Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°845 (2022-45)

mardi 15 novembre 2022

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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A SCARLATTI - Dormi, o fulmine di guerra

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Couleurs de l'Automne II

Courvières (Haut-Doubs)
octobre 2022



La loge n°5
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022




Pissenlit
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022

Potentille sp.
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022


Scabieuse (en fruit)
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022



Lichen
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022

Aspérule cynanchica
Aspérule de l'Esquinancie : nom d'une maladie qu'elle soignait (l'amygdalite purulente)

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022

<image recadrée>

Chatons de Noisetier
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022

Amanite tue-mouche
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022

Amanite tue-mouche
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022




Alchemille
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022



Saule à cinq étamines (en fruit)
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 16 octobre 2022


Achillée (rose) et rosée
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 29 octobre 2022



Abeille
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 29 octobre 2022

<image recadrée>



Achillée (blanche)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 29 octobre 2022



Nappes de brume sur Courvières
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 29 octobre 2022



Marguerite et rosée
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 29 octobre 2022



Achillée (rose) et rosée
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
dimanche 30 octobre 2022

Pissenlit (en fruit)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
dimanche 30 octobre 2022



Laiteron
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
dimanche 30 octobre 2022



Pissenlit (en fleur)
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
dimanche 30 octobre 2022



Marguerite et rosée
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
dimanche 30 octobre 2022

Silène enflé et rosée
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
dimanche 30 octobre 2022





Suggestion de lecture :

" 1

DERNIÈRES VISIONS DU PORT

D’un coup, la ville devint folle. Lorsque les dirigeants de GoldTex annoncèrent que le rachat de la Grèce était finalisé, les citoyens d’Athènes furent pris de panique. Eux qui s’étaient massivement opposés à cette acquisition, qui, durant des mois, avaient manifesté, soutenu la jeunesse lorsqu’elle construisait des barricades et jurait d’aller jusqu’au bout, finirent par se tourner vers l’oppresseur et voulurent tous partir. Même les plus réticents étaient en proie à cette obsession : quitter la ville, ne pas rester prisonniers de ce piège, rejoindre au plus vite GoldTex et poursuivre leur vie ailleurs. Ils sentaient bien que leur monde allait disparaître et ils avaient peur. Des rumeurs circulaient : on disait qu’il fallait faire vite, que seuls les premiers seraient pris, que le sort des autres promettait d’être sombre. On disait que la Grèce allait être démembrée, vendue par morceaux, et que ceux qui resteraient habiteraient bientôt sur une terre d’esclaves, oubliés de tous.

Il fallait s’en aller. Plus personne n’en doutait. La folie s’emparait de la rue. Sur l’avenue Tsaldari, une femme qui traînait derrière elle deux valises et ses trois enfants en bas âge s’arrêta net, se dégrafa jusqu’à montrer sa poitrine et se mit à hurler : « Prenez-nous ! Prenez-nous puisque vous achetez tout ! »  Sur le boulevard Thiseos, des hommes essayèrent de forcer un taxi à rejoindre le port. Devant la résistance du chauffeur qui s’enferma dans l’habitacle, ils finirent par saccager le véhicule, puis l’asperger d’essence et danser autour avec une rage qu’eux-mêmes, des jours plus tard, furent incapables d’expliquer. La défaite était consommée et la ville entière voulait fuir. Mais cela ne dura que quelques jours. Très vite, une résignation silencieuse succéda aux comportements les plus fous. Si c’était encore de la panique, elle était d’une autre nature. Les gens sortaient dans la rue avec accablement, comme s’ils s’étaient résolus à n’être que du bétail, comprenant que leur individualité ne pouvait plus s’opposer à rien de ce qui venait. Athènes marchait tête basse. Les familles avançaient, visage fermé, sans un mot. Toutes les artères qui menaient au port, à la gare ou à l’aéroport étaient saturées. Dans un réflexe absurde, beaucoup prenaient leur voiture, puis, une fois bloqués dans des embouteillages démesurés, constatant qu’ils ne pourraient plus ni avancer ni faire demi-tour, abandonnaient leur véhicule en plein milieu de la route pour poursuivre à pied, rajoutant ainsi encore au chaos. La longue file de voitures abandonnées semblait désormais n’être là que pour obliger les foules à des circonvolutions cruelles : rentrer le ventre, mettre sa valise sur la tête, se faufiler entre les carrosseries qui brillaient au soleil et réverbéraient une chaleur insupportable. Sur la bretelle périphérique qui menait à l’aéroport, le spectacle était inouï : des hommes et des femmes, par milliers, patients, résignés.  Malgré les annonces qui précisaient régulièrement que plus aucun avion ne prenait de passager, que de toute façon il était impossible d’atteindre les aérogares tant il y avait de gens sur place, la foule continuait à se présenter dans le vain espoir qu’un pilote finisse par contrevenir à tous ces ordres. La ville entière voulait partir mais elle était immobilisée par son propre nombre. Les rues grondaient du piétinement des foules impatientes, de ces milliers d’enfants tenus par la main à qui on disait de cesser de pleurer. Lorsque les nouveaux arrivants découvraient cette marée humaine, étrangement, au lieu de rebrousser chemin, ils y prenaient place avec l’assurance que c’était bien là qu’il fallait être, faisant taire en eux leur bon sens, et même leur instinct de survie, acceptant de s’annihiler dans la masse comme s’il y avait un réconfort à se presser ainsi les uns contre les autres, celui, peut-être, de constater qu’ils n’étaient pas seuls et que leur frayeur et leur infortune étaient partagées. Tout était lent et pénible. La foule était exaspérée par sa propre impuissance. Il fallait supporter cette attente qui, au mieux, n’amènerait qu’au triste contentement d’avoir gagné quelques dizaines de mètres et au pire, vous excitait les nerfs.

