Eivør Pálsdóttir - Tròdlabùndin
(Trøllabundin)

Petites bêtes du printemps

Courvières (Haut-Doubs)
avril et mai 2020

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 11 avril 2020

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 12 avril 2020

Petite Tortue
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 13 avril 2020

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 13 avril 2020

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 13 avril 2020

Portrait d'un Grillon
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 13 avril 2020

Cloportes
Courvières (Haut-Doubs)
mardi 14 avril 2020

Courvières (Haut-Doubs)
mardi 14 avril 2020

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 18 avril 2020

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 18 avril 2020

Cuivré commun
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 18 avril 2020

Pholcus et sa proie
Courvières (Haut-Doubs)
mercredi 22 avril 2020

<image recadrée>

Tégénaire
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 25 avril 2020

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 3 mai 2020

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 3 mai 2020

Oeil
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 3 mai 2020

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 3 mai 2020

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 9 mai 2020

Araignée-crabe mangeant une Pisaure
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 9 mai 2020

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 10 mai 2020

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 16 mai 2020

Suggestion de lecture :

ELIZABETH, ETAT DU NEW JERSEY

17 avril 1975

Il était un peu plus de minuit dans la salle de naissance 4C et l'obstétricien qui présidait à l'accouchement, le moustachu docteur Sherman, transpirant légèrement dans son slip en coton, se préparait, les mains tendues comme un mendiant, à la sortie imminente du crâne.

D'un seul coup, il se retrouva dans le noir complet.

Malgré ses trentes années de pratique de la mise au monde, le docteur fut violemment déstabilisé par sa brusque cécité et se demanda même s'il ne venait pas de trépasser, avant de décider que non. Cherchant un repère, il pivota pour tenter d'apercevoir les lettres lumineuses indiquant la sortie de secours, mais elles aussi avaient disparu.

• Docteur ? appela l'infirmière à côté de lui.

• La sortie ! siffla-t-il dans l'obscurité.

Au même moment, dans tout l'hôpital, les patients comme le personnel cédaient à la panique, les respirateurs artificiels ayant rendu l'âme, les chirurgiens se retrouvant à tenir au creux de leur main des coeurs battants dans le théâtre obscur des salles d'opération. Aucun des systèmes de secours – ni les deux générateurs au sous-sol, ni les gigantesques batteries de l'unité de soins intensifs -, à priori si fiables lors des pannes de courant, ne paraissaient fonctionner. L'électricité s'était tout bonnement évanouie. Une catastrophe se dessinait.

Dans la salle ne naissance 4C, le docteur Sherman fut tiré de son inertie par Charlene, la future mère, qui, d'un juron énorme, viscéral, informa la compagnie, de manière on ne peut plus claire, que le bébé, était toujours en chemin. Peut-être même était-il déjà arrivé, derrière ce rideau d'obscurité. D'instinct le docteur Sherman tendit les mains et sentit, en effet, le sommet conique du crâne de l'enfant émergeant du sexe de sa mère. Du bout de ses dix doigts, il accompagna vers l'extérieur cette tête invisible, la tira délicatement et la tourna pour la remettre, avec le cou, dans l'alignement supposé des épaules. Il tira et tourna sans y voir goutte, guidé seulement par le souvenir du geste infusé dans les synapses de son cortex, aveugle, sur le fil entre éveil et rêve.

Alors qu'il s'employait à extraire l'enfant des profondeurs humides du ventre où il était pelotonné pour le faire pénétrer dans une autre obscurité, le docteur Sherman entendit un cliquetis. Il crut d'abord que le son provenait du canal pelvien de la mère, puis il localisa son origine juste derrière lui, au-dessus de son épaule droite. Une lumière ambrée baigna soudain son champ de vision. Le père du nouveau-né, Kermin Radmanovic, qui, un peu plus tôt, avait apporté dans la salle un émetteur radio et une clé télégraphique pour annoncer au monde la naissance de son fils, pointait le faisceau d'une lampe de poche enveloppée de papier d'aluminium sur l'entrejambe de sa femme.

• Il va bien ? demanda Kermin. Il sort, maintenant ?

Il avait un vague accent slave qui faisait rouler les mots contre sa luette comme l'eau calme d'un lac au frôlement d'une nageoire.

Tout le monde se tourna vers l'espace que le halo de la lampe détachait de l'obscurité. La tête du bébé, semblable à une torpille, étincelait dans la lumière, couverte d'une substance blanche et cireuse. Aiguillonné par cette vision, le docteur Sherman se remit à l'oeuvre. Il commença par glisser un doigt sous le menton de l'enfant, s'assurant qu'il n'avait pas le cordon ombilical enroulé autour du coup, puis il cria :

• Poussez !

Charlene, crispant les orteils, fit de son mieux pour expulser tout le contenu de son abdomen, et quand elle crut avoir atteint, puis dépassé, puis de nouveau atteint le point de rupture, un petit bruit se fit entendre, comme un bouchon qui saute, et le reste du bébé déboula dans le monde, son corps d'étoile de mer se déployant sous la lueur moutarde de la lampe.

Kermin se pencha pour découvrir son fils. Lorsque sa femme, clopinant lourdement, était venue le trouver dans le placard qui lui servait d'atelier d'électronique et qu'il avait vu sa main trempée, dégoulinante, qu'elle tenait devant elle et contemplait comme une excroissance monstrueuse, le temps avait commencé à se détricoter. Elle perdait les eaux avec trois semaines d'avance. Les mains de Kermin, si sûres quand il réparait ses radios et ses téléviseurs, changeant avec dextérité anodes grillées et diodes cramées, étaient soudain devenues gauches et le bout de ses doigts insensible, comme empli d'une sève épaisse et visqueuse. Sur le parking de l'hôpital, il avait fait escalader le trottoir à la vieille Buick, fonçant dans un massif en demi-lune qui avait très mal supporté cet outrage.

En passant la porte à tambour avec Charlene emmitouflée dans une couverture, il s'était retourné vers les buissons écrasés, faiblement éclairés par les néons vacillants du parking, et s'était demandé à cet instant s'ils ne s'apprêtaient pas à introduire de manière prématurée le futur dans le présent..."