Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°905 (2024-05)

mardi 30 janvier 2024

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Johann Michael HAYDN - Te Deum

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Etourneau sansonnet
(deuxième partie)

Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 17 décembre 2023



Dans l'ombre
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 17 décembre 2023





Givre
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 17 décembre 2023

Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 17 décembre 2023




Toilette
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 17 décembre 2023


Dos
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 17 décembre 2023

Au soleil
Courvières (Haut-Doubs), Champ-Margot
dimanche 17 décembre 2023





Suggestion de lecture :

" 1

La terre trembla le jour le plus sombre de l'année. Dans cette région d'extrême nord, ce qu'on appelait « jour » n'était qu'un long crépuscule figé, ne projetant aucune ombre, si bien que la silhouette du clocher ne se découpait pas sur la neige, et que rivière, forêt et collines flottaient dans le même clair-obscur. Il résultait de ce phénomène un malaise partagé, bien qu'inexprimé, mais la plupart des gens y étaient habitués. « Que les ténèbres soient », auraient-ils dit si on leur avait laissé le choix ; puis ils auraient vaqué à leurs occupations. Ceux qui avaient grandi là étaient ainsi disposés. C'était le cas de Lars Lévi, qui, en homme des extrêmes attiré par les extrêmes, trouvait le froid et l'obscurité revigorants. Ces conditions faisaient mieux que lui convenir, elles le stimulaient.

Il dut néanmoins admettre que ce matin-là avait quelque chose d'anormal. La nuit précédente, il avait rêvé qu'un événement majeur se produisait. De quoi s'agissait-il, au juste ? Il ne savait plus. Il se désolait que le message du songe lui ait échappé. Il croyait à ce genre de choses, à l'importance de l'institution, ayant hérité ce trait de sa mère, mais aussi parce que ces terres avaient cet effet sur les hommes : quand on vivait sous les aurores boréales et le soleil de minuit, on ne pouvait douter qu'une transcendance était à l'oeuvre, une force dépassant l'entendement. Lars-Lévi, pasteur de cette paroisse du Grand Nord depuis vingt-deux ans, un homme qu'on ne pouvait accuser d'insincérité malgré son orgueil démeusuré, n'en doutait pas. Il était là pour prêcher et déclamait toujours ses sermons avec conviction. Ce jour-là, il redoublerait d'intensité, et l'ampleur de sa mission le rendait nerveux. Il fit les cent pas dans l'allée latérale pour procéder aux dernières vérifications : Henrik avait-il sonné la cloche ? Willa avait-elle allumé le poêle ?

L'église se remplissait peu à peu, les Finlandais prenant place au premier rang, comme à leur habitude, et derrière eux les autochtones, qu'on appelait tantôt « Lapons », tantôt « Sami ». Le pasteur privilégiait « Lapons » dans ses échanges avec les Suédois, et « Sami » lorsqu'il se trouvait parmi ces derniers. Un bon quart de ses huit cent vingt-neuf paroissiens dispersés sur une centaine de kilomètres se trouvaient dans l'église lorsque cette pensée lui traversa l'esprit. Les Finlandais avaient skié pendant des heures au bord de la rivière gelée, et les Lapons avaient parcourus trente à cinquante kilomètres sur leurs traîneaux attelés à des rennes pour arriver là, dans cette minuscule paroisse de Suède, où, sur quarante habitants, dix étaient des membres de sa famille. Ils venaient l'écouter, lui, Lars Levi Laestadius. Mais Henrik avait-il sonné la cloche ?

Oui, c'était chose faite, après quoi il s'était hâté de rejoindre son magasin, qui lui tenait lieu de logement, et que les paroissiens appelaient l'« antre du mal » parce qu'on pouvait y acheter de l'alcool. C'était illégal, certes, mais il était impossible de faire appliquer la loi quand tant de gens l'enfreignaient. Quoi qu'il en soit, Henrik n'était pas un homme de principes, il se songeait qu'à éponger ses dettes. Puisque l'obscurité finirait pas les rendre fous, se disait-il, autant se noyer dans la boisson. Il n'était pas de la région, ce n'était pas de gaieté de cœur qu'il avait grandi dans le froid ; s'il en avait eu les moyens, bon sang, il serait reparti le jour de son arrivée ! Il aurait fait demi-tour pour ne plus jamais revenir. Mais voilà, puisqu'il ne pouvait quitter ce bout du monde, autant laisser les discours moralisateurs aux paroissiens disposés à se repentir éternellement. Ces remontrances l'épuisaient, tout comme les sermons sur l'alcool qui lui servaient parfois ceux qui venaient plus tard lui acheter à boire. A vrai dire, il n'était pas rare qu'un fidèle s'éclipse au milieu de l'office pour lui acheter une bouteille, et il n'était pas question qu'il rate une vente. Comment Lars Levi remarquerait-il son absence dans cette foule compacte ?

Personne ne sembla s'apercevoir que Henrik n'était pas revenu. L'église était si bondée qu'on commençait à avoir chaud, pour une fois ; les gens avait ôté leurs chapeaux, et lorsqu'ils époussetèrent la neige de leurs manteaux, des peluches de fourrure voletèrent, comme s'il neigeait à l'intérieur. L'effervescence s'accompagnait d'un brouhaha, les conversations se superposaient, tons polis ou chaleureux, bonjour, bonjour, c'est bon de vous revoir, bonjour, quel beau manteau, bonjour, bonjour, avant de passer aux choses sérieuses. Les gens auraient sans doute dû remettre leurs bavardages à la fin du sermon, mais c'était plus fort qu'eux, la rumeur s'insinuait à travers la foule. Vous avez appris la nouvelle ? Disaient-ils, d'un ton plus horrifié que réellement inquiet, le petit Haikkillä est né avec deux pouces à la main droite !..."

Hanna PYLVAINEN - Le silence des tambours


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