Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°817 (2022-17)

mardi 26 avril 2022

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Jan Dismas ZELENKA - Laetatus sum ZWV 90

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  Locataire de la grange !



lundi 04 avril 2022


 
  Un Hérisson...
- jeudi 21 avril 2022



 
Corneille noire et Pie

Courvières (Haut-Doubs)
décembre 2021
janvier,février et mars 2022




Corneille noire
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 19 décembre 2021


Corneille noire
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 19 décembre 2021




Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 19 décembre 2021



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Corneille noire
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 19 décembre 2021



Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
samedi 22 janvier 2022
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Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 25 février 2022

Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 9 mars 2022


Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 18 mars 2022

<image recadrée>

Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 18 mars 2022

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Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 18 mars 2022



Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 18 mars 2022


<image recadrée>


Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 18 mars 2022



Corneille noire
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
lundi 19 mars 2022

Corneille noire et Buse variable (2)
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
lundi 19 mars 2022



Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022


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Pie
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022
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Suggestion de lecture :

"


Mais il est une heure où tout s'apaise. Les nuages s'allongent et rougissent dans le couchant ; ils se sont immobilisés sur les collines au-delà de Nîmes et d'Uzès, ils dorment déjà. Ici le ruisseau sifflote. L'ombre démesure l'inquiétude, mais le romantisme ouvre dans la peur des clairières organisées. Les fantômes s'éloignent avec le soleil. Une longue sauterelle verte prépare soigneusement le déclic de ses cuisses. On la voit penser à son bond. Elle pétrit la poussière de ses petites griffes, elle tourne de tous les côtés sa tête de Philippe-Auguste, elle mesure de l'antenne la profondeur de l'air, elle accumule sa force dans ses genoux, enfin elle saute, ouvre ses ailes rouges, et va retomber à un endroit tout à fait semblable à celui qu'elle a quitté. Des essaims de mouches font voler des voiles de veuves. Des vols de moustiques épais comme des tigres aiguisent leurs griffes contre la soie de l'air. La plonge des grenouilles ajoute une dimension à la profondeur du soir. La chouette secoue ses feutres de buisson en buisson. L'engoulevent bourdonne. Quelque part un échassier craque. C'est l'heure aussi du vrai renard, plus invisible que son fantôme ; mais il aboie et ses démêlés domestiques donnent du volume à la nuit. Des rats fuient des dangers de rats, poursuivent des proies de rats ou rêvent des rêves de rats faits de galops, tous en bande, ventre à terre. La dernière lueur du jour miroite au tranchant de la dernière hirondelle. La première étoile s'allume. Le brasier des villes et des villages éclaire l'horizon courbe de la steppe. On entend gronder le gros bras du Rhône. Les poissons font claquer le plat des étangs. Le cri mélancolique des hérons creuse la nuit vers Aigues-Mortes. Le silence est d'une éloquence romaine. Tout ce qui vit circule et se déplace sans bruit, même les roseaux, même les arbres rabougris. Les étoiles envahissent le delta. Il y a plus de constellations dans le Vaccarès que dans le ciel. La boue et la pourriture ont une odeur de confiserie turque.

L'amour et l'égorgement ayant le même cri, on croit que toute la matière est en train d'aimer. Les illusions de la nuit ont un langage de nourrice. On entend hennir des chevaux, mugir des bœufs, mais on ne sait pas si ces bruits de hardes viennent de la terre ou de la mer qui remue ses abîmes et frotte ses sables.

Le rouge du soleil est encore en Piémont qu'ici palpite l'aube la plus large qui soit. La nuit n'a pas encore quitté les ruelles d'Arles et, déjà, multipliée par les étendues d'eau et les sables, une lumière de neige installe ses reflets sur les étendues désertes. La mer elle-même est encore noire. Vers Miramas, Salon, et du côté de l'étang de Berre où la terre est aussi nue, où les plans d'eau sont plus vastes et qui sont plus proches de l'est, l'aube est encore bleue ; ici, réfléchie par les sables, elle a pris tout de suite une extraordinaire blancheur. A Avignon, les hirondelles mettent à peine le bec hors du nid, ici elles tournoient et grincent dans le ciel aigre. Dès le premier rayon du soleil, la plume éclate de tous les côtés ; le noir de la bergeronnette, le rouge du traquet, le jaune du pluvier, le vert de la guignette, le gris du chevalier, le vert du vanneau, le rouge de la barge, le gris du courlis, le banc de la harle, jusqu'au tadorne orange, jusqu'à la macreuse qui fait tourner au-dessus des marais des vols de laine bleue.