Lui, comme les autres, s’était levé pour partir mais, à la différence de toutes ces familles apeurées, il avait un badge et un brassard qui lui permettaient de passer les barrages, de doubler les files immobiles. On l’enviait pour cela. Il le sentait dans le regard que les femmes épuisées lui lançaient.

Sur le port du Pirée, deux paquebots s’apprêtaient à quitter Athènes. C’étaient des bêtes immenses mais qui semblaient bien petites au vu de ces milliers de candidats qui espéraient monter à bord. L’embarquement avait commencé. Tous avançaient vers la passerelle avec une lenteur inventée par un bourreau méthodique. Il fallait montrer ses papiers, renoncer aux objets trop volumineux qu’on avait espéré pouvoir emporter. C’était chaque fois des cris, des protestations, des tentatives vaines de convaincre.

Il regardait cette humanité défaite et se sentait honteux de la quitter. Le navire militaire qui était à quai, plus petit que les deux autres, semblait l’attendre. Personne ne s’en approchait. Il était protégé par des soldats qui tenaient à distance les candidats à l’exil. C’est là qu’il allait d’un pas rapide. Deux jours plus tôt, il avait reçu son ordre d’évacuation personnel. Il avait fallu essayer de faire tenir dans sa petite valise tous les objets de son quotidien. Il n’avait dit au revoir à personne. Ses parents étaient morts quelques années plus tôt, et pour la première fois, il en fut heureux car il pensa à la tristesse qui les aurait saisis s’il leur avait été donné de voir ce naufrage. Le bateau finissait de faire le plein. Il monta à bord et s’installa sur le pont pour observer le plus longtemps possible ce pays qu’il quittait.

Cela aurait dû durer des heures encore, le temps que l’équipage termine les dernières vérifications, mais soudain, un bruit fracassant déchira ses oreilles. Il sentit un souffle chaud sur son visage et dut s’accrocher à la rambarde pour ne pas tomber à terre. Une explosion venait de souffler, en une fraction de seconde, toutes ces vies, toutes ces valises, ces familles encombrées. Elle avait même percé la coque du paquebot d’à côté. De là où il était, il vit la foule refluer vers les hangars. C’était la panique. Plus rien n’existait de la calme lenteur qui régnait encore l’instant d’avant. Des corps tombaient, d’autres les piétinaient sans même s’en rendre compte. Des mains lâchaient des enfants. Des familles se retrouvaient séparées. Et puis, quelques minutes plus tard, du côté des hangars, à l’endroit où tout le monde accourait pour s’éloigner le plus possible du lieu frappé par la mort, une seconde bombe explosa, tuant ceux qui croyaient s’être sauvés. C’était imparable et monstrueux. Tout saignait. Tout gémissait. Plus personne ne savait vers où fuir. Lui était tétanisé. Il ne pouvait plus quitter des yeux ce spectacle horrible. Il savait qu’il faudrait des heures pour retrouver les victimes et les compter. Des heures pour évacuer la zone et organiser le secours des blessés. Des heures pour ramasser les corps en miettes. Il était abasourdi, impuissant devant le carnage, avec, sous les yeux, cette foule indistincte qui venait de perdre tout espoir. Il pensa immédiatement au groupuscule Tigimas*. C’était probablement lui qui venait de frapper. Cela faisait des semaines qu’il menaçait de s’en prendre aux civils. Il avait prévenu qu’il ciblerait les gares et les ports pour empêcher les départs. Tout allait devenir laid. La Grèce allait être brûlée, écrasée. Elle allait se dévorer elle-même. Il était là, lui, accablé par ce spectacle d’horreur, inutile, parce que loin, déjà si loin, séparé du drame par les bastingages, par la hauteur du bâtiment et par le fait que le capitaine avait ordonné de précipiter le départ et de larguer les amarres au plus vite. La lenteur avec laquelle le navire quitta le port contrastait avec la fureur qui régnait sur les quais. Il resta sur le pont, ne pouvant quitter des yeux, face à lui, la ville qui fumait, souffrait, criait. Les familles, là-bas, comprenaient que les bateaux ne partiraient pas aujourd’hui, qu’elles étaient prises au piège, frappées de tous côtés. Il les regarda pendant de longues minutes. Il ne pouvait plus rien, n’était déjà plus l’un d’eux. Il savait qu’il ne reviendrait plus. C’était la dernière image d’Athènes qu’il emportait avec lui : une ville à la bouche grande ouverte qui sentait la poudre et le sang. Tout était fini. Il ne serait plus jamais grec..."

* « τη γη μας (ti gi mas) » : « Notre terre », en grec.


Laurent GAUDE - Chien 51



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