Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°815 (2022-15)

mardi 12 avril 2022

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Johnny CASH - The ballad of Ira Hayes

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Chardonneret, Verdier et Pinsons

Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
février et mars 2022



Pinson des arbres mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 11 février 2022



Chardonneret élégant
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 11 février 2022

Chardonneret de face
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 13 février 2022



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Chardonneret
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 13 février 2022



Portrait de Chardonneret
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 13 février 2022
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Chardonneret (2)
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 13 février 2022



Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
samedi 19 février 2022



Dans la neige...
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 25 février 2022

Pinson du Nord mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 février 2022



Pinson du Nord mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 février 2022



Pinson des arbres mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 2 mars 2022

Verdier d'Europe mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 2 mars 2022



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Pinson du Nord femelle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 5 mars 2022


Verdier d'Europe femelle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 5 mars 2022

Pinson du Nord femelle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 5 mars 2022

  Pinsons femelles
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 5 mars 2022
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Chardonneret élégant
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 5 mars 2022



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Pinson et Moineau
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
vendredi 5 mars 2022



Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 9 mars 2022



Couple de Pinson des arbres
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 9 mars 2022



Verdier d'Europe femelle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
samedi 19 mars 2022



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Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mardi 22 mars 2022



Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 23 mars 2022



Pinson des arbres femelle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 23 mars 2022



Pinson des arbres mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 23 mars 2022



Pinson des arbres mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 23 mars 2022



Pinson du Nord mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 23 mars 2022



Verdier
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 23 mars 2022



Pinson des arbres femelle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
mercredi 23 mars 2022



Pinson des arbres mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022



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Combat de Verdiers
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022



Vol
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022



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Couple de Verdier d'Europe
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022



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Chardonneret élégant
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022



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Chardonneret élégant
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022







Chardonneret élégant
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022





Pinson des arbres mâle
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022





Verdier d'Europe
Courvières, Champ-Margot (Haut-Doubs)
dimanche 27 mars 2022





Suggestion de lecture :

"Ce jour de novembre, une longue caravane de chevaux chargés arriva sur la rive gauche de la rivière, où elle s’arrêta pour la nuit. L’agha des janissaires, avec son escorte armée, retournait à Constantinople, après avoir pris dans les villages de Bosnie orientale le nombre d’enfants chrétiens prévu en guise de tribut.
Six ans s’étaient écoulés depuis le dernier paiement de cet impôt du sang, aussi le choix avait été, cette fois, aisé et riche ; on avait trouvé sans difficultés le nombre voulu d’enfants mâles en bonne santé, intelligents et de belle apparence, entre dix et quinze ans, malgré le fait que de nombreux parents cachaient leurs garçons dans les forêts, leur apprenaient à jouer les simples d’esprit ou à faire semblant de boiter, les habillaient de haillons et les maintenaient dans la saleté pour les soustraire au choix de l’agha. Certains allaient même jusqu’à mutiler leurs propres fils, en leur coupant un doigt de la main.
Les enfants sélectionnés étaient expédiés sur de petits chevaux bosniaques, en un long convoi. Deux panières tressées étaient arrimées, comme pour transporter des fruits, de part et d’autre des bêtes, et dans chacune d’elles on avait mis un enfant avec son petit paquetage et une part de pita au fromage, dernière chose qu’il emportât de la maison paternelle. De ces panières, qui se balançaient en rythme en crissant, dépassaient les visages frais et apeurés des garçons enlevés. Certains regardaient calmement au-delà de la croupe de la bête, le plus loin possible vers leur village natal, d’autres mangeaient et pleuraient en même temps, d’autres encore dormaient, la tête appuyée au bât.
À quelque distance des derniers chevaux de cette caravane peu ordinaire, suivaient, courant en tous sens et à bout de souffle, de nombreux parents et cousins de ces enfants que l’on emmenait pour toujours et qui, une fois circoncis et turquisés dans ce monde nouveau, oubliant leur foi, leur pays et leurs origines, passeraient leur vie dans les détachements de janissaires ou dans un autre corps d’élite de l’Empire. C’étaient surtout des femmes, en majorité mères, grands-mères ou sœurs des enfants enlevés. Lorsqu’elles s’approchaient trop, les cavaliers de l’agha les chassaient à coups de fouet, lançant sur elles leurs chevaux en criant le nom d’Allah. Elles s’enfuyaient alors et se cachaient dans la forêt le long du chemin, se regroupant aussitôt après derrière le convoi et s’efforçant d’apercevoir une dernière fois à travers leurs larmes, au-dessus de la panière, la tête de leur enfant qu’on emmenait. Les mères étaient les plus obstinées et les plus dures à contenir. Elles couraient, d’un pas résolu et sans regarder où elles mettaient les pieds, débraillées, échevelées, oubliant tout autour d’elles, se lamentant comme si elles pleuraient un mort, ou encore, éperdues, gémissaient et hurlaient comme si leur utérus se déchirait dans les douleurs de l’enfantement, se précipitaient, aveuglées par les sanglots, sur les fouets des cavaliers et répondaient à chaque coup par une question désespérée : « Où l’emmenez-vous ? Où me l’emmenez-vous ? » Certaines essayaient d’appeler leur enfant et de lui donner encore quelque chose d’elles-mêmes, ce qui pouvait tenir en deux mots, quelque ultime recommandation ou un conseil pour le voyage.
— Rade, mon fils, n’oublie pas ta mère…

— Ilija ! Ilija ! Ilija ! criait une autre femme, cherchant désespérément du regard la tête familière et chérie, et elle répétait cela sans arrêt comme si elle voulait graver dans la mémoire de son fils ce nom qui, dans quelques jours, lui serait enlevé à jamais.

