Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°740 (2020-41)

mardi 27 octobre 2020

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement, cliquez [ici]


 
Henry Purcell - Music for a while

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au centre de l'image...



ou cliquez [ici]



Bergeronnette grise

Courvières (Haut-Doubs),
loge n° 5

fin juillet, août 2020



Bergeronnette grise adulte
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 25 juillet 2020

Portrait
<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 25 juillet 2020


Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 25 juillet 2020

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 25 juillet 2020

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 25 juillet 2020
<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 25 juillet 2020

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 8 août 2020

Jeune
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

samedi 8 août 2020

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 8 août 2020

Mouche
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

samedi 8 août 2020

Dans l'ombre...
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 9 août 2020

<image recadrée>

<image recadrée>

<image recadrée>

A la chasse
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 9 août 2020

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 15 août 2020


Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 15 août 2020



Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 15 août 2020

Toillette
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

samedi 15 août 2020

<image recadrée>

<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 15 août 2020

<image recadrée>

Essorage
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

samedi 15 août 2020

Jeune
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

samedi 15 août 2020

<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5
samedi 15 août 2020

Adulte
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

samedi 15 août 2020

Dans la nuit...
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 16 août 2020

Adulte
<image recadrée>

<image recadrée>

<image recadrée>

<image recadrée>

<image recadrée>

<image recadrée>

Jeune
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5

dimanche 16 août 2020
<image recadrée>



Suggestion de lecture :

"I


Je ne suis pas voyageur, c'est un fait. Pendant plus de cinquante ans, c'est à peine si j'ai bougé. J'ai été obligé de gagner ma vie de bonne heure. A quinze ans j'entrais dans la banque pour vingt francs par mois. J'avais sous les yeux le spectacle constamment renouvelé des passions humaines les plus communes. C'était une porte ouverte vers la vérité. Les autres m'étaient fermées. Malgré la très grande habilité à rêver que je tiens de mon père, je ne considérais pas cette invitation à raisonner comme une injustice ou une insolence. J'organisai ma vie en conséquence et je pris goût au racinage.

J'étais sans vanité. Je le suis toujours. J'accepte avec beaucoup d'humilité toutes les invitations à creuser et même à m'ébahir sur place. Je ne suis pas resté quelques jours ou quelques mois dans la banque, mais vingt ans. De l'inspecteur qui vérifiait périodiquement mon travail dépendait absolument mon présent et mon avenir. C'était un gros homme barbu qui fumait des cigares et ne se cachait pas pour mépriser le regard vague que me donnaient les yeux bleus. J'avait beau être excellent employé, comme il le reconnaissait, il m'a toujours laissé sur la corde raide. De là des terreurs et des prudences.

Je me souviens de ce temps-là avec beaucoup de plaisir. Tout a été fort bien. Il est excellent d'avoir ses oeuvres vives en danger dès le début de la vie. Pour peu qu'on vivote cela suffit à donner aux plus timides (ce qui est mon cas) le sentiment de la victoire, fort utile et même fort savoureux par la suite (et qu'on sait dissimuler, ce qui est très important). J'ai revu cet inspecteur en 1934 (il est mort en 1938, je crois). Il me demanda une dédicace sur l'exemplaire d'un de mes livres. Je la fis très affectueuse. Il continuait à me faire peur. Je le comprenais embarrassé dans ses besoins, incapable d'être très bon ou très mauvais, comme tout le monde.

C'est donc la peur qui m'a enlevé l'envie du voyage. A force de sensibilité, j'étais arrivé à avoir de petites joies et même de grandes dans ce bureau obscur où il fallait allumer les lampes vers midi. Rien n'avait plus de goût que certaines longues journées pluvieuses d'hiver, où simplement j'étais au sec, j'avais chaud et le temps de penser à ce que je voulais. C'était une grande chance d'avoir une chaise sur laquelle on gagnait vingt francs. Qui n'aurait pas considéré que s'en éloigner était une parfaite imprudence ?

