Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°440 (2014-41)

mardi 28 octobre 2014

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement, cliquez [ici]


 
Luigi Boccherini - Quintet G 448 "Fandango"

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au bas de l'image...



ou cliquez [ici]



 
Troupes de Chamois en Automne
Mont d'Or et La Cluse et Mijoux, Haut-Doubs
août - septembre 2014



Chamois femelle
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 30 août 2014



Cabri
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 30 août 2014





Femelle et son cabri
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 30 août 2014




Troupe, au lever du soleil, sur l'alpage
Mont d'Or (Haut-Doubs)
  lundi 22 septembre 2014
<image recadrée>


Chamois femelle, en alerte (à une seule corne !)

Un peu plus haut, quelques mâles (?)
<image recadrée>

Retour vers la falaise
<image recadrée>

En contre-jour

Au loin

Dans le nuage...

Chamois femelle et son cabri

Femelle

Jeunes

Mont d'Or (Haut-Doubs)
lundi 22 septembre 2014

Dans la brume

Jeune Chamois couché dans l'herbe

De dos


Cabri

Mont d'Or (Haut-Doubs)
lundi 22 septembre 2014

Chamois femelle et son cabri

Le soleil revient !

Mont d'Or (Haut-Doubs)
lundi 22 septembre 2014

Mont d'Or (Haut-Doubs)
lundi 22 septembre 2014

Dans le creux
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 28 septembre 2014

La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 28 septembre 2014

Plus près !

Tout le monde broute
(Il faut préparer l'hiver !)
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)

dimanche 28 septembre 2014

Portrait, en contre-plongée !
<image recadrée>

Chamois femelle, curieuse
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 28 septembre 2014


Pour lire d'autres textes,
de Gabriel Garcia Marquez
cliquez sur les images ci-dessous
(ou sur chaque [numéro])

[numéro 428]
(2014 - 29)

Paysages du Haut-Doubs - printemps 2014

Texte : Ingrédients pour une vie de passions formidables - Luis Sepulveda

Musique : Everybody hurts - The Corrs

mardi 29
juillet 2014
[numéro 414]
(2014 - 15)


Premières fleurs - Haut-Doubs et Suisse

Texte : Cent ans de solitude - Gabriel Garcia Marquez

Musique : Oratorio de la Résurrection - GF Haendel

mardi 22
avril 2014

[numéro 320]

Rougegorge et Grèbe huppé (Haut-Doubs et Suisse)

Texte : Cent ans de solitude - Gabriel Garcia MARQUEZ

Musique : Marooned - David Gilmour (Pink Floyd)

Mardi 5
juin 2012



Petit texte :

"L'année de mes quatre-vingt-dix ans, j'ai voulu m'offrir une folle nuit d'amour avec une adolescente vierge. Je me suis souvenu de Rosa Cabarcas, la patronne d'une maison close qui avait pour habitude de prévenir ses bons clients lorsqu'elle avait une nouveauté disponible. Je n'avais jamais succombé à une telle invitation ni à aucune de ses nombreuses tentations obscènes, mais elle ne croyait pas à la pureté de mes principes. La morale aussi est une affaire de temps, disait-elle avec un sourire malicieux, tu verras. Elle était un peu plus jeune que moi, et je ne savais rien d'elle depuis tant d'années qu'elle aurait pu aussi bien être morte. Pourtant, au premier allô j'ai reconnu la voix au bout du fil et j'ai déclaré sans préambule : "Aujourd'hui, oui !"

