Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°772 (2021-23)

mardi 15 juin 2021

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Chet BAKER - September song

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  Le couple de Tadorne casarca...


 
Courvières (Haut-Doubs)
- vendredi 28 mai 2021



Sous les nuages... et la pluie...

Courvières (Haut-Doubs)
mai 2021



Fruits de la Drave printanière
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 8 mai 2021



Paquerette
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 8 mai 2021

Renoncule
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 8 mai 2021




Goutte
  La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 16 mai 2021

Gouttes
  La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 16 mai 2021

Jacinthe
(dans le "jardin de curé")

  La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 16 mai 2021

Pervenche
  La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 16 mai 2021



Pissenlit
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 20 mai 2021

Lichen
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 20 mai 2021




Escargot
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 20 mai 2021



Oeil
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 20 mai 2021



Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 20 mai 2021



Lamier blanc
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 22 mai 2021



Lamier pourpre
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 22 mai 2021



Joubarbe
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 22 mai 2021



Après l'orage...
sous le regard de Gabo (!)

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 24 mai 2021



Après l'orage...
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 24 mai 2021



Pissenlit après la pluie
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 27 mai 2021



Cétoine dorée
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 27 mai 2021



Alchemille
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 27 mai 2021

Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 27 mai 2021



Fraisier des bois
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 30 mai 2021

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 30 mai 2021



Suggestion de lecture :

"Il quitta l'autoroute, puis la nationale, et bientôt les départementales.


Réalisa alors, pour la toute première fois depuis des mois, que la Terre tournait autour du Soleil, eh oui, et qu'il vivait dans un pays soumis au rythme des saisons.

Sa propre torpeur, les lampes, les néons, la lueur des écrans et les décalages horaires, tout avait conspiré à le lui faire oublier. Fin juin, début de l'été, il ouvrit grand les fenêtres et rentra son premier foin.

Autre révélation, la France.

Tant de paysages dans un si petit pays... et ces couleurs... Cette extraordinaire palette qui variait, contrastait et se précisait selon les régions et leurs matériaux de construction... La brique, la tuile brune et plate, les teintes chaudes de la Sologne. Les pierres patinées, les enduits, le sable ocré des rivières... Puis la Loire, l'ardoise et le tuffeau. Le jeu infini des gris et du blanc crayeux des façades... Ivoire, grèges dans cette lumière de fin d'après-midi... Les toits bleutés soulignés par le rouge brique des souches de cheminées... Les menuiseries souvent pâles, ou plus marquées, selon la fantaisie et les fonds de pot de leurs propriétaires...

Et bientôt, une autre région, d'autres carrières, d'autres roches... Le schiste, la lauze, le grès, la lave et le granit même, par endroits. D'autres moellons, d'autres appareillages, d'autres parements, d'autres couvertures... Ici les murs gouttereaux remplaceront les pignons, là les hivers seront plus rudes et les habitations davantage serrées les unes contre les autres. Là encore, les encadrements et les linteaux moins finement travaillés et les tons plus...

Occasion ou jamais pour Charles d'évoquer le travail remarquable de Jean-Philippe Lenclos et de son Atelier, mais bon... On l'avait sommé de ne plus la ramener alors... Alors il gardait pour lui son attirail, ses contacts, ses références, et roulait de plus en plus lentement. Tournait la tête en grimaçant, mangeait les talus, donnait de brusques coups de volant, fauchait les bordures et traversait de minuscules villages en drainant tous les regards après lui.

La soupe chauffait. C'était l'heure de pincer les géraniums, des bancs et des chaises tirées devant des façades encore toute gorgées de soleil. On hochait la tête à son passage et on le commentait jusqu'au prochain bouleversement.

Les chiens, eux, levaient à peine une oreille. Laissaient courir puces et Parisiens...


Charles était nul en nature. Bocages, haies, futaies, landes, prairies, pâturages, coteaux, bosquets, lisières, charmilles, il connaissait les mots mais n'aurait pas bien su où les placer, sur un relevé topographique... N'avait jamais rien bâti loin des villes et ne se souvenait d'aucun livre auquel il eût pu se référer, les Lenclos s'étant « cantonnés » à l'habitat par exemple.

De toute façon, pour lui, la campagne, c'était cela : un endroit où lire. Devant une cheminée l'hiver, contre un tronc au printemps et à l'ombre l'été. Il en avait tâté pourtant... Quand il était petit chez ses grands-parents, à la grande époque de monsieur Canut avec Alexis, puis, plus tard, quand Laurence l'avait traîné chez tel ou tel de leurs amis, dans leurs... résidences secondaires...

