Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°848 (2022-48)

mardi 6 décembre 2022

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Jean-Baptiste LULLY - Passacaille - Acis et Galatée
Pastorale héroïque LWV 73

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  Brume, rosée et givre
sur les dernières fleurs...

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
novembre 2022



Foulque dans la brume
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022




Colvert
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022



  La brume se lève
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022

<images prises au 16/9ème - Samsung A50>

Peupliers et reflet
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022

Achillée millefeuille dans la rosée
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022



Feuille de peuplier givrée
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022

Fleur de Géranium givrée
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022

<image recadrée>



Chélidoine - Grande Eclaire
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022



Feuille de Chélidoine
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022


Linaire cymbalaire - Ruine de Rome
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022



Aubépine
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022

Rose
La Rivière-Drugeon, jardin du curé (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022



Soucis
La Rivière-Drugeon, jardin du curé (Haut-Doubs)
vendredi 11 novembre 2022



Brume
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022



<images prises au 16/9ème - Samsung A50>



Noisetier
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022



Arantèle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022



Chélidoine
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022



<image recadrée>

Linaire cymbalaire
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022



Aubépine
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022



Cardères
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022



Dauphinelle
La Rivière-Drugeon, jardin du curé (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022



Tréfle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022

Peuplier
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 novembre 2022





Suggestion de lecture :

"Au commencement, les yeux ne voient pas. Ils sont ouverts, entre les rideaux des paupières, mais ils sont noirs. Ils n'ont pas de lumière. C'est ainsi au début, tout à fait au début. La nuit est tellement noire, épaisse, sans une vibration, sans une étoile, sans même une luciole, que c'est comme l'intérieur d'une cellule à l'intérieur d'une forteresse, murs de béton, plafond de béton, sol et portière de béton. On est vraiment à l'intérieur de sa tête, et les yeux insensibles sont pareils aux yeux pâles des aveugles, qui ne voient pas les points et les lignes de la lumière. On ne parlera pas des oreilles, ni de la peau, ni des narines, ni de rien d'autre comme les fontanelles ou l'oeil pinéal, parce que les yeux, en restant éteints, ont tout éteint dans le corps. Il y a des pensées, des sauts brusques du cœur, des tressaillements des membres, des mots qui palpitent derrière les lèvres. Mais cela ressemble aux petits gestes de tâtonnement des aveugles lorsqu'ils traversent les routes.

Tout est si noir devant les yeux, si noir. Couleurs absentes, lueurs absentes, lignes, figures absentes. Le monde ne bouge pas du tout. Devant les deux yeux immobiles il reste assis, jambes fixes, tête en haut du cou, bras appuyés sur les bras du fauteuil de pierre, et colonne vertébrale raide et droite, ventre qui ne respire pas, car c'est un géant grand comme une montagne noire, et très imperturbable.

Ou bien peut-être qu'on est soi-même ce géant assis sur la montagne, les jambes lourdes appuyant dans le creux des vallées, les mains posées sur de grands éperons rocheux, le dos et la nuque en équilibre, et la tête au milieu des nuages dans le vide irresponsable. Alors évidemment on ne bouge pas. Alors on ne voit que l'éternel noir de l'espace, et le froid recouvre la peau du visage de son givre, et les gouttes d'eau coulent le long des pentes du front, des joues, du nez, dégoulinent des cavernes des aisselles, sur la mousse du ventre, vers le bas, glissent avec un lent mouvement qui use.

Dans la tête aussi tout est noir. C'est juste avant le sommeil, quelques secondes avant l'évanouissement, quand l'eau noire monte dans l'espèce de baignoire où vous devenez de plus en plus petit. Même la lumière est noire à ce moment-là, elle jaillit par nappes hors de l'astre couleur de charbon, elle étend ses drôles de membranes flottantes à travers l'espace, lumière opaque qui anéantit, repousse, ou filets de rêtre qui retombent sur votre visage, un, encore un, encore, sans cesse, amoncelant autour des traits du visage ses nuages de dentelle étouffante.

Il n'y a rien à faire. C'est ainsi. Le pouvoir des yeux a disparu. Il s'est éteint loin derrière les orbites, au centre des circonvolutions cérébrales, il palpite machinalement comme un cœur de têtard, pour se défendre, par habitude. Le breuvage maudit a tout noyé. Il est noir comme l'encre, au fond de l'assiette de métal, on se souvient vaguement de lui. On veut avoir de la colère. Mais il est beaucoup plus fort que la lueur de la lune, que la pensée des hommes, que tout ce qui est vivant et qui bouge. Il a noyé les oiseaux, il a brûlé les insectes, et même les poissons du fleuve.

Comment voir ? Comment ? On fait des efforts désespérés pour traverser l'ombre, parce que sans doute il y a encore de la lumière, de l'autre côté de l'horizon, là où le soleil a disparu. Les yeux ne brillent que par le soleil. Ils sont des astres morts maintenant, naviguant tout seuls dans l'espace sans feu, abandonnés. Jamais on n'avait eu autant besoin de soleil. Quand la grande étoile ronde au centre irisé disparaît sur le bord tranchant : une lame qui élève sa roue rapide et qui tranche, mutile, détruit : malheur ! Les lézards deviennent tout froids, ils s'arrêtent au bord d'un tunnel, et leurs pattes n'ont plus de force. Chaque jour la même chose, l'ombre terne qui avance en coulant le long des rainures, étendant ses ramures en tous sens, de l'Est vers l'Ouest, très vite, plus vite que les nuages, les marées, les trains ou les avions, plus vite que les rideaux de pluie.

