Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°987 (2025-34)
mardi
26 août 2025
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Pour regarder et écouter,
Dictes-moy où, n’en quel pays,
Où est la très sage Heloïs,
La royne Blanche comme ung lys,
Prince, n’enquerez de sepmaine |
![]() Au lever du jour Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 21 juin 2025 ![]() Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 21 juin 2025 ![]() Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 21 juin 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 21 juin 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 21 juin 2025 ![]()
![]() ![]() Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 21 juin 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 21 juin 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 21 juin 2025
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![]() Criquet sp. Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 28 juin 2025 ![]() ![]() ![]() Chenille de la
Petite Tortue
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 28 juin 2025 ![]() Cirse laineux Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 28 juin 2025 ![]() ![]() ![]() ![]() Grande Gentiane jaune Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 28 juin 2025 ![]() ![]() ![]() Grande Sauterelle verte Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 28 juin 2025 ![]() ![]() Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 28 juin 2025 ![]() Au lever du jour Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 juin 2025 ![]() ![]() 6h37 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 juin 2025 ![]() ![]() Toilette Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 juin 2025 ![]()
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 juin 2025 ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Bergeronnette grise (blessée à la patte !) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 juin 2025 ![]() Verdier d'Europe femelle, cherchant des crins de vache (pour son nid) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 juin 2025 ![]() ![]() Verdier d'Europe mâle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 juin 2025 ![]() ![]() ![]() Hespérie Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 29 juin 2025 ![]() dimanche 29 juin 2025 |
"En équilibre sur un fil
Pour ne pas devenir fou. Se lever chaque matin et se retrouver confronté à la même routine lui coûte l’énergie d’une journée entière. Parfois de deux. Il a beau essayer de changer quelques menus détails pour la rompre, elle revient, encore plus pesante. La promenade, les repas, la salle de sport. Les émissions de télé idiotes que ses voisins lui infligent en bruit de fond continu. Même le temps passe sans lui. Il ne veut plus vivre un nouvel été dans cette canicule de béton qui échauffe les esprits aussi vite que l’asphalte. Les quatre premiers ont été terribles. Jamais il n’a été si fébrile en attendant le rendez-vous avec Mme Metzger. Lors du précédent, elle lui a laissé espérer qu’une piste se dessinait pour lui, qu’elle aurait la réponse prochainement. Aujourd’hui. Quitter cet endroit pour ne pas mourir. Et dire que certains préfèrent rester au prétexte qu’ils n’entrent plus dans aucune case. Qu’aucune autre structure n’est adaptée à eux. Ou l’inverse. Peu importe. Le décalage avec le reste du monde est devenu un infranchissable canyon. Rémy s’accommodera de la société que les autres rejettent. Quitte à la rejoindre en équilibre sur un fil tendu au-dessus du vide. Il connaît le vertige, il n’en a pas peur. Il est déjà tombé. Autant prendre le risque de dégringoler une deuxième fois. Du moment qu’il peut voir un peu de beauté dans sa chute. Des arbres, des ruisseaux, la nature dont il n’avait jamais été coupé jusque-là et qui lui manque terriblement, comme on manque d’oxygène au point de suffoquer. Courir dans la forêt, au bord du canal, ou même en ville, courir sans limite, surtout pas celle d’un mur bien trop haut pour être franchi. Faire les boutiques, s’acheter un pantalon et une chemise, se trouver beau dans le miroir de la cabine d’essayage. Un miroir où l’on ne se voit pas en mille morceaux parce que le précédent occupant y a mis un coup de poing rageur contre l’institution. Souvent contre lui-même. Déjeuner en famille le dimanche. Être saisi par la savoureuse odeur qui flotte dans la maison quand on pousse la porte d’entrée. Retrouver les repères olfactifs du clan dans lequel on a grandi. Un poulet rôti et une salade du jardin avec du persil frais ciselé, des frites maison qui croustillent. Et serrer ses parents contre lui. Un dans chaque bras. Serrer pour se sentir forts tous les trois face à l’adversité qui les a anéantis. Un noyau dur, solide et incassable. Un diamant d’amour. Rémy entend le grincement des roues en caoutchouc sur le sol carrelé. Christine Metzger passe devant lui en le saluant avec gentillesse et l’invite à la suivre. Il s’assoit en face du bureau en formica et attend pendant qu’elle déballe ses dossiers. L’impatience n’a jamais tué personne mais Dieu qu’elle ronge, souris chétive qui grignote un petit coin d’estomac à l’abri des regards.
