Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°353 (2013-04)

Mardi 22 janvier 2013

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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  Camille Saint-Saens -
Danse macabre

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Bleue et Rouge...
Mésange bleue et Rougegorge
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)
lundi 31 décembre 2012

La mésange bleue,
sur la branche familière
ne se soucie
ni d'avant
ni d'après
La vie pour elle
suit un cours ordinaire ...
Boule de plumes duveteuses
inoffensive armure
Dame nature
a choisi pour toi
la beauté d'une bien fragile parure.
Vis donc ainsi
innocente créature
ce que tu donnes à voir
charme nos yeux
apaise notre coeur
éclaire d'une douce lueur
le triste jour.

Dzovinar





Petit texte :

"C'était l'hiver sur la plaine et sur la forêt. La neige glacée couvrait partout le sol. Depuis trois semaines pourtant, elle ne tombait plus, mais le gel qui l'avait cristallisée en paillettes luisantes d'une finesse merveilleuse l'avait rendue plus subtile encore et plus traîtresse. Pas un abri n'échappait à son assaut ; son emprise fluante et légère s'étendait aux recoins les mieux défendus et, selon le caprice des bises de décembre qui se plaisent à mener aux carrefours des chemins et aux croisements des tranchées forestières leurs bals blancs, le tourbillonnement gracieux des papillons immaculés s'élevait et s'abaissait, recouvrant, au fur et à mesure de leur apparition, les traces mouvantes des passages frayés.

Les nuits se succédaient, tantôt assombries par les troupeaux de nuées couleur d'encre à qui le couchant certains soirs semblait ouvrir des portes de sang et qui erraient désolées par le ciel, tantôt illuminées de fantastiques clairs de lune dont les rayons dessinaient au pied des arbres solitaires et dans les vergers dénudés des silhouettes menaçantes d'ombres immobiles et difformes.

Et les bêtes des bois avaient faim. Les renards, dont les fourrures épaisses dissimulaient la maigreur, se réunissaient, de soir en soir plus nombreux, au centre d'une clairière rocheuse et les jeunes qui, naguère, durant l'assemblée des adultes, jouaient à se pincer les pattes et à se mordiller le cou, avaient perdu leur bel entrain. Immobiles, assis sur le derrière, la queue largement étalée, ils regardaient les vieux goupils et leurs compagnes dont les yeux inquiets et les museaux plus pointus encore que d'ordinaire disaient l'angoisse croissante. Les plus madrés compères s'étaient aventurés vers le soir aux lisières des bois, scrutant l'horizon et humant le vent et nul n'avait découvert, dans les rafales de froidure qui fouettaient les muqueuses surexcitées de leurs narines, la direction de la charogne nourricière exposée peut-être quelque part au loin et vers laquelle la tribu pérégrinerait à travers le silence de la nuit. La ventrée hebdomadaire payait à peine les audacieux qui se hasardaient, sous les regards des fenêtres des hommes, à aller arracher quelque quartier glacé à l'appât qu'on avait installé à leur intention. Les lièvres méfiants, les oreilles perpétuellement tendues, sursautaient dans leurs gîtes au moindre choc, au plus léger froissement. Messire Tasson, le blaireau au fond de son terrier, couché en rond, dormait son pesant sommeil hivernal ; les martres descendaient de leurs pins vers les arbres de la vallée, tandis que leurs cousines les fouines, installées dans les chaumes des toitures ou dans les gerbiers des granges paysannes, vivaient au jour le jour de menues rapines sanglantes souvent payées de leur vie.

Une tribu sédentaire de corbeaux, quelques familles de pies, deux ou trois nitées de geais, plus attachés que les autres à leurs forêts natales, erraient de bosquet en bosquet, de canton en canton, se posant sur les branches nues pour pousser d'heure en heure un cri de détresse auquel tous et toutes répondaient invariablement.

