Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°998 (2025-45)
mardi
11 novembre 2025
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre :
[ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement,
cliquez [ici]
|
Pour regarder et écouter,
« La confiance est la matière première de celui qui regarde : c'est en elle que grandit la lumière. La confiance est la capacité enfantine d'aller vers ce que l'on ne connaît pas comme si on le reconnaissait. « Tu viens d'apparaître devant moi et je sais qu'aucun mal ne peut me venir de toi puisque je t'aime, et c'est comme si je t'aimais depuis toujours. » La confiance est cette racine minuscule par laquelle le vivant entre en résonance avec toute la vie – avec les autres hommes, les autres femmes, comme avec l'air qui baigne la terre ou le silence qui creuse un ciel. Sans confiance, plus de lien et plus de jour. Sans elle, rien. » BOBIN
–
BOUBAT – Donne-moi quelque chose qui ne meure
pas |
|
![]() Au lever du jour Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 3 octobre 2025 ![]() 7h45 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 3 octobre 2025
![]() Rougequeue noir (avant l'arrivée de la lumière...) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 3 octobre 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 3 octobre 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 3 octobre 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 3 octobre 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 vendredi 3 octobre 2025 ![]()
![]()
![]() Au lever du jour
Campanule
![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Scatophage du fumier
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 19 octobre 2025 ![]() ![]() ![]() ![]() Hélianthème
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 19 octobre 2025 ![]() La loge Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 19 octobre 2025 |
|
"1. LIRE. J’aimerais tant savoir lire. Lire est peut-être la capacité qui actuellement me manque le plus dans la vie. Comme j’aimerais déchiffrer tous ces petits caractères qui s’alignent sur les pages et qui forment des mots. Comme j’aimerais comprendre un de ces longs textes qui racontent des histoires. Il paraît que certains individus, en tournant simplement des pages, voient apparaître dans leur tête, comme par magie, des personnages, des décors, des lieux précis et qu’ils ont même l’impression d’entendre des sons, des voix, de la musique. Cela a l’air tellement prodigieux. Et puis, une fois que je saurai parfaitement lire – soyons fous –, pourquoi ne pas aussi… écrire ! Non, ne vous moquez pas, je suis sûre qu’un jour j’en serai capable. Mais, pour l’instant, je suis encore loin d’avoir atteint ces deux objectifs, donc je préfère rester raisonnable et m’en tenir à mes aptitudes actuelles, même si elles sont, je vous l’accorde, encore limitées. C’est pourquoi, puisque je ne suis pas en mesure de rédiger le récit de mon extraordinaire aventure, je vais me contenter de vous la miauler comme ça, maintenant, à vous qui êtes en face de moi. De ce fait, vous ne serez pas mes lecteurs, mais mes auditeurs. Alors, dressez bien haut vos oreilles, tendez vos vibrisses afin de rendre vos moustaches plus réceptives et, vous aussi, vous entrerez dans le petit cercle de « ceux qui savent ». Et, ensuite, vous devrez, vous-mêmes, raconter cette histoire aux autres ainsi qu’à vos chatons pour qu’elle ne soit jamais oubliée. Vous deviendrez alors à votre tour des « chats-conteurs ». Et, un jour futur, l’un d’entre vous, celui qui en aura le souvenir le plus fidèle et qui saura enfin écrire, en fera, qui sait, pourquoi pas, un vrai livre. Avant toute chose, retenez cette phrase : TOUT CE QUI N’EST PAS RACONTÉ EST OUBLIÉ. Et tout ce qui est oublié, c’est comme si cela n’avait jamais existé. Raconter une histoire revient à la rendre immortelle. J’en ai pris conscience lorsque j’ai enfin eu accès à la compréhension du monde des hommes et surtout à la fabuleuse ESRA, l’« Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu » de Wells. 2. HISTOIRE DE L’ÉCRITURE CHEZ LES HOMMES. Actuellement, la plus ancienne histoire racontée sur un support fixe en notre possession est datée de 18 000 ans avant J.-C. Dans les grottes de Lascaux ont été découvertes des gravures, des sortes de bandes dessinées qui représentaient des scènes de chasse ou de guerre. Pour encre, du sang ou du charbon mélangé à des pollens de fleurs voire à des excréments. Leur support était la paroi rocheuse des cavernes. Il est probable que le récit de ces aventures ait eu pour vertu de souder la tribu autour du souvenir des actes héroïques des ancêtres. On retrouve également des traces d’écriture datant de 6 000 ans avant J.-C. en Chine. Cette fois, ce ne sont plus des scènes entières qui sont figurées, mais des pictogrammes – c’est-à-dire des signes symboliques représentant chacun un mot entier : par exemple, pour évoquer un cheval, on dessinait l’animal en quelques traits. En 3100 avant J.-C., les Sumériens se sont mis à mélanger deux pictogrammes, ce qui leur a permis d’obtenir des idéogrammes et d’exprimer ainsi des notions plus abstraites, autrement dit non plus simplement des animaux ou des lieux, mais des idées. En 3000 avant J.-C., parallèlement à ce qu’il se passe à Sumer, naissent les hiéroglyphes en Égypte, qui, là encore, associent des dessins à des syllabes. Plusieurs syllabes servent à former un mot. En 2500 avant J.-C., l’écriture cunéiforme fait son apparition, toujours à Sumer. Non plus de petits dessins représentant le réel, mais des combinaisons de traits gravés grâce à une pointe de roseau dans des tablettes d’argile molle. Le premier alphabet moderne est inventé, lui, en Israël vers l’an 2000 avant J.-C. Il est composé de vingt-deux lettres et commence par la lettre hébraïque aleph qui représente une tête de bœuf à l’envers (principale source d’énergie de l’époque), laquelle inspirera l’alpha des Grecs puis le A latin. Viennent ensuite la lettre beth, qui symbolise une maison avec un toit et donnera le B latin, puis le gimel qui évoque le cou d’un chameau. Encyclopédie du Savoir
Relatif et Absolu.
