Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°516 (2016-16)

mardi 19 avril 2016

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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2Cellos - Whole Lotta Love

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et la musique originale :

Led Zeppelin -
Whole Lotta Love

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Portraits II :

Moineaux, Pinsons et Mésanges et Etourneaux

Courvières (Haut-Doubs)
mars 2016



Pinson du nord
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016




Pinson du nord mâle
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016

Pinson des arbres femelle
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016


Pinson du nord dans un cassissier
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016

Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016

Mésange bleue
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016

Pinson du nord
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016
<image recadrée>

Moineau domestique femelle
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016



Mésange bleue
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 20 mars 2016

Moineau domestique femelle
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Pinson des arbres mâle
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Mésange bleue
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Mésange charbonnière
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Pinson des arbres mâle
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Etourneau sansonnet
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Etourneau sansonnet
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016
<image recadrée>

Pinson des arbres femelle
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Pinson des arbres mâle
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016
<image recadrée>

Moineau domestique mâle
à sa toilette

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 26 mars 2016

A suivre...



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de 2Cellos
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[numéro 412]
(2014 - 13)


Fin de l'hiver et début du printemps (en vidéo)
-
Haut-Doubs

Texte : Le Cimetière de Prague - Umberto ECO

Musique : Thunderstruck - 2Cellos

mardi 8
avril 2014



Suggestion de lecture :

"XV


Eugène ne quittait pas le vieil homme des yeux. Il paraissait fasciné et l'écrivain ne se rendait pas compte qu'il était ainsi observé. Je fis remarquer à mon ami que l'heure tournait et qu'il faudrait peut-être songer à réintégrer l'hôpital avant que Marguerite ne lançât à nos trousses le service de sécurité.

« Laisse-moi encore un peu là, me répondit Eugène, sans même me regarder. Je ne sais pas si tu te rends compte de ce que représente cette rencontre fortuite pour moi. Cet homme que tu vois là, qui n'a l'air de rien sinon d'un vieillard en parfaite santé, alors que moi je suis plus qu'une petite chose souffrante, a sans doute été l'écrivain qui a le plus compté pour moi. Je lui dois des moments parmi les plus précieux et les plus féconds de ma vie. En le lisant, il me semblait que j'entrais de plain-pied dans ce que la représentation de la vie et la vie elle-même peuvent avoir d'admirable, d'absurde, de grotesque, d'ennuyeux, d'unique et de risible. Il me semblait aussi que grâce à ses romans j'adhérais à un continent européen de la littérature et de la pensée, à un espace que seuls les livres produits par les plus grands esprits peuvent dessiner et dans lequel tout lecteur est reçu comme un invité de marque.

« Je sais que nous devons vraiment d'être ce que nous sommes à nos parents certes, à des maîtres d'école, des professeurs peut-être, mais je suis persuadé que nous devons beaucoup dans notre construction intime et affective aux artistes, qu'ils soient morts ou vivants d'ailleurs, et aux oeuvres qu'ils ont produites et qui demeurent, malgré leur effacement, malgré le temps qui supprime les sourires, les visages et les corps. C'est pour cela que j'ai voulu faire ce métier. Je savais que je n'étais pas un artiste. Mais je voulais vivre au plus près d'eux. Les aider du mieux que je pouvais afin qu'ils accouchent de leur oeuvre. Je ne serais peut-être pas ici avec toi si je n'avais pas rencontré un jour celle de cet homme. Ma vie aurait vraisemblablement été différente. Toi et moi ne nous serions pas connus peut-être. Tu imagines ? Il m'a donné une part de sa force, de son obstination, de son intelligence aussi. Le lire, c'était écouter une voix qu'on voulait faire taire. C'était aller contre un certain sens de l'histoire qui imposait à des millions d'hommes un asservissement et une amputation de leurs libertés fondamentales. »

Cela faisait des semaines que je n'avais pas entendu Eugène parler autant, et avec autant d'énergie. La maladie prélevait en lui chaque jour son tribut de forces vives. Parfois, quand il s'assoupissait dans son lit et que je restais à ses côtés, je regardais longuement son visage devenu presque méconnaissable, son corps amaigri, je songeais à ces paysages tranquilles, de campagne ou de forêt, qu'on livre soudain un jour à quelque projet immobilier ou commercial, et sur lesquels on voit alors fondre des engins de chantier aux allures d'insectes géants, hostiles et besogneux, excavatrices, bulldozers, pelleteuses, camions-bennes aux roues démesurées qui, après avoir en quelques heures ravagé les beautés de la surface, fouillent avec méthode et obstination l'intérieur du lieu, enlevant les organes vitaux et toutes les entrailles, creusant les profondeurs, récurant, drainant, rabotant, pour ne laisser au terme de quelques semaines qu'un trou gigantesque aux abords nus, sorte de champ opératoire duquel on aura extrait toute matière vivante et dans lequel désormais on pourra couler des tonnes de béton mort.