Christine travaille dans ce service depuis une bonne vingtaine d’années. Tous ici la respectent, dans son fauteuil. Sans relâche, elle œuvre pour leur bien. Avec le temps, elle a appris le détachement dans la gestion de ses dossiers les plus lourds. Ne pas compatir, ne pas condamner. Rémy Souhait est le premier à tant l’émouvoir. Elle connaît son cas par cœur. Elle ressent même de la tendresse pour le jeune homme en train de se tordre sur sa chaise. Elle espère qu’il acceptera. Elle croit en lui, et en ce lieu qui pourrait l’accueillir pour le remettre sur les rails. Voilà le seul avantage des deux roues parallèles qui l’emmènent partout à la place de ses jambes : donner l’impression à ceux qui la suivent jusqu’à son bureau qu’elle leur montre une direction, qu’elle imprime une trace sur le sol, une voie. Chemin de fer ou ornières dans la boue, peu importe. Même dans le sable mouvant d’une plage. Même éphémère, même futile, une trace pour décider où aller. – Mes parents pourraient venir ? – Oui. – Je ferais quoi, là-bas ? Elle décrit les lieux, les personnes, les activités, le programme. Les deux chevaux auxquels elle sait qu’il sera sensible, le grand jardin. Rémy l’écoute attentivement. Elle parle de plus en plus vite, se laisse emporter par son enthousiasme. Elle se surprend à sourire. Se ressaisit. Le détachement. – Ils sauraient pour moi ? – Seulement si vous leur dites… Rémy réfléchit à mille à l’heure. Sortir d’ici, peu importe la destination, avec qui, comment et pourquoi. Sortir. Il se demande encore comment il a pu tenir quatre ans. Peut-être grâce aux livres. Des romans, des récits, des pièces de théâtre comme autant de fenêtres ouvertes sur un monde bien plus beau que le vrai. Il s’est évadé mille fois avec George Sand, Montaigne, Baudelaire, Dumas père et fils, et tant d’autres. Les livres trois fois lus ont perdu leur effet. Même la poésie. C’est dire… Victor Hugo, Alfred de Musset, Arthur Rimbaud ne peuvent plus rien pour lui. Il rêve de l’odeur d’une pluie d’orage sur un sol brûlant, d’un lever de soleil sur une colline endormie, de toucher un arbre, qu’il ait cent ans ou deux seulement, de s’égratigner contre l’écorce, de regarder les feuilles tomber puis d’autres repousser au printemps suivant. Il rêve de tout ce qui raconte les recommencements. Les cerisiers en fleur qui annoncent le printemps, les agneaux dans les champs qui tapent dans les pis de leur mère pour grandir goulûment, les colchiques à l’automne qui font oublier l’été brûlant, les rentrées littéraires, le réveillon de Noël. Le destin a fait table rase de tout. Reset. Nouveau programme. Désormais, il faut songer à se refaire une situation, ailleurs. Et puis, les Vosges ne sont pas une destination si lointaine. Rémy accroche son regard à la fenêtre. Au loin, entre deux barres d’immeubles, on devine, minuscule, la flèche de la cathédrale de Strasbourg. Il rêve d’y retourner un jour, de rester un après-midi entier sur la plateforme pour embrasser toute la plaine d’Alsace, les contreforts vosgiens et la Forêt-Noire. Une vision à 360 degrés qui vous rend ivre de liberté. – D’accord ! – Bien ! Vous partez début juin. Dans deux semaines au maximum..."
Agnès LEDIG - Un abri
de fortune
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