleurs mâles) d'Aulne glutineux
jeudi 19 février 2015

Fleurs mâles du Gui
jeudi 19 février 2015

Chatons et Strobiles (fruits) d'Aulne
jeudi 19 février 2015

Chatons et fleurs femelles (futurs strobiles !) d'Aulne
jeudi 19 février 2015

Chatons de Noisetier
jeudi 19 février 2015

Bouleau
jeudi 19 février 2015

Fougère
jeudi 19 février 2015

Feuille de Chataignier
jeudi 19 février 2015

Bruant jaune
jeudi 19 février 2015

Pinson des arbres femelle
jeudi 19 février 2015

Pinson des arbres mâle
jeudi 19 février 2015


Pinson des arbres femelle
jeudi 19 février 2015

Fruit du Lierre
jeudi 19 février 2015

Lézard des murailles mâle sur une souche calcinée
jeudi 19 février 2015

Feuilles de Lierre
jeudi 19 février 2015

Vol de "moucherons"
jeudi 19 février 2015

Rougegorge chantant
vendredi 20 février 2015

Houx et ses fruits
vendredi 20 février 2015

vendredi 20 février 2015

vendredi 20 février 2015

Fragon petit-houx - Ruscus aculeatus
vendredi 20 février 2015

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Rougegorge
sur une branche

  Astugue (Hautes-Pyrénées)
vendredi 20 février 2015

vendredi 20 février 2015

Milan royal
vendredi 20 février 2015

Bruant jaune
vendredi 20 février 2015

Pinson des arbres mâle
vendredi 20 février 2015

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Pinson des arbres
mâle recherchant sa nourriture au sol

  Astugue (Hautes-Pyrénées)
vendredi 20 février 2015

vendredi 20 février 2015

vendredi 20 février 2015

vendredi 20 février 2015

samedi 21 février 2015

Sur la "machine rouge" II
samedi 21 février 2015

Sous la pluie
samedi 21 février 2015

ça gratte !

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Rougegorge
sous la pluie

  Astugue (Hautes-Pyrénées)
samedi 21 février 2015

Flou !
dimanche 22 février 2015

<image recadrée>
dimanche 22 février 2015


Pour voir d'autres images
de Rougegorge
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(ou sur chaque [numéro])



[numéro 156]


Rougegorge familier
(Astugues, Hautes-Pyrénées).

Texte : La Dernière Harde (Maurice GENEVOIX)

Musique : Canon en ré majeur de JC PACHELBEL

mardi 24
février 2009

[numéro 237]

Rougegorge près du chalet de l'estive... (Arriousec, Hautes-Pyrénées)

Musique et Texte : Renaud - Rougegorge

mardi 12 octobre 2010

[numéro 261]

Premiers signes du Printemps - Lac de Neuchâtel, Yverdon (Vaud, Suisse)

Texte : Le Jardin d'Hyacinthe - Henri BOSCO

Musique : La Follia - Vivaldi

mardi 5 avril 2011

[numéro 305]

Attitudes du Rougegorge familier (Lac de Saint Point et Vaux et Chantegrue, Haut-Doubs)

Texte et Musique : Blue Bird - Charles Bukowski

mardi 14
février 2012
[numéro 391]
(2013 - 42)

Crocus à fleur nue et Rougegorge familier - Astugue, ferme Berdoulets (Hautes-Pyrénées)

Texte : Silence - Comes

Musique :  November Rain - Guns'n Roses

mardi 5 novembre 2013
[numéro 407]
(2014 - 08)


Fin de l'hiver...
Astugue,
Hautes-Pyrénées

Texte : Demain, j'arrête - Gilles LEGARDINIER

Musique :  Hyppolite et Arice "A la Chasse" - JP Rameau

mardi 4 mars 2014
[numéro 439]
(2014 - 40)

Rougegorge familier - Astugue, Hautes-Pyrénées - octobre 2014

Texte :  Le Livre du Roi - Arnaldur Indridasson

Musique : La Damnation de Faust (Invocation à la Nature) - H Berlioz

mardi 21
octobre 2014
[numéro 353]
(2013 - 04)

Bleue et Rouge (Mésange bleue et Rougegorge) - Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)

Texte : Dernières histoires de bêtes (le retour du Maître) - Louis Pergaud

Musique : Danse macabre - Camille Saint-Saëns

mardi 22 janvier 2013

[numéro 320]

Rougegorge et Grèbe huppé (Haut-Doubs et Suisse)

Texte : Cent ans de solitude - Gabriel Garcia MARQUEZ

Musique : Marooned - David Gilmour (Pink Floyd)

mardi 5 juin 2012
[numéro 363]
(2013 - 14)

Printemps timide... - Champ-Pittet, Yverdon (Suisse)

Texte : Les Misérables - Victor HUGO

Musique : 1812 (Ouverture) - Tchaikovsky

mardi 9 avril 2013



Petit texte :

"Il se réveille dans la nuit africaine avec la soudaine impression d'avoir le corps fendu en deux. Ses intestins ont explosé et son sang ruisselle le long de son visage et de sa poitrine.

