Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°984 (2025-31)
mardi
5 août 2025
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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![]() Vache et Crabier chevelu (envol) Basse vallée du Doubs (Jura) lundi 9 juin 2025 ![]() ![]()
Basse vallée du Doubs (Jura) lundi 9 juin 2025 Basse vallée du Doubs (Jura) lundi 9 juin 2025 Basse vallée du Doubs (Jura) lundi 9 juin 2025 Frasne (Haut-Doubs) samedi 14 juin 2025
Chasseral (Suisse) dimanche 22 juin 2025 ![]()
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Chasseral (Suisse) dimanche 22 juin 2025 Chasseral (Suisse) dimanche 22 juin 2025
Chasseral (Suisse) dimanche 22 juin 2025
Feuilles d'Oxalis
petite-oseille
Frasne (Haut-Doubs) samedi 12 juillet 2025 ![]() Epilobe hirsute Frasne (Haut-Doubs) samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]() ![]() Feuilles de Hêtre Frasne (Haut-Doubs) samedi 12 juillet 2025 ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Epilobe en épi Frasne (Haut-Doubs) samedi 12 juillet 2025 ![]()
Frasne (Haut-Doubs) dimanche 13 juillet 2025
Bonnevaux (Haut-Doubs) lundi 14 juillet 2025 |
"Chapitre premier I Lundi après-midi Elle vit la terre basculer et fut soudain aveuglée par le soleil qui se reflétait sur une mosaïque de miroirs brisés. Pour elle, il était deux heures du matin, même si elle savait qu’on était en plein après-midi et qu’elle n’était pas près de se coucher dans un lit. Dormir. En vingt-quatre heures de voyage, le sommeil s’était continuellement dérobé. Elle ne savait pas ce qui était le pire – les regrets qui l’empêchaient de dormir, ou les cauchemars qui la réveillaient. Les vodkas tonics avalées pendant les premières heures du vol pour tenter d’oublier lui avaient laissé la bouche pâteuse et un début de migraine. Elle jeta un coup d’œil à la déclaration du service d’hygiène… BIENVENUE EN CHINE POUR DES LENDEMAINS MEILLEURS ET PLUS SAINS Elle avait tiré un trait dans l’espace « Nature de la déclaration ». Qu’avait-elle à déclarer hormis un cœur brisé et une vie gâchée ? À sa connaissance, ni l’un ni l’autre n’étaient contagieux. La terre bascula à nouveau. La mosaïque aveuglante était en fait une succession de pièces d’eau carrées et rectangulaires – des rizières. Au nord, au-delà de la brume, s’étendaient les plaines poussiéreuses du désert de Gobi. Une hôtesse de l’air traversa la cabine en vaporisant un désinfectant.
Puis le commandant de bord annonça qu’ils se poseraient à Pékin quinze minutes plus tard. La température au sol était de 35 °C. Elle ferma les yeux en se préparant à l’atterrissage. De tous les moyens d’évasion à sa disposition, pourquoi avait-elle choisi l’avion ? Elle détestait ça. La navette bondée tangua vers le terminal et laissa ses passagers fatigués dans une véritable étuve. Margaret courut s’abriter à l’intérieur du bâtiment. Il n’était pas climatisé. Il y faisait encore plus chaud et l’atmosphère était irrespirable. Elle fut assaillie par le spectacle, le bruit, les odeurs de la Chine, la foule – si dense qu’on aurait cru que tous les avions de la journée s’étaient posés en même temps – et les files d’attente interminables au contrôle de l’immigration. Même dans ce hall de transit international, elle attirait les regards étonnés des Asiatiques. Bien sûr qu’elle détonnait avec ses cheveux blonds tombant sur les épaules, sa peau blanche, ses yeux bleu clair. Le contraste avec les Chinois Han aux yeux et aux cheveux noirs était total. De plus en plus tendue, elle respira à fond. Soudain, une voix aiguë s’éleva au-dessus du brouhaha :
Margaret mit un moment à faire le lien entre le nom qu’elle venait d’entendre, celui qu’elle venait de lire, et le sien.
Elle se sentit aussitôt ridicule. Évidemment que c’était elle qu’on cherchait. La femme trapue pivota sur elle-même et lui lança un regard furieux à travers ses épaisses lunettes à monture d’écaille.
Margaret fouilla son sac à la recherche du passeport bleu orné de l’aigle américain, mais hésita à le lui tendre.
Elle prononça Lily Ping, et redressa le dos pour mieux montrer les trois étoiles des épaulettes de sa chemise vert kaki à manches courtes. Légèrement trop grande pour elle, sa casquette verte ornée d’un galon jaune et de l’écusson bleu, rouge et or du ministère de la Sécurité publique rabattait sa frange rectiligne sur ses lunettes.
Margaret sentit qu’elle aurait dû savoir. C’était sûrement écrit quelque part dans la documentation qu’on lui avait remise.
Lily cacha mal son agacement.
Consciente d’avoir déjà fait preuve de trop d’ignorance, elle tendit son passeport. Lily y jeta un coup d’œil rapide.
Une BMW gris sombre les attendait devant la porte du terminal. Le coffre s’ouvrit tout seul, et une fille à l’air famélique, en uniforme elle aussi, bondit de la voiture pour charger les bagages. Elle eut du mal à soulever du chariot les deux valises presque aussi grosses qu’elle. Margaret s’avança pour l’aider, mais fut vivement poussée sur la banquette arrière par Lily.