Les corps déclinent comme des fleurs dans des vases, qui baissent un jour leur corolle puis s'affaissent dans un effondrement irréversible de leurs couleurs et de leurs parfums. Même l'eau claire dans laquelle elles puisaient leur beauté et leurs senteurs se colore d'un trouble inquiétant, comme si leur mort devenait apparente dans un précipité souillé et malodorant. Les sourires et les plaisanteries de Marguerite ne parvenaient plus à provoquer chez Eugène qu'une grimace qu'il essayait de rendre gaie, comme un clown dont on ne sait jamais vraiment s'il pleure ou s'il rit. Il avait abandonné ses propositions de mariage, mais je voyais encore combien, quand l'infirmière lui massait les tempes, ou les bras, ou la nuque, le contact de ce corps féminin, la tendresse retenue mais réelle avec laquelle la soignante caressait mon ami, procuraient à celui-ci un plaisir irradiant, et je le sentais en ces instants se détendre, se dénouer, se relâcher et, les yeux mi-clos, appareiller vers quelques souvenirs d'amour et de douceur, des étreintes et des instantanés de plaisir que la mémoire parvenait encore à ressuciter vivement alors même que son corps ne lui distillait plus que des refus, des désagréments, des souffrances.

Mais, pour en revenir à cette scène dans le bar-tabac, à la transfiguration à laquelle j'assistais, je mesurais, en ce jour froid de février, dont on se demandait si la luminosité faible était due à une sorte d'éclipse partielle, à un nuage de particules infusant désormais sa grisaille dans l'atmosphère parisienne ou à un deuil céleste, combien la littérature peut compter parfois plus que la vie, et aussi combien la littérature parvient à rendre la vie plus vivante, à la réanimer, à chasser en elle, et pour un temps donné, hélas, ce qui la ronge, la mine et la détruit.

Eugène avait fermé les yeux et récitait quelques titres des livres de Milan Kundera, en les murmurant, comme s'il s'était agi d'un poème : « La plaisanterie, Le Livre du rire et de l'oubli, L'insoutenable Légèreté de l'être, La vie est ailleurs, la Valse aux adieux. »

Il le fit à voix si basse que le vieil écrivain, toujours emporté dans sa discussion, ne l'entendit évidemment pas.

« Sa voix ne venait pas simplement de l'Est, reprit mon ami. Elle n'avait pas simplement grandi de l'autre côté de ce mur qui a fini plus tard de tomber, elle venait de ces profondeurs humaines où se nichent nos élans merveilleux et complexes. Elle tissait nos misères et nos grandeurs, nos défauts et nos beautés. Elle me faisait me sentir davantage homme et davantage libre. Elle gonflait mes poumons. Elle a été mon sang. Je me souviens que lorsque j'avais pour la première fois un de ses livres dans ma main, le dernier livre édité, je me sentais vibrer comme lors d'un rendez-vous d'une importance capitale, et si on m'avait demandé de choisir entre lire un de ses livres ou passer une nuit chez une jeune fille, je n'aurais pas hésité une seule seconde. Et pourtant, tu me connais...

« Lui qui a tant manié l'ironie dans son oeuvre, poursuivit Eugène, trouverait cela sans doute cocasse : le mourant auquel on procure un dernier plaisir, côtoyer pendant quelques minutes, dans un bar-tabac sans grâce tenu par des chinois, un des hommes qui a le plus compté dans sa vie. Ne me dis pas qu'il n'y a pas là une manifestation de la malice de quelqu'un qui s'amuse à jouer avec nous comme de pauvres petites souris de laboratoire ?

  • Tu ne vas tout de même pas te mettre à croire en Dieu ?

  • Non, ce serait trop simple. Et puis ce serait trop tard. Je laisse les paris de dernière heure à ceux qui meurent de trouille.

  • Pourquoi tu ne lui dis pas tout ce que tu viens de me dire ? Tu veux que je pousse ton fauteuil vers sa table ?

Eugène leva la main pour stopper toute tentative de ma part.

« Regarde-moi, voyons. Je ne suis pas dans un état à m'imposer aux autres. On ne me considère plus comme d'égal à égal. On m'a déjà éliminé de la table de jeu. Au pire ou au mieux on me prend en pitié ou en dégoût. Je ne recherche ni l'un ni l'autre. Kundera a écrit de grands livres, mais il ne peut tout de même pas guérir les cas désespérés. Laisse-moi encore ici quelques minutes. Cela me fait tout drôle de respirer le même air que lui. La terre est si petite, et j'y étais si bien. »..."

Philippe Claudel - L'arbre du pays Toraja



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