Epouvanté, il tâtonne le mur, trouve l'interrupteur, tourne le bouton mais la lampe ne s'allume pas. L'électricité a encore été coupée, constate-t-il. Il passe sa main sous le lit, attrape une lampe de poche. Les piles sont mortes. Rien à faire, il restera dans le noir.

Non, ce n'est pas du sang, s'efforce-t-il de penser. J'ai une crise de paludisme et c'est la transpiration qui suinte de mon corps. La fièvre me fait faire des cauchemars. Le temps et l'espace se disloquent, je ne sais pas où je suis, je ne sais même pas si je suis encore en vie...

Des insectes, attirés par l'humidité que sécrètent ses pores, envahissent son visage. Il lui faut se lever, aller chercher une serviette. Mais il sait que ses jambes ne le porteront pas et qu'il sera obligé de se déplacer en rampant. Et peut-être n'aura-t-il pas la force de regagner son lit. Si je meurs, se dit-il, je veux au moins être couché dans mon lit.

Une nouvelle poussée de fièvre s'annonce.

Je ne veux pas mourir par terre, nu, le visage plein de cafards.

Il serre le drap humide entre ses doigts et se prépare à subir un accès de fièvre qui sera encore plus violent que les précédents. D'une voix faible, à peine audible, il appelle Luka, mais dehors il n'y a que le chant des cigales et le silence de la nuit africaine.

Luka est peut-être assis devant ma porte, se dit-il avec angoisse. Il est peut-être là à attendre ma mort.

Une tempête foudroyante soulève des vagues de fièvre qui s'emparent de son corps. Sa tête brûle, comme si des milliers d'insectes perçaient son front. Lentement il sombre dans des passages souterrains où il voit surgir des visages déformés par le cauchemar. Il perd connaissance.

Il ne faut pas que je meure maintenant, se dit-il en serrant fort le drap entre ses mains.

Mais la maladie est plus forte que sa volonté. La réalité se découpe en tronçons impossibles à remettre bout à bout. Il se retrouve soudain sur le siège arrière d'une vieille Saab lancée à l'aveuglette à travers les immenses forêts du nord de la Suède. Qui est au volant ? Il ne voit qu'un dos noir, un corps sans cou et sans tête.

C'est la fièvre, se répète-t-il. Je dois garder à l'esprit que toutes ces horreurs sont dues à la fièvre.

Tout d'un coup, il se met à neiger dans sa chambre. De gros flocons blancs tombent sur son visage et il fait soudain très froid.

Tiens, il neige en Afrique. C'est étrange, ça n'arrive jamais. Il faut que je trouve une pelle. Il faut que je me lève pour aller déblayer sinon je vais être enseveli.

Il appelle de nouveau Luka. Toujours en vain. Si je survis à cette crise, je le vire, essaie-t-il de se consoler.

Des bandits, poursuit-il confusément. Ce sont eux qui ont coupé les fils électriques.

Il tend l'oreille. Quelqu'un se déplace discrètement de l'autre côté du mur. Il prend son revolver sous l'oreiller, s'oblige à s'asseoir, dirige l'arme vers la porte d'entrée en la tenant des deux mains. Avec un désespoir grandissant il se rend compte qu'il n'aura pas la force d'appuyer sur la détente.

Je vais virer Luka. C'est lui qui a coupé les fils, c'est lui qui a fait venir les bandits. Il faut que je pense à le virer dès demain.

Les flocons de neige continuent à tomber, il essaie d'en attraper quelques-uns avec la bouche du canon de son revolver mais ils fondent à vue d'oeil.

Mes chaussures ! Il me faut mes chaussures, sinon je vais crever de froid.

En déployant un effort surhumain, il s'agrippe au bord de son lit et se penche sur le côté à la recherche de ses chaussures mais il ne trouve que la lampe de poche inutilisable.

Les bandits ont volé mes chaussures, murmure-t-il, épuisé. Ils sont entrés pendant mon sommeil. Ils sont peut-être encore là...