Ah, mon pauvre vieux, a-t-elle soupiré, tu disparais pendant vingt ans et tu ne reviens que pour demander l'impossible. Retrouvant aussitôt la maîtrise de sa profession, elle m'a fait une demi-douzaine de propositions délicieuses mais, il faut bien le dire, toutes de seconde main. Je lui ai dit non, que ce devait être une pucelle et pour le soir même. Inquiète, elle m'a demandé : Que veux-tu te prouver ? Rien, ai-je répondu, piqué au vif, je sais très bien ce que je peux et ce que je ne peux pas. Impassible, elle a répliqué que les vieux savent tout, sauf ce qu'ils ne savent pas : il ne reste de Vierge en ce monde que ceux qui, comme toi, sont nés au mois d'août. Pourquoi ne m'as-tu pas passé ta commande plus tôt ? L'inspiration ne prévient pas, ai-je répondu. Mais elle attend peut-être, a-t-elle rétorqué, comme toujours plus avisée que les hommes, et elle m'a demandé au moins deux jours pour passer le marché au crible. Très sérieux, j'ai déclaré que dans une affaire comme celle-ci, à mon âge, chaque heure est une année. Alors c'est impossible, a-t-elle dit sans l'ombre d'une hésitation, mais peu importe, c'est plus excitant comme ça, nom de Dieu, je te rappelle dans une heure.

Inutile de le dire, car on le voit à des kilomètres : je suis laid, timide et anachronique. Mais à force de ne pas vouloir le reconnaître, j'ai fini par simuler tout le contraire. Jusqu'à aujourd'hui, où j'ai décidé de ma propre volonté de me livrer tel que je suis, ne serait-ce que pour soulager ma conscience. J'ai commencé par ce coup de téléphone insolite à Rosa Cabarcas, parce que avec le recul je vois bien à présent qu'il a marqué le début d'une nouvelle vie, à un âge où la plupart des mortels sont morts.

J'habite une maison coloniale sur la bordure ensoleillée du parc San Nicolás, où j'ai passé tous les jours de ma vie sans femme ni fortune, où mes parents ont vécu et trépassé et où j'ai l'intention de mourir dans le lit où je suis né, seul et un jour que je voudrais lointain et indolore. Mon père l'avait achetée dans une vente aux enchères à la fin du XIXe siècle, avait loué le rez-de-chaussée à un groupe d'Italiens qui l'ont transformé en magasin de luxe, et s'était réservé l'étage pour vivre heureux avec la fille de l'un d'entre eux, Florentina de Dios Cargamantos, interprète remarquable de Mozart, polyglotte et garibaldienne, la femme la plus belle et la plus talentueuse que la ville ait jamais connue : ma mère.

La maison est grande et lumineuse, avec des arcades en stuc, des sols dallés de mosaïques florentines et quatre portes-fenêtres donnant sur un long balcon où ma mère s'asseyait les soirs de mars pour chanter des arias d'amour avec ses cousines italiennes. De là, on voit le parc San Nicolás avec la cathédrale et la statue de Christophe Colomb, et plus loin les docks du port fluvial et le vaste horizon du Magdalena encore à vingt lieues de son estuaire. Tout ce que la maison a d'ingrat, c'est le soleil qui, au fil de la journée, change de fenêtres qu'il faut toutes fermer si l'on veut faire la sieste dans la pénombre ardente. A trente-deux ans, quand je suis resté seul, je me suis installé dans ce qui avait été la chambre de mes parents, j'ai fait percer une porte donnant sur la bibliothèque et j'ai commencé à vendre à l'encan tout ce qui ne m'était pas indispensable pour vivre, c'est-à-dire presque tout, sauf les livres et le Pianola à rouleaux.

Pendant quarante ans j'ai été bâtonneur de dépêches au Diario de La Paz, ce qui consistait à reconstruire et à compléter en prose locale les nouvelles du monde que nous attrapions au vol dans l'espace sidéral, sur les ondes courtes ou en morse. Aujourd'hui, je vis tant bien que mal grâce à ma retraite de ce métier disparu : je vis moins bien de celle de professeur de grammaire espagnole et latine, à peine de la chronique dominicale que j'écris sans relâche depuis plus d'un demi-siècle, et pas du tout des gazettes musicales ou théâtrales que l'on me fait la grâce de publier toutes les fois que se produisent des interprètes célèbres. Je n'ai jamais rien fait d'autre qu'écrire, mais je n'ai ni la vocation ni le talent d'un narrateur, j'ignore tout des règles de la composition dramatique, et si je me suis embarqué dans cette entreprise c'est parce que je m'en remets à la lumière de tout ce que j'ai lu dans ma vie. Pour parler cru, je dirais que je suis un chien de race sans mérites ni lustre, qui n'a rien à léguer à sa descendance hormis les faits que je me propose de relater comme je le peux dans ce Mémoire de mon grand amour.