3. QUI JE SUIS.Avant de vous narrer en détail les surprenants événements qui se sont déroulés jusqu’à aujourd’hui, je dois vous expliquer qui je suis vraiment. Tout d’abord mon apparence : de l’extérieur, je ressemble à une chatte de trois ans à longs poils, à la fourrure blanche harmonieusement constellée de taches noires – j’en ai par exemple une en forme de cœur inversé sur le museau. J’ai les yeux vert émeraude. Passons à ma personnalité. Pour me définir, je parlerai d’abord de mes défauts. Oui, oui, je sais, cela va surprendre, mais figurez-vous que j’en ai quelques-uns. Par lequel commencer ? Je suis trop perfectionniste, probablement parce que je ne supporte pas ce qui est médiocre. Je suis aussi une maniaque de la propreté : je peux rester des heures à me lécher pour nettoyer le moindre poil de ma fourrure et je méprise tous ceux qui sont sales ou même simplement négligés. Quoi d’autre ? Certains me considèrent comme un peu hautaine. Il faut avouer que j’exècre tout ce qui est laid et vulgaire. Parfois, ma grâce naturelle attire la convoitise et cela peut me rendre, disons, sèche avec mes prétendants indélicats et mes concurrentes jalouses. Je peux également me montrer violente. Il m’est arrivé de balafrer de la première griffe de ma patte droite (celle qui est la plus tranchante) des individus qui me manquaient de respect. Quel autre défaut pourrait me définir ? Ah oui, je suis gourmande. Cela me plaît d’avaler un moineau entier d’un coup, par simple gloutonnerie, alors même qu’il est encore vivant, pattes, bec, plumes compris… Il m’est arrivé d’ailleurs de le sentir se tortiller dans ma gorge pour essayer de remonter et de sortir de ma gueule. Je suis parfois cruelle. Je joue souvent avec des mulots, je les éventre, j’extirpe leurs tripes, je les entortille sur ma patte, sans pour autant les manger. Bon, ne jouez pas les outrés, je suis sûre que vous aussi vous avez dû faire la même chose, à un moment de votre vie, ne serait-ce que quand vous étiez plus jeunes. Bien sûr, à côté de ces « légers défauts », j’ai des qualités qui les compensent largement. Ces mêmes mulots que j’ai un peu abîmés, je vais les offrir alors qu’ils sont encore délicieusement tièdes et palpitants ; et je n’attends rien en retour. Je suis rapide aussi. Je parviens à attraper des mouches en plein vol (essayez, vous verrez que cela demande un certain entraînement). Je suis souple : je sais placer une patte au-dessus de mon oreille pour me lécher le fondement. Que puis-je dire encore sur moi d’intéressant ? J’ai une sexualité épanouie. Je peux faire l’amour des nuits entières avec un grand nombre de partenaires successifs sans me lasser. Alors je hurle de toutes mes cordes vocales, au point que les mâles et femelles vivant alentour sont mis au courant que je suis contente, ce qui les rend encore plus jaloux. Je n’aime pas les partenaires sexuels qui, durant l’acte, me mordillent ou me lèchent l’extrémité supérieure voire à l’intérieur des oreilles (quelle horreur, une langue dans mon pavillon auditif ! En plus cela fait des bruits caverneux, c’est insupportable). Je n’aime pas la pluie. Je déteste avoir le poil mouillé. Je n’aime d’ailleurs pas l’eau en général (j’ai le souvenir terrible d’un bain dans un lavabo imposé quand j’étais encore toute jeune, dont je suis ressortie toute poisseuse). Je n’aime pas qu’on me dise ce que j’ai à faire. Je suis très indépendante. Je suis d’ailleurs « inapprivoisable ». Ni maître ni conjoint, cette devise me va bien, elle est inspirée de l’une de celles de ma mère : « Ni collier ni laisse » (sauf, à l’occasion, un collier antipuces en cas de nécessité ; je déteste ces bestioles qui se glissent dans ma fourrure pour grouiller sur mon épiderme. Elles sont si petites que je n’arrive pas à les labourer dans mes poils avec mes griffes. Bon, j’imagine que vous avez le même souci : qui n’a pas ses petits problèmes de parasites, vers ou puces ?). Quand je n’aime pas quelqu’un, j’urine sur l’endroit où il dort. Et mes phéromones sont si tenaces que