Il semblait que les bêtes sauvages, les oiseaux comme les autres, n'ayant plus rien à attendre de la terre, et à bout de force ou de courage, n'eussent plus eu qu'à se laisser périr et que les temps étaient venus. Pourtant il n'en était rien et chaque soir, aux lisières sombres des bois, à l'ouverture des tranchées surélargies, aux brèches de mur des enclos et dans l'ombre des haies, on pouvait voir des solitaires à longues oreilles ou à queue traînante tendre vers le village un museau inquiet, gratter de-ci, fouiller de-là, et se rapprocher insensiblement des maisons.

La lune commençait à décliner quand ce régime de froidure et de faim avait commencé et, depuis, une nouvelle lune avait montré sa corne dans les brouillards du couchant et elle avait grandi peu à peu sans que rien ne fût modifié dans ce terrible état de siège que la bise, la neige et la faim, les trois alliées sinistres avaient proclamé sur les bois.

L'heure s'assombrissait de plus en plus et l'homme lui-même, maté par le gel et par la tempête, subissait cette sorte de trêve du froid durant laquelle, abrité dans les maisons, il dédaignait de guetter les minables sauvages qui rôdaient au large des villages.

Quelques journées plus grises encore ajoutèrent leurs heures de jeûnes et de souffrances à celle déjà écoulées et la grande détresse qui étreignait le peuple des champs et des forêts éteignit peu à peu chez tous la crainte formidable de l'homme. Ce fut autour des agglomérations la sarabande de la faim. Chaque nuit, plusieurs grands cercles, échelonnés selon l'audace et la vigueur des assiégeants, se resserraient progressivement sur le village et un blocus rigoureux ne laissait rien échapper des odeurs et des reliefs que les humains pouvaient abandonner à la voracité grondant dans les entrailles des noctambules errants.

Plusieurs nuits il en fut ainsi, et les lièvres aux jarrets amincis ne semblaient plus redouter les renards aux pattes chancelantes, et ces derniers paraissaient être devenus insensibles au tonnerre des fusils villageois, et les corbeaux, les geais et les pies avaient comme perdu conscience de l'hostilité foudroyante des maisons, car dès les premières lueurs du jour, ils venaient se percher sur les pommiers et les noyers des enclos. Tous semblaient vivre d'une existence végétative et morne, nourris d'errance et de vent, et leurs sillages, leurs cris et leurs appels se mêlaient lugubrement sous la lune.

Un soir, tout mouvement cessa. Sur le linceul de neige de la campagne, un linceul de silence sembla se poser. La forêt resta muette, telle une citadelle abandonnée. Aucun sillage, aucun bruit n'en sortit; nul museau chafouin ne se montra sous des rameaux surbaissés; nulle oreille allongée ne pointa aux brèches de mur des lisières. Et la voix des chiens s'était comme étranglée dans leurs gorges.

Rien pourtant n'était apparu, sauf une trace, une traînée banale de pas de bête qui se perdait dans la campagne.

Est-ce que la forêt était endormie ; est-ce que ses habitants avaient péri ?

Nulle cause ne semblait justifier cette transformation extérieure profonde et ce bouleversement d'habitudes. Et pourtant, il avait dû se passer quelque chose, quelque chose de nouveau, d'inconnu, de mystérieux et de terrible !

Le soir tombait sanglant sur la campagne blanche. Et puis ce fut la nuit étoilée dans laquelle la pleine lune peu à peu monta. Une grande torpeur glacée pesait sur le canton; dans les profondeurs de l'horizon, la bise, en courant sur les paillettes de neige, soulevait comme des sillons d'une écume diaphane. Rien ne bougeait par la campagne et le long des maisons, les chiens de garde, qui d'habitude aboyaient rageusement à la lune, grattaient aux portes avec frénésie et cherchaient coûte que coûte à se réfugier le plus près possible de leurs maîtres.

Alors au coeur de la nuit, au fond de la plaine triste et déserte, longuement retentit le hurlement lugubre et désolé d'un loup... ; et un autre lui répondit au loin... et puis un autre encore et ce fut bientôt, sur toute la campagne, le grand concert tragique des vieilles nuits d'antan.

Dans ses antiques domaines d'où l'avait expulsé l'homme, le maître était revenu et son retour proclamait sur ceux des bois, des champs et des maisons le régime implacable et illimité de la terreur."

Louis Pergaud - Dernières histoires de bêtes



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