J'étais un exagéré sentimental, c'est entendu. Mais combien de responsabilités dont je ne parle pas (lourdes à seize ans) et de devoirs que je tenais à accomplir. A cette époque, mon père déjà vieux était devenu capable de secret. Mon amour s'inquiétait des colloques qu'il tenait avec un personnage invisible. J'aurais voulu lui donner une vieillesse heureuse ; à défaut au moins n'être pas à sa charge. Et tout cela dépendait de l'amateur de demi-londrès. Le dimanche soir, je venais m'assurer que l'immeuble de la banque n'avait pas disparu pendant mes courtes promenades dans les collines. Ce sont des habitudes qu'on ne perd pas quand on les a prises dans l'âge le plus tendre. Que n'ai-je pas mis à la place de ce fumeur de cigares quand j'eus ce qu'on appelle la liberté ! Tout y a passé. De là ce qui a ressemblé à l'attachement à une région et même à un amour pour une certaine forme de vie.

Voilà à quoi je pense depuis trois ou quatre ans qu'un voyage en Italie est devenu nécessaire et pendant que je le renvoie de jour en jour. Enfin, j'ai fait établir mon passeport. Cela n'engageait à rien. J'ai laissé le document pendant longtemps sur ma table et ce matin il est dans ma poche, car nous partons tout à l'heure. Nos amis Antoine et Germaine nous mènent en auto.

[...]

Les paysages de Manosque me sont naturellement très familiers. Ce n'est toujours pas partir que me déplacer en voiture le long de ces routes que je parcours à vélo quand je vais à ma ferme. Ce ne sont ni vingt kilomètres, ni trente, ni quarante qui peuvent ici me dépayser. Je n'ai somme toute pas bougé de place quand je passe à Lurs, à Peyruis, à Saint-Auban. Nous nous dirigeons vers les Alpes, et même cette direction-là contente mon coeur. La montagne est ma mère. Je déteste la mer, j'en ai horreur. A Manosque, je vais toujours me promener vers l'Est pour, au tournant des collines, voir apparaître dans l'échancrure de la vallée de la Durance le vaste bol d'opaline bleue où sont entassés les énormes morceaux de sucre des Alpes.

La vue des glaciers et des pâturages à chamois suffit à embraser ma respiration et mon sang. Je ne regarde jamais du côté du sud-ouest où est Marseille et la mer, cet horrible papier de verre qui gratte les rochers, les corps et les âmes. (La haute mer, peut-être, a les qualités de la montagne, mais pour y aller je n'ai pas les moyens que j'ai pour aller en haute montagne. Encore une fois, il faut penser que j'ai toujours dû « aller à l'économie ».) Pendant l'enfance de ma fille Aline, nous allions passer le dur de l'été dans la montagne à Saint-Julien-en-Beauchêne, et, pendant l'enfance de ma fille Sylvie, nous passions de juillet à octobre à Briançon. Voir monter les montagnes devant mes pas a toujours été pour moi l'occasion de sentiments exaltants.

C'est d'ailleurs un peu pour cette raison que j'ai choisi le passage du Mont-Genèvre. Aborder l'Italie par la mer, c'était l'aborder écorché vif. Il fallait longer d'abord toute cette Côte d'Azur si vulgaire, et suivre ensuite, tout autour du golfe de Gênes, les rivières du Ponant et du Levant. Cela faisait beaucoup trop de papier de verre, de râpe à fromage, de kilomètres de femmes à poil en train de sécher. Je n'allais pas me mettre à voyager pour voir le Trayas ou Cannes. (Après avoir pris tant de précautions.) Il me fallait d'abord ces espaces retentissants et déserts qui précèdent les montagnes, puis monter et respirer enfin cet air argenté et limpide, dominer de brunes étendues. J'ai toujours détesté la foule. J'aime les déserts, les prisons, les couvents ; j'ai constaté aussi qu'il y a moins d'imbéciles à trois mille mètres d'altitude qu'au niveau de la mer. (Ce sont évidemment les réflexions d'un homme de cinquante-sept ans, resté timide et peu doué pour la galanterie, avec tous les regrets que ce triple état comporte.) Rien ne me prédispose plus au bonheur que les avenues qui entrent dans les Alpes. Je suis alors comme une chaumière illuminées ; mes yeux flambent.