Mais le chemin est long, la terre dure, le corps faible et les Ottomans puissants et impitoyables. Peu à peu, ces femmes perdaient du terrain et, épuisées par la marche, chassées par les coups, renonçaient tôt ou tard à ces efforts vains. Au bac de Višegrad, les plus tenaces devaient céder car on ne les acceptait pas à bord, et il était impossible de traverser autrement la rivière. Là, elles pouvaient s’asseoir tranquillement sur la berge et pleurer, car on ne les refoulait plus. Elles attendaient, comme pétrifiées et insensibles à la faim, à la soif et au froid, d’apercevoir encore une fois sur l’autre rive la longue cohorte des chevaux et des cavaliers qui disparaissait vers Dobrun, y devinant leur enfant qui s’évanouissait à leurs yeux.

Ce jour de novembre, dans une de ces nombreuses panières, un garçon brun d’une dizaine d’années, originaire du village haut perché de Sokolovići, regardait autour de lui, en silence, les yeux secs. Dans sa main gelée et rougie, il tenait un petit canif recourbé dont il tailladait distraitement le bord de sa panière, tout en examinant le paysage autour de lui. Il devait à jamais garder dans sa mémoire la rive pierreuse, plantée de rares saules dénudés et d’un gris triste, le passeur hideux et le moulin à eau délabré, plein de toiles d’araignée et de courants d’air, où ils passèrent la nuit en attendant que tout le monde réussît à franchir les eaux troubles de la Drina au-dessus de laquelle croassaient des corneilles. Tel un malaise physique ancré au plus profond de lui – une ligne noire qui de temps en temps, pendant une seconde ou deux, lui coupait la poitrine en deux en lui faisant très mal – l’enfant emporta avec lui le souvenir de cet endroit où la route était interrompue, où le désespoir et la misère se concentraient et se déposaient sur les berges rocailleuses de la rivière qu’il était difficile, coûteux et le plus dangereux de franchir. C’était le point le plus vulnérable et le plus douloureux de cette contrée par ailleurs accidentée et pauvre, l’endroit où le malheur devenait manifeste et évident, ou l’homme était arrêté par les éléments plus puissants et, humilié par son impuissance, ne pouvait pas ne pas voir sa misère et celle des autres, ainsi que le retard de la région.

Tout cela entrait dans ce malaise physique qui s’installa chez l’enfant ce jour de novembre et ne le quitta plus jamais vraiment, bien qu’il eût changé de vie et de foi, de nom et de patrie.

Ce qu’il advint plus tard de ce petit garçon emmené dans la panière, tous les livres d’histoire le racontent dans toutes les langues, et c’est encore mieux connu de par le monde que chez nous. Avec le temps, il devint un jeune et courageux gardien des armes à la cour du sultan, puis commandant en chef de la Marine, puis gendre du sultan, puis un chef militaire et un homme d’État de renommée mondiale, Mehmed pacha Sokoli, qui mena sur trois continents des guerres victorieuses pour la plupart, agrandit les frontières de l’Empire turc, assura la sécurité au-dehors et par une bonne administration consolida les affaires au-dedans. Au long de ces soixante et quelques années, il fut au service de trois sultans, vécut en bien et en mal ce qu’il est donné de vivre à quelques rares élus seulement, s’éleva à des hauteurs de la puissance et du pouvoir que nous ne soupçonnons même pas, où peu de gens se hissent et parviennent à rester. Cet homme nouveau qu’il devint dans un monde étranger où, même en pensée, nous ne pouvons le suivre, dut oublier tout ce qu’il avait laissé dans le pays d’où on l’avait naguère emmené. Il oublia sans doute aussi le passage de la Drina à Višegrad, la berge nue où les voyageurs tremblaient de froid et d’appréhension, le bac lent et vermoulu, le passeur monstrueux et les corneilles affamées au-dessus de l’eau trouble. Mais le sentiment de malaise que tout cela avait engendré ne disparut jamais complètement. Au contraire, avec les années et la vieillesse, il revenait de plus en plus souvent : toujours la même ligne noire qui lui traversait la poitrine et la transperçait d’une douleur particulière, familière depuis l’enfance, bien différente de toutes les souffrances et douleurs que la vie lui avait apportées par la suite. Les yeux fermés, le vizir attendait alors que la lame noire passe et que la douleur s’évanouisse. C’est dans un de ces moments qu’il lui vint à l’idée qu’il se libérerait de ce malaise s’il pouvait faire disparaître le bac sur la lointaine Drina, là où la misère et le malheur se concentraient et se déposaient sans trêve, en surmontant d’un pont les rives escarpées et les eaux perfides, en réunissant les deux bouts de la route qui était interrompue à cet endroit, reliant du même coup de façon sûre et définitive la Bosnie à l’Orient, le pays de ses origines aux lieux où s’était déroulée sa vie. Il fut ainsi le premier qui, l’espace d’un instant, derrière ses paupières closes, entrevit la silhouette élancée et puissante du grand pont de pierre qui devait voir le jour à cet endroit.
La même année, sur l’ordre du vizir et à ses frais, on entreprit la construction du grand pont sur la Drina. Elle dura cinq ans
..."

Ivo ANDRIC - Le Pont sur la Drina




Pont Mehmed Pacha Sokolovic
à Visegrad (Bosnie-Herzégovine)




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