Souvenirs de week-ends peu dépaysants où l'on ne cessait de lui quémander avis, devis, conseils et pans de mur à abattre. Il serrait alors les dents en avisant ces baies vitrées hideuses, ces ouvertures criminelles, ces piscines incongrues, ces caves cadenassées, et ces campagnards en habits du dimanche, à la botte savamment crottée et au cachemire ton sur ton.

Répondait dans le vague, c'était difficile à dire, il faudrait voir, il ne connaissait pas bien la région, puis, ayant scrupuleusement déçu tout ce petit monde, s'en allait, un livre à la main, à la recherche d'un creux où faire la sieste.


[…]


Ensuite Charles la boucla. Fourra son mauvais esprit dans sa poche et mit son mouchoir dégueulasse par-dessus.

L'endroit était si beau...

Il le savait pourtant, que les communs étaient toujours plus émouvants que leurs maîtres... Avait des tas d'exemples en tête... Mais, il ne les cherchait plus, là, il ne pensait plus, il admirait.

Le pont, déjà, aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. L'agencement des pierres, l'élégance du tablier, les galets, les rambardes, les piliers...

Et cette cour, dite « fermée » mais si gracieuse... Ces bâtiments... Leurs proportions... Cette impression de sécurité, d'invulnérabilité, alors que tout s'écroulait...


Une dizaine de bicyclettes avaient été abandonnées en chemin et des poules picoraient au milieu des dérailleurs. Il y avait même des oies et surtout un canard étonnant. Comment dire... presque vertical... Comme s'il se tenait sur la pointe des pi... almes...

  • Tu viens ? S'impatienta Lucas.

  • Il est bizarre ce canard, non ?

  • Lequel ? Lui ? Surtout y court super vite, tu verrais...

  • Mais c'est quoi ? C'est un genre de croisement avec un pingouin ?

  • J'sais pas.. Y s'appelle l'Indien... Et quand il est avec sa famille, ils marchent toujours à la queue leu leu, c'est trop marrant...

  • En file indienne alors ?

  • Tu viens ?

Charles sursauta encore :

  • Et lui, c'est qui ?

  • C'est la tondeuse.

  • Mais c'est... C'est un lama !?

  • Commence pas à la caresser parce qu'après y va te suivre partout et tu pourras plus t'en débarrasser...

  • Il crache ?

  • Quelquefois... et son crachat, y vient pas de sa bouche mais de son ventre, et ça puuuue...

  • Mais dis-moi, Lucas... C'est quoi, cet endroit ? C'est un genre de cirque ?

  • Oh oui ! Rigola-t-il, ça tu peux le dire. C'est pour ça que Maman, euh...

  • Elle n'aime pas trop que vous veniez...

  • Pas tous les jours, quoi... tu viens ?


La porte croulait sous un amas de... végétation (Charles n'y connaissait rien en botanique non plus), de la vigne et des rosiers, ça d'accord, mais aussi des machines grimpantes orange pétard en forme de petites trompettes et d'autres, incroyables, mauves, avec un cœur très tarabiscoté, et des... étamines (?) comme il n'en avait jamais vu, en 3D, impossibles à dessiner, et des potes de fleurs... Partout... Aux rebords des fenêtres, le long des soubassements, à l'assaut d'une vieille pompe ou posés sur des tables et des guéridons en fer.

Poussés, serrés, empilés, étiquetés même, pour certains. De toutes les tailles et de toutes les époques, depuis les Médicis en fonte jusqu'aux vieilles boîtes de conserve en passant par des containers décapités, des seaux de granulés Haute Digestibilité et de grands bocaux en verre qui laissaient voir des racines pâles sous leur marque Le Parfait.

Et puis les poteries... D'enfants probablement... Brutes, moches, rigolotes, et d'autres, plus anciennes, improbables, une corbeille du XVIIIè couverte de lichens ou la statue d'un faune auquel manquait une main (celle de la flûte?) mais qui avait le bras encore assez long pour retenir des cordes à sauter...

Des gamelles, des écuelles, une Cocotte-Minute sans poignées, une girouette cassée, un baromètre en plastique qui vantait l'efficacité des amorces Sensas, une poupée Barbie sans cheveux, des quilles en bois, des arrosoirs d'un autre âge, un cartable couvert de poussière, un os à moitié rongé, un vieux martinet accroché à un clou rouillé, un corde, une cloche au bout, des nids d'oiseaux, une cage vide, une pelle, des balais fatigués, un camion de pompiers, une... Et, au milieu de tout ce bric-à-brac, deux chats.