Par chance, le temps clair et brillant que nous avions au départ dans la basse vallée se couvre et avec espoir, c'est-à-dire que certains coins du ciel entre deux sommets sont même d'un noir d'orage. J'imagine le Mont Genèvre bouché de brouillard et j'ai un très vif plaisir à sentir que l'auto se dirige assez vite de ce côté-là. Le feuillage des peupliers et des trembles est déjà doré par endroits. Ces arbres très mélancoliques sur le ciel noir font avec leurs troncs d'albâtre une escorte royale à l'entrée d'Embrun. Malgré le temps menaçant, nous sommes tous d'accord pour laisser la voiture découverte. C'est ainsi que nous voyons s'organiser autour de nous le haut paysage de Briançon.

En 1934-1935, nous avons été parfaitement heureux, Elise et moi, dans cette région. Nous avions loué à une Mme Dumont quatre grandes pièces dans une vaste maison à allure de couvent au hameau des Queyrelles. Nous étions en face de la ville de Briançon, la dominant de peu mais assez pour l'avoir sous nos yeux, semblable à une vieille estampe avec ses remparts et ses portes. Assis dans le verger clos de murs qui donnait à la maison son caractère de chartreuse retirée si chère à mon coeur, je voyais les mulets bâtés passant les ponts-levis à côté de paysans noirs et de soldats bleus. Les hêtres de la montagne venaient en troupe jusqu'à la fontaine publique où nous allions chercher l'eau de la soupe. Tout de suite au-dessous de nous grondait doucement la Clarée et son confluent dans la Durance. Les nuits étaient bercées du bruit de ces eaux animées sur des pentes encore aimables. Juste avant l'aube, les peupliers se mettaient à bruire plus fort que les torrents dans le vent du Lautaret. Nous commencions tous nos matins en mettant sur notre phono les concertos brandebourgeois de Bach. D'excellents amis venaient partager nos repas. Lucien Jacques habitait avec nous (nous prîmes par la suite l'habitude, lui et moi, d'aller cueillir dans les prés ces petits champignons roses qui font les « ronds de sorcière », et à force d'en manger nous eûmes des hallucinations fort inquiétantes. Elles nous saisissaient éveillés.) Je travaillais dans un grenier sombre et sonore, hanté de grands meubles ; je n'ai jamais su lesquels ; il y avait cependant un lutrin, énorme. Aline, grave et fine, usait de son visage italien pour faire ses amitiés d'enfant avec les oiseaux du verger (aussi avec les fourmis et les scarabées cétoines). Sylvie, gorgée de lait, mûrissait sans à-coup, grasse et belle dans son berceau. Elise se brisa la cheville un matin que nous allions camper au clos des Cavalles.

Nous reconnaissons nos anciens quartiers. Certaines toitures passent le nez à travers les feuillages pour nous regarder. Nous haussons le cou pour les voir.

[...]