l’odeur s’avère difficile à enlever. Au cas où cela ne suffit pas, j’urine directement dans sa nourriture. Là, normalement, il doit être parvenu à une idée précise de ce que je pense de lui. Voilà, je suis ainsi, mais la chose dont je suis certaine, c’est que je m’aime moi-même. Par les temps qui courent, tant d’êtres font preuve de comportements stupides parce qu’ils se détestent que quelqu’un qui s’aime, cela mérite d’être signalé, vous ne trouvez pas ? À mon avis, s’aimer, ce n’est pas de l’égoïsme, c’est la plus élémentaire sagesse. Pour conclure, je serai franche avec vous : je me trouve formidable. Si je n’étais pas moi, j’aimerais me rencontrer. Si j’étais un mâle, je tomberais amoureux de ma personne au premier regard. Et ce que j’adore par-dessus tout, ce sont les récentes aventures qui m’ont transformée de simple chatte d’appartement en conquérante visionnaire. Grâce à elles, je me sens capable à moi seule d’inventer un monde nouveau. Même si je suis un chat. Même si je suis une femelle. Ah oui, j’ai peut-être oublié de vous le préciser : j’ai un projet très personnel, un projet grandiose. Il peut se résumer en une phrase : « FAIRE COMMUNIQUER ENTRE ELLES TOUTES LES ESPÈCES. » J’y reviendrai. Avant cela, il est indispensable que je déroule la succession d’événements par lesquels nous en sommes arrivés là. Au départ, j’étais, comme beaucoup d’entre vous, une chatte tranquille qui vivait dans son appartement tranquille, dans un monde tranquille. Les jours se succédaient sans surprise. Je trouvais des croquettes (mes préférées sont celles au poulet fumé et aux herbes de Provence) le matin dans ma gamelle, du lait (bio, avec 20 % de matière grasse) dans mon bol, les radiateurs restaient à une température stable, vingt et un degrés, j’avais un grattoir pour mes griffes, un coussin de velours rouge et même de l’herbe à chat pour mes quarts d’heure de folie. À un moment, pour me distraire, on m’a offert un mâle angora blanc aux yeux jaunes, Félix. Mais, comme on lui avait coupé ses testicules pour les mettre dans un bocal, il était devenu mélancolique et il ne cessait de prendre du poids en regardant alternativement ses attributs perdus et l’écran de télévision – avec une prédilection pour les matchs de football. Ma servante s’appelait (et s’appelle toujours) Nathalie. Je ne vous l’ai peut-être pas encore précisé, ma servante est une humaine. Vous connaissez les humains ? Forcément, vous avez dû en voir ou en apercevoir. Les humains… Allons, vous savez bien : ces bipèdes sans fourrure avec une simple touffe au sommet du crâne. Ma servante a les yeux verts (comme moi, mais légèrement plus foncés), une longue crinière noire luisante, le plus souvent retenue par un ruban rouge. Elle est plutôt de taille réduite pour une humaine, et arbore souvent un chemisier blanc et un pantalon en jean bleu. Ses griffes sont peintes en rouge, ses lèvres sont recouvertes de graisse luisante de la même teinte. Je pense que le choix de cette couleur est lié au sang. Selon les critères humains, ça doit être esthétique. Je vais peut-être vous surprendre, mais je ne suis pas méprisante envers nos serviteurs humains. Les pauvres, ils sont si peu gâtés par leur physionomie. Pour tout vous dire, plus je les connais, plus j’apprends à les apprécier. Ils ne sont pas beaux. Et, avouons-le franchement, ils dégagent une odeur spéciale. Ils n’ont pas de longue queue pour équilibrer leur marche, ils ne voient pas dans la nuit, ils n’ont même pas d’oreilles orientables, ni de vibrisses pour détecter les volumes des espaces, ni de griffes rétractables. Dans l’obscurité, presque tous ont peur. Et quand ils marchent sur leurs pattes arrière, on sent qu’ils manquent de souplesse et de stabilité (il faut dire qu’ils sont pourvus d’une colonne vertébrale rigide qui est trop fine pour supporter leur poids, ce qui provoque chez la plupart d’entre eux des douleurs au niveau des lombaires – et avec l’âge cela ne s’arrange pas). Parfois, je les plains..."
Bernard WERBER - Sa
Majesté des Chats
|
|