Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°988 (2025-35)
mardi
2 août 2025
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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vous avanciez comme le feu. Vous alliez dans mon âme comme un fleuve en crue. Et vos rives inondaient toutes mes terres. Quand je rentrais en moi, je n'y retrouverais rien : là où tout était sombre, un grand soleil tournait. Là où tout était mort, une petite source dansait. Une femme si menue qui prenait tant de place : je n'en revenais pas. Il n'y a pas de connaissance en-dehors de l'Amour. Il n'y a dans l'amour que de l'inconnaissable.
Christian BOBIN – Une petite robe de fête |
![]() Au lever du jour... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 jeudi 3 juillet 2025 ![]() 6h32 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 jeudi 3 juillet 2025 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 jeudi 3 juillet 2025 ![]() Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 jeudi 3 juillet 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 jeudi 3 juillet 2025
jeudi 3 juillet 2025
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![]() Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 jeudi 3 juillet 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 jeudi 3 juillet 2025
De dos
![]() Rougegorge Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Bergeronnette grise adulte Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]() Vue de l'affût : la Bergeronnette Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]() Mésange bleue Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]() Jeune Rougequeue Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() Verdier d'Europe mâle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]()
![]() ![]() ![]() ![]() Verdier d'Europe femelle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Géranium colombin
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() Carotte sauvage - Daucus carotta Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() Hespérie de la Houque Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]() ![]() Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 12 juillet 2025 |
"Il n’y a plus personne dans la forêt. Sauf des scarabées et autres petites bestioles, bien entendu. Eux, c’est comme si rien ne leur faisait de l’effet, ils persistent à bourdonner ou à striduler comme avant. Ils volent, ils mordent, ils sucent le sang, ils me grimpent toujours aussi absurdement sur la jambe quand je me trouve sur leur chemin, ils courent dans tous les sens jusqu’à ce que je les fasse tomber par terre ou que je les écrase. Leur monde est toujours le même — mais même cela, il n’y en a plus pour longtemps. Leur heure viendra ! Bien sûr, je ne serai plus là pour le voir, nul ne sera plus là. Mais leur heure viendra, j’en suis sûr et certain. À vrai dire, je ne sors plus très souvent, je fais surface une fois par semaine peut-être, pour aller prendre de l’eau à la source. Je me lave et je lave ma protégée, elle est toute chaude. Il faut beaucoup d’eau, plusieurs allées et venues ; mais il est bien rare qu’en chemin je rencontre quelqu’un avec qui échanger quelques mots. La plupart du temps il n’y a pas âme qui vive, une ou deux fois je suis tombé sur un chevreuil ou sur un sanglier ; mais ils se sont faits froussards, ils me craignent rien qu’à l’odeur. Quand je siffle, ils se figent sur place, ils me fixent d’un air borné, les yeux ronds, sans s’approcher. En voilà un prodige : un homme qui sait la langue des serpents! Cela les effraye encore plus : ils sauteraient volontiers tête première dans les fourrés, ils prendraient leurs pattes à leur cou pour mettre toute la distance possible entre eux et cette monstruosité — mais pas moyen : les mots, les mots des serpents, les en empêchent. Je siffle encore, plus fort ; sévèrement, je leur ordonne de venir auprès de moi. Ils brament désespérément, ils se traînent vers moi à contrecœur. Je pourrais prendre pitié d’eux et les laisser s’en aller, mais à quoi bon? Il y a en moi une étrange colère envers ces créatures qui ont tout oublié des anciennes coutumes et bondissent dans les sous-bois comme si, de toute éternité, ceux-ci n’avaient été créés que pour qu’elles s’y ébattent librement. Alors je siffle encore, et cette fois les mots que je siffle sont comme une fondrière dont il est impossible de s’extraire. Perdant toute volonté, les bêtes se ruent sur moi comme des flèches tandis que leurs entrailles explosent sous l’effet de cette tension insupportable. Les ventres se déchirent comme des pantalons trop serrés et les intestins se répandent sur l’herbe. C’est un spectacle répugnant, et je n’en ai guère de joie, mais jamais je ne m’abstiens d’éprouver mon pouvoir. Est-ce ma faute si ces brutes ne savent plus la langue des serpents que mes ancêtres leur ont enseignée jadis? Une fois, pourtant, les choses ont pris un autre tour. Je venais de quitter la source, une outre bien lourde à l’épaule, lorsque soudain je vis sur mon chemin un bel élan. Aussitôt je sifflai les mots les plus simples de mon répertoire, méprisant par avance son embarras. Mais au lieu de s’effrayer d’entendre une bouche humaine prononcer cet ordre oublié depuis longtemps, il courba la tête, s’approcha sans délai, s’agenouilla et me tendit humblement le cou, tout comme dans l’ancien temps, lorsque nous nous procurions notre nourriture en appelant ses semblables au sacrifice. Combien de fois, dans mon enfance, ai-je vu maman pourvoir ainsi la famille de provisions pour l’hiver! Dans un troupeau, elle choisissait la femelle qui convenait le mieux, l’appelait auprès d’elle, et la bête rendue docile par les mots des serpents se laissait égorger sans peine. Nous avions toujours assez de viande pour passer la mauvaise saison. Qu’elles nous paraissaient ridicules, en comparaison, les chasses stupides auxquelles se livrent les villageois : de longues heures à traquer un seul élan, quantité de flèches perdues dans les buissons, et tout cela pour rentrer bredouilles plus souvent qu’à leur tour. Alors qu’il suffisait de deux ou trois mots pour soumettre l’animal à leur volonté ! Comme cette grande bête vigoureuse qui, à genoux devant moi, attendait le coup fatal. J’aurais pu l’égorger d’un seul geste. Mais je n’en ai rien fait. Au contraire, j’ai posé mon outre à terre et je lui ai donné à boire. Il lapa paisiblement. C’était un mâle, forcément très âgé : un jeune ne se serait pas rappelé comment doit se conduire un élan lorsqu’un homme le convoque. Il se serait agité, débattu, il aurait essayé de se retenir aux buissons ne serait-ce qu’avec les dents, mais la force immémoriale des mots l’aurait attiré : il serait venu à moi comme un bouffon, alors qu’il vint comme un roi. Et peu importe que ce soit au sacrifice. Cela aussi, il doit le savoir. Qu’y a-t-il donc d’humiliant à se soumettre aux anciens principes et aux anciennes coutumes? Jamais nous n’avons tué un seul de ses congénères par plaisir — quelle joie peut-on éprouver à ce genre d’acte ? Il nous fallait manger, nous avions un mot pour nous procurer de la nourriture, les élans aussi le connaissaient et lui obéissaient. Ce qui est humiliant, c’est d’avoir tout oublié, comme ces jeunes chevreuils et sangliers qui éclatent comme des vessies en entendant les ordres. Ou ces villageois qui se mettent à dix pour attraper un seul animal. C’est la sottise qui est humiliante, pas la sagesse. Je lui ai donné à boire, à cet élan, je lui ai caressé la tête, il a frotté son museau à mon pourpoint. Le vieux monde n’est donc pas tout à fait mort. Tant que je serai là, tant que cette vieille bête existera, il y aura quelqu’un dans la forêt pour se rappeler, quelqu’un qui saura la langue des serpents. Je l’ai laissé partir. Qu’il vive encore longtemps. Qu’il se souvienne..."
Andrus KIVIRAHK - L'homme
qui savait la langue des serpents
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