Depuis que nous sommes en Italie nous n'avons pas encore vu de peinture : à l'huile ou à la fresque, veux-je dire. Les paysages ont été successivement de Poussin, de Giambellino, de Giorgione, de Conegliano, de Bellini, et même de Giotto, et même de Tiepolo, avec Angelica e Medoro nella capanna dei pastori. Nous avons vu déambuler des Raphaël (pas de Michel-Ange), des Raphaël qui avaient adopté à la fois le tailleur strict et le chapeau surréaliste ; les villages nous ont montré leurs coqs et leurs natures mortes de Grivelli.Je vais au Castel Vecchio voir la Madone de Stephano da Verone. Elle est dans un jardin persan. On ne peut pas imaginer la richesse de ce petit jardin de curé dans lequel la Madone est assise. Il est étroit comme un sarcophage ; il est clos de murs où sont plaquées les arabesques d'un espalier et d'un lierre. Je ne sais pas disserter de peinture ; c'est un art que j'ai compris tard (si tant est que maintenant je le comprenne). Je sais que le ciel blanc d'un grand vent peut donner un air tragique à un après-midi d'été. Dans l'herbe du jardin de la Vierge, cinq ou six anges minuscules attendent on ne sait quoi, comme de petites musaraignes ; on les sent prêts à fuir au moindre geste. Le bébé que la Madone a sur ses genoux est fort joli, gras à faire plaisir. Il a ce dont toutes les mères raffolent : des fossettes aux coudes et aux genoux. Au bas du tableau, une femme triste et qui ressemble trait pour trait à la Madone occupe ses mains vides avec une couronne d'immortelles.

[...]

A Padoue, il y a Giotto. Je le vois avec plaisir. Je n'entends rien à la peinture (on s'en sera aperçu) comme d'ailleurs la plupart des gens qui ne l'avouent pas. Je cherche des sensations. Dans ce cas-là, l'appareil de connaissance n'est pas un instrument stable comme l'intelligence, il est soumis à des contingences diverses : s'il fait chaud , s'il fait froid, si tout va bien, si je suis de belle humeur, ou si tout va mal et si je ronge quelque frein. La très détestable peinture me donne parfois de grandes joies ; l'excellente, il arrive très souvent que je n'en vois pas l'excellence. J'aime par exemple les accords de bleu et de vert, comme on aime les choux-fleurs ou les asperges. Si, à point nommé, je trouve cet accord chez Tartempion, me voilà content. Devant les murs de la chapelle des Scrovegni, j'ai le plaisir que j'ai déjà eu quelquefois devant les vitres d'un bel aquarium. Les couleurs, quoique ici immobiles, jouent les unes par rapport aux autres de la même façon que si elles étaient noyées et mouvantes. Je pense notamment à l'ange qui apparaît à sainte Anne et est représenté en train de plonger par la lucarne vers le corail d'un coffre d'une tunique et d'une auréole. Le rêve de saint Joachim avec ses rochers arides me donne également une sensation de liquide, peut-être à cause également de l'ange qui émerge du ciel bleu comme un thon de la mer. Pour l'entrée du Christ à Jérusalem, cela tient uniquement aux couleurs : le groupe qui suit le Christ a tout entier la couleur que découvrent les ouïes d'une dorade qui respire et l'admirable morceau de peinture du groupe vers lequel le Christ s'avance me fait penser à l'écaille des truites saumonées. Un visage toutefois (il y en a sûrement cent autres) celui de l'homme (au fait je ne sais pas : il est androgyne) en rouge, à gauche du mariage de la Vierge, n'appartient pas à la mer et aux mystères de l'océan, mais à la terre, autrement dit ici-bas. J'oubliais : le ciel du retour de Joseph du temple, exactement le ciel que j'ai vu au-dessus du Piémont au début de mon voyage..."

Jean GIONO - Voyage en Italie



Voir la liste des anciens numéros du"Trochiscanthe nodiflore" (les archives) : cliquez [ici]

Site internet : Rencontres sauvages

Me contacter : pascal@pascal-marguet.com

Calendrier 2020 : Pour le télécharger directement au format pdf (1300 ko), cliquez [ici]

 

Pour vous désinscrire, vous pouvez m'envoyer un e-mail (en répondant à ce message) avec pour objet "désinscription",

ou en cliquant

[ici]

Rejoignez-moi sur "FaceBook" en cliquant sur le lien suivant :

[http://www.facebook.com/marguet.pascal.1654]