Il tire un coup de revolver au hasard, le recul le pousse violemment en arrière contre les coussins. Le bruit résonne dans l'obscurité.

Il éprouve soudain un grand calme, presque une certaine satisfaction.

C'est Luka qui a tout manigancé. Il a comploté avec les bandits et c'est lui qui a coupé les fils électriques. Maintenant que je l'ai démasqué, il n'a plus de pouvoir. Je vais le mettre à la porte. Je vais le chasser de la ferme.

Ils ne m'auront pas. Je suis plus fort qu'eux.

Les insectes continuent à percer des trous dans son front et il est épuisé. L'aube est-elle encore loin ? Il faut qu'il dorme. Les crises de paludisme se succèdent et sont la cause de tous ces cauchemars.

Je dois arriver à faire la différence entre mon imagination et la réalité. Il ne neige pas et je ne suis pas assis sur le siège arrière d'une vieille Saab qui fonce à travers les forêts suédoises. Je suis en Afrique. Pas dans le Härjedalen. Et ça depuis dix-huit ans. C'est la fièvre qui me brouille l'esprit et qui fait ressurgir mes vieux souvenirs, c'est à cause d'elle que je confonds le passé et le présent. Il faut que j'arrive à faire la part des choses.

Les souvenirs sont des objets morts qui doivent être conservés au frais et en lieu sûr. La réalité exige que je reste lucide mais la fièvre dérègle mon orientation interne. Il faut que je garde ça en tête. Je suis en Afrique depuis maintenant dix-huit ans. Ce n'était pas prévu, mais c'est ainsi.

Je ne compte plus mes crises de paludisme. Elles sont parfois d'une violence extrême -comme aujourd'hui-, parfois elles ne sont qu'une ombre légère qui passe furtivement sur mon visage. La fièvre me tend des pièges, elle m'égare, elle arrive à provoquer une chute de neige alors qu'il fait plus de trente degrés. Je suis toujours en Afrique. Je suis ici depuis le jour où j'ai débarqué à l'aéroport de Lusaka. J'étais venu pour quelques semaines, mais mon séjour s'est prolongé. Voilà la vérité. Et la neige n'en fait pas partie.

Sa respiration est courte et saccadée, la fièvre danse dans son corps et l'entraîne vers le point de départ, vers ce matin, il y a dix-huit ans, où il a senti la chaleur du soleil africain sur sa peau pour la première fois.

Un moment de lucidité surgit à travers les brumes de la fièvre. Il passe sa main sur son visage pour chasser un gros cafard qui chatouille sa narine avec ses antennes et il se revoit subitement dans l'ouverture de la porte de l'avion. Il est là, debout en haut de la passerelle qui vient d'être installée.

Sa première impression de l'Afrique est la puissance du soleil qui rend le tarmac aveuglant. Puis une odeur légèrement amère, celle d'une épice inconnue ou d'un feu de charbon de bois.

C'était exactement ça, se dit-il. Jusqu'à la fin de ma vie, je me rappellerai ce moment alors que tant d'autres événements survenus depuis se sont effacés de ma mémoire. Je me suis habitué à l'Afrique. Je sais que je n'aurai plus jamais l'esprit tranquille en pensant à ce continent meurtri et blessé... Moi, Hans Olofson, je me suis fait à l'idée que je n'arriverai jamais à comprendre plus qu'une infime partie de ce continent. Mais malgré ce handicap, j'ai persévéré. Je suis resté. J'ai appris l'une des nombreuses langues du pays et je suis devenu le patron de plus de deux cents Africains.

J'ai appris à supporter l'étrange condition d'être à la fois aimé et haï. Tous les jours, je me trouve en face de deux cents Noirs qui veulent m'assassiner, me trancher la gorge, dévorer mon coeur.

Au bout de dix-huit ans, je m'étonne toujours de me réveiller le matin et d'être encore en vie. Tous les soirs je vérifie mon revolver, je fais tourner le barillet pour m'assurer que personne n'a remplacé les cartouches par des douilles vides.

Moi, Hans Olofson, j'ai appris à supporter la plus grande des solitudes. Jamais auparavant je n'ai eu autour de moi autant d'êtres qui demandent mon attention, attendent mes décisions tout en me guettant dans l'obscurité et en me surveillant de leurs yeux invisibles.

Mon souvenir le plus net est celui où je suis descendu de l'avion à l'Aéroport international de Lusaka il y a dix-huit ans. Je puise force et courage dans cet instant et j'y reviens sans cesse. Mes intentions et mes projets étaient alors encore clairs...