Tout ce qui vole, tout ce qui trotte, tout ce qui rampe s'émeut. Pendant que le soleil gravit les Alpes dans l'est, s'installe en Camargue un raide moment de vie. La nuit, où les meurtres s'accomplissent en un demi-sommeil, s'enfuit vers les Cévennes ; le jour africain qui enflamme le sang n'est pas encore là. La laie suivie de ses marcassins quitte sa bauge. On ne voit de ces animaux que la raie noire qu'ils ont sur le dos, le reste du poil est couleur de terre. Les vols d'échassiers traversent le ciel comme des graines d'érables emportées par le vent. Le lézard vert émerge des fossés, il avance sur le sable de son pas de somnambule : il court à toute vitesse ou il s'immobilise soudain, pétrifié, sans raison. C'est le « guilleret » ou le « guillenvert ». D'aucuns prétendent que sa morsure est terrible, d'autres, qu'il est le compagnon de Diane et qu'il prévient le chasseur endormi en lui passant sur le ventre à l'approche de la vipère. Il est le roi de la catalepsie ; au milieu d'une course, au milieu d'un bond, il se fige, se pétrifie dans une immobilité de marbre. Son œil seul reste vivant. Quand il se bat il ressemble à un chat : il arrondit l'échine en s'élevant sur ses pattes, il abaisse la tête, il gronde en silence, c'est-à-dire qu'au lieu d'enfler la voix, la colère le fait menacer dans un murmure de plus en plus faible, et c'est en silence qu'il saute sur son adversaire. Il est vert comme si la couleuvre verte venait à l'instant même d'être inventée pour lui. Le zoologiste dit qu'il affectionne l'attitude spectrale. La vérité est qu'il voit les dieux ! Les dieux de cette terre sont des monstres. Je ne veux pas dire qu'ils sont des diplodocus mais simplement qu'ils ne peuvent pas être compris par le raisonnement cartésien. Le Christ, Bouddha, Mahomet et tous les ophidiens des Astèques ne sont que les viscères de ces dieux énormes.

La coronelle ou couleuvre lisse sort de son trou. C'est le plus intelligent des serpents. Lui aussi voit Dieu de son petit œil opalin qui semble aveugle, mais il n'entre pas en transe pour si peu. C'est un Chinois ; il passe sa journée à écrire des idéogrammes sur le sable. Et voici le guerrier : le zaménis ou couleuvre verte et jaune appelée également fouet ou loup cinglant à cause de sa longue queue fine. Ce serpent mesure facilement un mètre à un mètre trente de longueur totale. Il est arrogant et plein d'initiatives ; il grimpe aux arbres, il pille les nids. Il est d'un caractère vif et farouche, il mord furieusement. Seul le « guillenvert » lui résiste, lui saute à la gorge et s'en débarrasse. Les autres, il les avale, nus et crus, vivants. Il aime sentir la proie agoniser lentement et se débattre, et même griffer son gosier extensible. Sa gourmandise c'est l'agonie des autres. Il aime non seulement s'en nourrir, mais en jouir. L'inerte, il n'en a que faire, mais dès qu'il voit vivre autour de lui, il pense (car il pense) qu'il serait voluptueux de digérer cette vie. C'est un animal politique. Sa digestion est césarienne. Il a deux pénis armés d'épines recourbés en arrière qui rendent, quand il s'accouple, la séparation difficile, souvent tragique. La femelle n'a qu'à mourir ou à tuer le mâle et à le dévorer (ce qu'elle préfère se payer neuf fois sur dix). Il faut parler longuement des serpents. Il y a les deux grands serpents du fleuve qui enlacent cette terre, il y a les marais, les boues, les sables, les enchevêtrements d'épaves végétales, cette atroce chaleur, cette aveuglante lumière, ces dieux invisibles ; c'est le lieu géométrique du serpent.