Et elle claqua la portière. Margaret respira l’air frais avec volupté en s’enfonçant dans son siège. La fatigue la submergea. Tout ce qu’elle souhaitait maintenant, c’était un lit. Lily se glissa sur le siège du passager avant.
Margaret faillit gémir. La perspective d’un lit s’éloignait dans un avenir incertain. Ce vers d’un poème de Frost lui revint en mémoire : … « et des miles avant de pouvoir dormir ». Puis elle fronça les sourcils en se répétant les paroles de Lily. Elle avait bien dit banquet ? La BMW fila sur l’autoroute, franchit le péage, et atteignit rapidement la périphérie de Pékin. Margaret regarda avec stupéfaction la ville s’élever autour d’elle. Tours de bureaux, hôtels neufs, centres commerciaux, appartements de luxe. Partout les étroits hutong abritant les siheyuan – ces maisons constituées de quatre pavillons disposés autour d’une cour – étaient démolis pour assurer la transition du statut de « pays en voie de développement » à celui de « pays industrialisé ». Margaret ne savait pas trop à quoi elle s’attendait, mais certainement pas à ça. La seule « chinoiserie » qu’elle apercevait se résumait aux avant-toits recourbés greffés au sommet des gratte-ciel. Finies les affiches géantes exhortant les camarades à fournir toujours plus d’effort pour la patrie. Elles avaient été remplacées par des publicités Sharp, Fuji, Volvo. L’éperon maintenant, c’était le capitalisme. L’image qu’elle connaissait des rues encombrées de cyclistes en costume Mao s’effaça sous les nuages de gaz carbonique crachés par les pots d’échappement des bus, camions, taxis et automobiles privées qui bloquaient les six voies du Troisième Périphérique. Exactement comme à Chicago, pensa-t-elle. Très « industrialisé ». À part la voie réservée aux vélos. Le chauffeur se serra sur la droite en approchant du centre-ville. Au loin, Margaret aperçut la porte de la Cité interdite ornée du portrait géant de Mao contemplant la place Tiananmen. La porte de la Paix céleste, toile de fond de tous les reportages CNN en direct de Pékin. Un cliché géant de la Chine. Margaret se souvenait des images, à la télé, du portrait de Mao barbouillé de peinture rouge par les manifestants démocrates de 1989. Elle aussi était étudiante à l’époque, à la faculté de médecine. Elle avait été choquée et scandalisée par les événements sanglants de ce printemps. Et voilà qu’elle y était à son tour, dix ans plus tard. Elle se demanda à quel point les choses avaient changé. La voiture tourna brusquement sur la gauche, dans un concert de klaxons, pour enfiler une petite rue bordée, de chaque côté, de caroubiers formant une voûte de verdure et d’élégantes constructions de type colonial ou victorien. Elles auraient pu se trouver dans le vieux quartier de n’importe quelle ville européenne. Lily se retourna à moitié pour désigner un haut mur sur sa droite. – Ministère de la Sécurité publique. Enceinte de l’ambassade de Grande-Bretagne, avant que le gouvernement chinois les jette dehors. Ici, ancien quartier des légations. Plus loin, après avoir dépassé quelques immeubles anciens qui n’avaient rien d’européen, la voiture tourna à nouveau à gauche dans une rue encore plus étroite, encombrée de voitures et de vélos, et presque totalement privée de lumière à cause des arbres. Sur leur droite, une grille s’ouvrait sur un grand immeuble blanc à l’escalier gardé par deux lions. Très haut, audessus de la porte d’entrée, étaient gravés d’énormes caractères or sur fond rouge.
Margaret eut à peine le temps de jeter un coup d’œil que la voiture vira à gauche et s’arrêta dans un crissement de freins. Il y eut un choc. Le chauffeur leva les mains en l’air avec un cri de surprise, ouvrit sa portière et sortit d’un bond. Margaret tendit le cou pour voir ce qui se passait. La voiture avait heurté un cycliste. Margaret entendit la voix aiguë de leur chauffeur accablant de reproches ce dernier qui se relevait, apparemment indemne. C’était un officier de police d’une trentaine d’années. Il saignait du coude ; son uniforme fraîchement repassé était froissé et couvert de poussière. Dès qu’il se redressa de toute sa hauteur, la jeune fille cessa de crier, se recroquevilla sous son regard, et se baissa pour ramasser sa casquette qu’elle lui tendit comme une offrande de paix. Mais, loin de faire la paix, il la lui arracha des mains en l’insultant copieusement. Du siège avant, Lily émit un drôle de petit grognement avant de se précipiter dehors. Pensant qu’il était temps d’intervenir à son tour, Margaret ouvrit sa portière. Lorsque Lily redressa le vélo et présenta ses excuses au cycliste, celui-ci parut retourner sa colère contre elle. Margaret s’approcha :
Stupéfaits, les trois Chinois tournèrent la tête vers elle.
Puis, dans un anglais parfait :
Il tremblait presque de colère.
Margaret sentit frémir au plus profond d’elle-même la violence de son tempérament celtique.
Le jeune policier lança un regard furieux à Margaret, arracha son vélo des mains de Lily, épousseta sa casquette, la replaça fermement sur ses cheveux ras, et s’éloigna en direction d’un bâtiment en briques rouges de style européen.
Lily secoua la tête.
Peter MAY - Meurtre à
Pékin
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