Aujourd'hui, ma vie n'est plus qu'une errance à travers des jours teintés d'irréalité. La vie que je mène ici n'est ni la mienne, ni celle d'un autre. Je réussis autant que je rate ce que je décide d'accomplir.

Je suis constamment étonné par ce qui s'est passé. Qu'est-ce qui m'a conduit ici ? Qu'est-ce qui m'a fait entreprendre ce long voyage d'une Suède recouverte de neige vers une Afrique qui ne m'a jamais demandé de venir ? Je n'arrive pas à comprendre la manière dont ma vie s'est déroulée.

Ce qui m'intrigue le plus, c'est que je suis ici depuis dix-huit ans. J'avais vingt-cinq ans quand j'ai quitté la Suède, à présent j'en ai quarante-trois. Mes cheveux sont gris depuis longtemps déjà, ma barbe que je n'ai jamais eu le courage de raser est toute blanche. J'ai perdu trois dents, deux en bas, une en haut. Il manque une phalange à mon annulaire droit. Par périodes, je souffre de douleurs aux reins. Je retire régulièrement des vers blancs qui se nichent sous la peau de mes pieds. Les premières années, je me servais d'une pince à épiler stérilisée et de ciseaux à ongles pour les enlever. Aujourd'hui je prends ce que j'ai sous la main, un clou rouillé ou autre chose, et je creuse mes talons pour retirer les parasites.

Parfois j'essaie de considérer toutes ces années en Afrique comme une parenthèse dans ma vie. Je finirai peut-être par me rendre compte qu'elles n'ont jamais existé autrement que dans un rêve délirant. Je me réveillerai peut-être le jour où je parviendrai enfin à m'en aller d'ici. Et cette parenthèse s'effacera, forcément...

La fièvre projette Hans Olofson contre des récifs invisibles qui déchirent son corps. Pendant de brefs instants, la tempête se calme et il se sent transformé en un bloc de glace ballotté par les flots. Mais au moment où le froid menace d'atteindre son coeur, la tempête forcit et la fièvre le pousse de nouveau contre les récifs bouillonnants.

Dans ses rêves agités où ses démons font rage, il revient sans cesse au jour de son arrivée en Afrique, au soleil blanc, au long voyage qui l'a conduit à Kalulushi et à cette nuit, il y a dix-huit ans.

L'accès de fièvre se tient devant lui, sous la forme d'un être malveillant sans cou et sans tête. Il serre désespérément son revolver dans sa main comme si celui-ci constituait son salut ultime.

Les crises de paludisme vont et viennent.

Hans Olofson, qui a grandi dans une misérable maison en bois sur les bords du Ljusnan, tremble et frissonne sous ses draps mouillés.

Le passé qui se dégage de ses rêves reflète une histoire qu'il espère encore réussir un jour à comprendre...

La bourrasque de neige le ramène à son enfance.

Au coeur de l'hiver 1956. Il est quatre heures du matin et le froid couine dans les poutres de la vieille maison. Ce n'est pas ce bruit qui le réveille, mais les raclements et les murmures venant de la cuisine. Son père est de nouveau en train de lessiver le plancher. Vêtu d'un pyjama bleu taché de tabac à priser et des grosses chaussettes aux pieds déjà trempées par l'eau qu'il déverse avec rage, il chasse ses démons dans la nuit hivernale. Pendant que l'eau chauffait sur la cuisinière, il est sorti dans le froid à moitié nu pour enchaîner les deux chiens à l'abri à bois.

Et à présent il frotte. Il attaque furieusement la crasse qu'il est le seul à voir. Il jette de l'eau bouillante sur les toiles d'araignées qui se forment sous ses yeux, il lance un seau dans la hotte de la cuisinière persuadé qu'un noeud de vipères s'y cache.

Hans Olofson est là, allongé dans son lit. Le gamin de douze ans a remonté sa couverture jusqu'au menton et écoute la scène. Il n'a pas besoin de se lever et de traverser sa chambre glacée sur la pointe des pieds pour aller regarder, il sait. A travers la porte, il entend le grommellement de son père, son rire nerveux, sa colère désespérée.

C'est toujours la nuit que ça se produit.

La première fois, il avait cinq ou six ans. Il s'était levé et, dans la pâle lumière de la lampe recouverte de buée, il avait vu son père patauger dans l'eau savonneuse, ses cheveux bruns ébouriffés, et il avait compris, sans le formuler en mots, qu'il était lui-même devenu invisible. Son père avait à l'esprit d'autres images quand il se démenait avec la brosse. Lui seul les voyait. Pour le fils, c'était encore plus effrayant que si son père avait brandi une hache au-dessus de sa tête.