Le jour de mes quatre-vingt-dix ans je me suis réveillé à cinq heures du matin, comme toujours. Ma seule obligation, puisqu'on était vendredi, était d'écrire l'article portant ma signature que El Diario de La Paz publie chaque dimanche. A l'aube, tous les symptômes s'étaient ligués pour m'empêcher d'être heureux : les os me faisaient mal depuis le milieu de la nuit, j'avais le cul en feu, et des roulements de tonnerre annonçaient un orage après trois mois de sécheresse. Je me suis lavé pendant que le café passait, j'en ai bu une tasse, sucré avec du miel et accompagné de deux galettes de maïs, et j'ai enfilé la salopette en toile que je porte à la maison.

Le sujet de l'article de ce jour-là était, bien sûr, mes quatre-vingt-dix ans. Je n'ai jamais songé à l'âge comme à l'eau qui goutte d'un toit et nous indique le temps qu'il nous reste à vivre. Dès ma plus tendre enfance j'ai entendu dire que, lorsque quelqu'un meurt, les poux que couvent ses cheveux s'enfuient terrorisés sur les oreillers, à la grande honte de la famille. J'en ai tiré une telle leçon que je me suis laissé tondre comme un oeuf pour aller à l'école, et aujourd'hui encore je saupoudre les quelques mèches qui me restent avec de la Marie-Rose. Ce qui signifie, me dis-je à présent, que dès mon plus jeune âge le sentiment de la pudeur devant les autres l'a emporté sur celui de la mort.

Depuis plusieurs mois, j'avais prévu que ma chronique à propos de mon anniversaire ne serait pas les lamentations de rigueur sur les années enfuies, mais tout le contraire: une glorification de la vieillesse. J'ai commencé par me demander quand j'avais eu conscience d'être vieux, et il m'a semblé que c'était très peu de temps avant ce jour mémorable. A l'âge de quarante-deux ans, j'étais allé consulter un médecin pour une douleur dans le dos qui m'empêchait de respirer. Il n'y avait pas accordé d'importance : c'est une douleur normale à votre âge.

"Dans ce cas, lui avais-je répondu, ce qui n'est pas normal c'est mon âge."

Le médecin m'avait adressé un sourire de compassion en me disant : Je vois que vous êtes philosophe. C'était la première fois que j'associais mon âge à la vieillesse, mais je n'ai pas tardé à l'oublier. Je me suis habitué à me réveiller chaque matin avec une douleur différente qui changeait de place et de forme à mesure que les années passaient. Parfois je croyais sentir la patte griffue de la mort, mais le lendemain elle avait disparu. Vers cette époque, j'avais entendu dire que le premier symptôme de la vieillesse c'est quand on commence à ressembler à son père. Je dois être condamné à une jeunesse éternelle, avais-je alors pensé, parce que mon profil chevalin ne ressemblera jamais à celui de pur Caraïbe de mon père ni à celui, impérial et romain, de ma mère. En vérité, les premiers changements sont si lents qu'on les remarque à peine, on continue à se voir de l'intérieur tel qu'on a toujours été, alors que les autres les découvrent de l'extérieur.