Imperturbables.

L'arrière-boutique du Facteur Cheval.

  • Tu regardes quoi ? Tu viens ?

  • Ils sont brocanteurs les parents d'Alice ?

  • Non, ils sont morts.

  • Tu viens ?


La porte d'entrée était entrouverte. Charles toqua, puis posa sa main bien à plat sur le pan de bois tiède.

Pas de réponse.

Lucas s'était faufilé à l'intérieur. La poignée était plus chaude encore, il la retint un moment avant d'oser le suivre.

Le temps que ses pupilles s'habituent au changement de luminosité, ses papilles étaient déjà éblouies.

Combray, le retour.

Cette odeur... Qu'il avait oublié. Qu'il croyait avoir perdue. Dont il se contrefichait. Qu'il aurait méprisée et qui le faisait fondre de nouveau. Celle du gâteau au chocolat en train de cuire dans la vraie cuisine d'une vraie maison...

Il n'eut pas l'occasion de saliver très longtemps car déjà, et comme sur le seuil quelques instants plus tôt, ne savait plus où donner de l'étonnement.

Un bordel considérable, mais qui donnait une impression étrange. Une impression de douceur, de gaieté. D'ordre...

Des bottes alignées decrescendo sur plusieurs mètres de carreaux en terre cuite, encore des... semis (?) (boutures?) à toutes les fenêtres dans des caissettes en polystyrène ou chapeautant feu des bacs de glace à la vanille, une cheminée gigantesque, creusée à même la pierre et surmontée d'un linteau de bois très sombre, presque noir, sur lequel étaient posés un archet, des bougies, des noix, d'autres nids, un crucifix, un miroir tout piqueté, des photos et une étonnante procession de bestioles fabriquées en trucs de la forêt : écorces, feuilles, brindilles, glands, cupules, mousse, plumes, pommes de pin, marrons, châtaignes, baies séchées, os minuscules, coques, bogues, ailettes, chatons...

Charles était fasciné. Qui a fait ça ? Demanda-t-il dans le vide.

Une cuisinière, plus imposante encore, en émail bleu ciel, avec deux gros couvercles bombés sur le dessus et cinq portes en façade. Ronde, douce, tiède, appelant la caresse... Un chien devant, sur une couverture, sorte de vieux loup qui se mit à gémir en les apercevant, tenta de se redresser pour les accueillir, ou les impressionner, mais qui renonça, et s'affaissa en couinant de nouveau.

Une table de ferme (de réfectoire?), immense, bordée de chaises dépareillées, sur laquelle on venait de dîner et qui n'avait pas été débarrassée. Des couverts en argent, des assiettes bien saucées, des verres à moutarde copyrightés Walt Disney et des ronds de serviette en ivoire.

Un vaisselier ravissant, stylé, fin, chargé jusqu'à la gueule de terrines, de faïences, de bols, d'assiettes et de tasses ébréchés. Dans le creux d'une souillarde, un évier en pierre, sûrement très mal commode, où s'empilaient des tas de casseroles dans une bassine jaunie. Au plafond, des paniers, un garde-manger au tamis troué, une suspension en porcelaine, une espèce de boîtier presque aussi long que la table, creux, ponctué d'ouvertures et d'encoches où se balançaient l'histoire de la cuillère à travers les âges, un rouleau à mouches d'un autre siècle, des mouches de celui-ci, ignorant le sacrifice de leurs aïeules et se frottant déjà les pattes à la perspective de toutes ces bonnes miettes de gâteau...

Sur les murs que l'on avait dû chauler sous les Valois, des dates et des prénoms d'enfants le long d'une toise invisible, de nombreuses fissures, une nature morte, un coucou muet et des étagères se chargeant, elles, de remettre les pendules à l'heure...

Attestant d'une vie plus ou moins contemporaine de la nôtre, pliant sous le poids de paquets de spaghettis, de riz, de céréales, de farine, de pots de moutarde et autres condiments aux marques familières et dans des formats dits familiaux.


Et puis... Mais... Cette densité surtout... Derniers rayons d'une des journées les plus longues de l'année à travers une vitre festonnée de toiles d'araignées.

Lumière d'acacia, ambrée, silencieuse. Pleine de cire, de poussière, de poils et de cendres..."

Anna GAVALDA - La Consolante



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