Non, on ne connaissait pas bien cela. On avait tellement de moyens d'échapper, jusqu'alors. On regardait toutes les flammes, avidement. On cherchait tout ce qui brille, danse, donne sa chaleur. Les lampes à kérosène étaient immenses, elles brûlaient aussi fort dans la nuit que les flammes des derricks à Corpus Christi.

Mais tout cela est éteint à présent. Le breuvage noir est à l'intérieur du corps, et il veut qu'il n'y ait plus de lumière. C'est un breuvage qui n'aime pas les hommes et leurs lampes.

Les yeux ne connaissent plus l'espace. Ils sont retournés à l'intérieur des orbites, et ils regardent vers le centre de la tête, la couleur du sang, la couleur noire qui ne connaît pas la vie. Les yeux cherchent à apercevoir le cœur. Les pulsations qui remontent le long des artères envoient leurs ondes de sommeil. Les yeux ne peuvent plus dévorer. Ils sont mangés.

Immobile immobile immobile immobile immobile immobile immobile

En quittant la surface de la terre, le soleil a entraîné le regard avec lui. Il a tiré la nappe de lumière, lentement, lentement, avec lui, gaz élastique aux vibrations enchaînées les unes aux autres, tirant sur toutes les fibres et les élonguant, entrainant tout ce qu'aimaient les yeux et le corps, vers le bas de l'Ouest, de l'autre côté du fleuve, de l'autre côté des arbres et des montagnes, de l'autre côté de la mer, de l'autre côté de tout.

Pour celui qui voit le soleil disparaître, comme cela, et tirer sa chaleur et sa lumière, et enlever son regard, la peur a commencé. Il reste assis sur le bord de la maison, et il devient peu à peu une statue. Le froid, la crainte, l'obscurité sont réels, ce qu'il y a de plus réel dans le monde. On attend. On ne sait pas jusqu'où il faudra attendre. On est pris par les glaces.

La nuit va durer des mois, maintenant. Le soleil lentement glisse le long de la pente de la terre, vers le gouffre qui communique avec le fond de l'océan. Il disparaît dans l'étroit canal du vortex, et son cercle de flammes devient un tourbillon glacé. Alors il n'y a plus d'idées, plus de langage, plus de signes, rien. En haut de la tête, le cerveau est un bloc de glace, et les bras, les mains, les jambes, le ventre, brûlent de la drôle de brûlure du gel.

Les yeux deviennent froids. Ils sont figés dans les larmes, immobiles au milieu des peaux des paupières. Tandis que disparaît l'astre rond de l'autre côté de l'horizon, le regard rentre à l'intérieur de la tête, il se recroqueville comme les yeux des escargots. Le froid et le noir les touchent légèrement, un souffle à peine, venu du fond de l'espace, et les yeux se rétractent en frissonnant.

Mais c'est à l'intérieur de la tête surtout que c'est terrible. La nuit sans lumière est née au fond du corps, quelque part dans les entrailles vides, et elle remonte lentement, envoyant ses ondes d'ombre. On se noie, sûrement. Ou bien, on tombe au fond d'un long trou, la tête à l'envers, les pieds flottant comme des feuilles. On glisse, et en même temps on est immobile : comment expliquer ça ?

Devant les yeux de verre la nuit est hermétique. On ne voit pas. Qu'est-ce qu'il y a, là, et là ? Rien, rien. Au fond de la mer, peut-être, prisonnier du poids de l'eau opaque, avec des milliers d'années, de lieues, de légendes. Enseveli dans la couleur noire, ne connaissant plus les hommes ni les animaux, ni les plantes. Montagne assise sur montagne, qui regarde l'espace. Les paupières sont ouvertes, elles ne glissent jamais sur les globes des yeux.

On connaît le froid. On est comme ça, tout seul au centre du carrefour, une maison de pierre et de marbre aux grandes fenêtres noires. Il n'y a plus d'air, plus d'eau, plus de feu. C'est une époque de pierres. On a peut-être pour la première fois de vraies pensées, simples et froides et sans désirs. Comment savoir ? A quoi pensent les pierres ? Elles ont des mouvements si lents, elles ont des attentes si longues. Leurs quatre ou cinq faces cassées sont tournées vers les orients et ne bougent pas ; n'avancent pas ; ne reculent pas. Ce sont des paroles de pierres aussi ; elles sont lentes et froides, elles font des efforts qui durent plusieurs siècles. Quand les pierres ont voulu quelque chose pendant 4 500 ans, par exemple, il y a une petite fêlure sur le côté droit. Ou bien un peu de sable a glissé sous elles, un peu de poudre grise. Ou bien il y a des signes bizarres dans leur masse, des signes pour que les enfants les reconnaissent. Quelquefois c'est un X blanc. Quelquefois c'est un petit cercle gris clair en forme de couronne. Quelquefois c'est une lettre chinoise qui dit

ou bien le signe du cœur

Quelquefois c'est un dessin incompréhensible qui représente une sorte de fœtus replié sur lui-même. Quelquefois c'est un coquillage fossile, ou bien une petite caverne creusée dans la pierre noire, et dans la caverne il y a de la poudre de mica. Oui, les pensées des pierres sont comme cela..."

JMG Le Clézio - Mydriase suivi de Vers les icebergs



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