Dans la cinquantaine, alors que je me représentais à peine ce qu'est la vieillesse, j'ai constaté mes premiers trous de mémoire. J'arpentais la maison à la recherche de mes lunettes et je découvrais que je les avais sur le nez, ou je les portais sous la douche, ou je mettais celles pour voir de près sans ôter celles pour voir de loin. Un jour, j'ai pris deux petits déjeuners parce que j'avais oublié le premier, puis j'ai appris à discerner l'inquiétude de mes amis qui n'osaient pas me dire que je leur racontais la même histoire que la semaine précédente. J'avais alors en tête une liste de visages connus et une autre avec les noms de chacun, mais au moment de saluer je ne parvenais pas à faire coïncider les visages et les noms.

Mon âge sexuel ne m'a jamais inquiété, parce que ma vigueur dépendait moins de moi que d'elles, et qu'elles savent le comment et le pourquoi quand elles veulent. Aujourd'hui, je ris des gamins de quatre-vingts ans qui vont consulter le médecin, affolés par ces tressaillements, sans savoir qu'à quatre-vingt-dix ans c'est pire, mais qu'importe : ce sont les inconvénients d'être toujours en vie. En revanche, que les vieux perdent la mémoire des choses qui ne sont pas essentielles et gardent presque toujours celle des choses qui les intéressent le plus est une victoire de la vie. Cicéron l'a illustré d'un trait de plume : Il n'est point d'ancien qui n'oublie où il a caché son trésor.

Sur ces réflexions, et quelques autres encore, j'avais achevé un premier brouillon de ma note, quand le soleil d'août a jailli entre les amandiers du parc et que le bateau fluvial de la poste, en retard d'une semaine à cause de la sécheresse, est entré en mugissant dans le chenal du port. J'ai pensé : voilà mes quatre-vingt-dix ans qui arrivent. Je ne saurai jamais et ne prétends pas savoir pourquoi c'est comme envoûté par cette évocation terrifiante que j'ai décidé de téléphoner à Rosa Cabarcas, afin qu'elle m'aide à célébrer mon anniversaire par une nuit de libertinage. Je vivais depuis des années dans une sainte paix avec mon corps, me consacrant à la relecture erratique de mes classiques et à mes programmes personnels de musique, mais le désir que j'ai éprouvé ce jour-là était si impérieux que j'ai cru à un message de Dieu. Après cet appel, je n'ai pu continuer à écrire. J'ai accroché le hamac dans un coin de la bibliothèque où le soleil n'entre pas le matin et m'y suis écroulé, la poitrine oppressée par l'angoisse de l'attente.

J'ai été l'enfant docile d'une mère aux multiples dons, emportée à cinquante ans par la phtisie, et d'un père formaliste que nul n'a jamais vu commettre une erreur, mort dans son lit de veuf le jour où la signature du traité de Hollande a mis fin à la guerre des Mille Jours et à tant d'autres guerres du siècle précédent. La paix a changé la ville en quelque chose que l'on n'avait ni prévu ni souhaité. Une foule de femmes libres ont enrichi jusqu'au délire les vieilles cantines de la rue Ancha, appelée plus tard promenade Abello et aujourd'hui paseo Colón, dans cette ville chère à mon âme et si appréciée des autochtones et des étrangers à cause des bonnes manières de ses habitants et de la pureté de sa lumière.

Je n'ai jamais couché avec une femme sans la payer, et les quelques-unes qui n'étaient pas du métier, je les ai convaincues de prendre l'argent de gré ou de force, même si c'était pour le jeter à la poubelle."

Gabriel Garcia Marquez - Mémoire de mes putains tristes



Voir la liste des anciens numéros du"Trochiscanthe nodiflore" (les archives) : cliquez [ici]

Site internet : Rencontres sauvages

Me contacter : pascal@pascal-marguet.com

Calendrier 2014 : Pour le télécharger directement au format pdf (1400 ko), cliquez [ici]

 

Pour vous désinscrire, vous pouvez m'envoyer un e-mail (en répondant à ce message) avec pour objet "désinscription",

ou en cliquant

[ici]

Pour partager cette page sur "FaceBook", cliquez sur le bouton ci-dessous :



Rejoignez-moi sur "FaceBook" en cliquant sur le lien suivant :

[http://www.facebook.com/marguet.pascal]