Quand il est là dans sa chambre à écouter, il sait que les jours qui suivront seront calmes. Son père restera quelque temps dans son lit avant d'enfiler de nouveau ses vêtements de travail pour retourner dans la forêt où il abat des arbres pour Iggesund ou Marma Långrör.

Jamais le père et le fils n'évoqueront ce nettoyage nocturne. Pour le garçon, cette vision s'éloignera comme un mauvais rêve jusqu'à la prochaine fois où il sera réveillé par la chasse aux démons de son père.

Mais, à présent, nous sommes en février 1956. Hans Olofson a douze ans. Dans quelques heures il va s'habiller, avaler quelques tranches de pain, prendre son sac à dos et sortir dans le froid hivernal pour se rendre à l'école.

L'obscurité de la nuit est une personne ambiguë, à la fois amie et ennemie. C'est elle qui fait remonter à la surface les cauchemars et les terreurs. C'est elle qui transforme les poutres tourmentées par le froid en mains menaçantes. Mais l'obscurité est aussi amicale puisque c'est sous sa protection qu'il peut élaborer ses rêves et échafauder ce qu'on appelle l'avenir.

Il va quitter définitivement cette vieille maison isolée au bord du fleuve, il va traverser le pont, disparaître sous ses travées pour parcourir le monde. Enfin, pour commencer, il ira dans le l'Orsa Finnmark.

Pourquoi suis-je moi ? se demande-t-il.

Moi et pas quelqu'un d'autre ?

Il se rappelle très bien la première fois que cette pensée a pris forme dans sa tête.

C'était une belle soirée d'été. Il avait joué dans la briqueterie désaffectée, derrière l'hôpital. Lui et ses copains s'étaient divisés en deux groupes : les amis et les ennemis, sans donner d'autres précisions. A tour de rôle, ils attaquaient et défendaient le bâtiment partiellement effondré. Ils avaient pris l'habitude de jouer là, non seulement parce que c'était interdit mais aussi parce que cette ruine leur offrait un décor modifiable à l'infini. La bâtisse, ayant perdu son identité, changeait constamment d'aspect à travers leurs jeux. Les gens qui y avaient travaillé n'étaient plus là pour la défendre et les enfants étaient devenus les maîtres des lieux. Il arrivait qu'un parent en colère vienne arracher son enfant de cet endroit dangereux, mais c'était rare. Il y avait des puits dans lesquels ils risquaient de tomber, des échelles pourries qui menaçaient de se casser, de lourdes portes rouillées qui n'attendaient qu'à écraser leurs mains et leurs jambes. Mais les enfants étaient conscients des dangers et les évitaient. Ils avaient repéré les chemins les plus sûrs dans le bâtiment gigantesque.

Et c'était là, dans cette douce soirée d'été, caché derrière un vieux four en attendant que ses amis le trouvent, qu'il s'était demandé pour la première fois pourquoi il était lui et pas quelqu'un d'autre. L'idée l'avait à la fois excité et bouleversé. Comme si un inconnu s'était introduit dans sa tête et lui avait chuchoté le mot de passe qui permettait d'accéder à l'avenir. Toutes ses réflexions, l'idée même de réfléchir, venaient de cet inconnu qui lui délivrait son message dans sa tête avant de disparaître.

Ce soir-là, il avait discrètement quitté les autres pour descendre au bord du fleuve en passant parmi les pins qui entouraient la briqueterie abandonnée.

La forêt était calme. Les nuées de moustiques n'avaient pas encore envahi la bourgade située dans une boucle que le fleuve avait formée dans sa longue descente vers la mer. Une corneille hurlait sa solitude du haut d'un pin tordu avant de s'envoler au-dessus de la crête de la colline, à l'endroit où le chemin de Hede serpentait vers l'ouest. La mousse était douce et souple sous ses pieds. Il avait abandonné le jeu et, pendant qu'il marchait vers le fleuve, son existence avait basculé. Tant qu'il n'était pas conscient de sa propre identité, tant qu'il n'était qu'un parmi les autres, il était immortel. C'est là le privilège de l'enfant. Le sens même de l'enfance. Or, lorsque cette question inconnue avait surgi dans sa tête -pourquoi je suis moi ? -, il était devenu un être spécifique et donc mortel. A présent, sa décision était prise : il était lui et ne serait jamais quelqu'un d'autre. Il avait compris l'inutilité de se dérober. Il avait une vie devant lui, une seule, et, tout au long de cette vie, il serait lui..."

Henning MANKELL - L'Oeil du Léopard



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