A cette heure où le soleil est encore en train de gravir péniblement le versant oriental des Alpes, tout ce qui vole, tout ce qui rampe, tout ce qui saute, profite de la lumière blanche de l'aube. C'est un moment de faste. Ils profitent de la gloire de leurs plumes, de leurs poils, de leurs écailles. Ils n'existent pas encore ; ils ne sont pour l'instant que mis en mouvement par leur essence.

La couleuvre à collier ou couleuvre des dames : tête grosse, museau court, yeux grands, pupille ronde, iris jaune : un œil dont la lumière a l'air de sortir, comme si le reste du monde était l'oeil et cet œil le spectacle. La femelle est une dondon, c'est elle qu'on voit le plus souvent : elle est longue d'un mètre en moyenne. Dans certains cas, elle atteint deux mètres et plus ; elle est épaisse, elle ne rampe pas en idéogrammes déchiffrables comme la coronelle, elle se traîne. Ce n'est pas une savante, c'est une ménagère. Son mâle est svelte et plus petit, on ne croirait pas qu'ils sont de la même race : il frétille, il est olivâtre, parfois bleu, il est décoré de la Toison d'or : un collier blanc supportant un triangle orange. La couleuvre à collier ne mord pas ; d'où son nom de couleuvre des dames. Mais elle effraie par sa grosseur, son muscle, son aspect féroce, son œil qui refuse le spectacle du monde et de considère comme le spectacle du monde. On croit savoir que c'est pourquoi elle ne mord pas. Par contre, la couleuvre des dames a coutume d'arroser copieusement de la sécrétion nauséabonde de ses glandes cloacales et de ses déjections ceux qui la saisissent. Ils sont rares. Elle est énorme et elle prend facilement une attitude féroce. Elle ingère sa proie en commençant par les parties postérieures pour lui laisser tout le temps de crier. Elle se réjouit de ces cris. Malgré sa lourdeur c'est un bel animal dans le matin, quand il ne chasse pas encore et qu'il profite de sa beauté. On le voit dans les avenues que l'eau a délaissées ou aux abords des marais dans les premières boues. Il n'est jamais dilapidé parce qu'on ne peut pas espérer le tuer à coups de pierre. On le tue au bâton ou au fusil.

Le serpent, quel qu'il soit, est d'une beauté si simple et si totale que l'homme le tue par plaisir.

Revenons aux oiseaux puisqu'on parle de beauté. Ils sont des milliers de toutes races, de toutes plumes, de toutes couleurs. Il n'est pas un îlot perdu du lointain Atlantique qui ne délègue ici son fou de bassan, sa mouette rieuse, son goéland pygmée, son hirondelle de mer, ou sa griffette noire. Le cormoran, la harle huppée, la harelde de miquelon, le plongeon, le vanneau, le bécasseau, le toune-pierre, la guignette mélangent dans mille sortes de vols, le rouge, le vert, le bleu, le jaune, l'orange, le noir, le blanc pur et ce gris d'iris dans lequel toutes les autres couleurs se résolvent. Jusqu'au paradisier connu sous le nom de sifilet qui porte de chaque côté de la tête trois plumes étroites extraordinairement prolongées et sur ses flancs le beau vernis émeraude qui vient ici faire le mousquetaire et se friser la moustache. Certains sont réputés ne vivre que dans de lointaines Sibéries : ils sont là. D'autres, comme le couroucou à tête d'or ou le cotinga bleu ont besoin des savanes et des fleuves à alligators et ils sont là dans ce pays de sables nus, de joncs et de petits lézards. Il y a même le touracos cette sorte de Phénix, cet oiseau rouge qui déteint dans l'eau. Si le touracos se mouille et s'il se frotte dans le sable, le sable devient rouge, et le touracos devient blanc ; mais dès qu'il sèche il redevient rouge. Les mêmes faits ne se produisent plus sur la dépouille morte et desséchée de l'oiseau..."

Jean GIONO - Camargue



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