Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°725 (2020-26)

mardi 30 juin 2020

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement, cliquez [ici]


 
Beethoven - Sonate pour Piano et Violoncelle
(Allegro vivace)

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au centre de l'image...



ou cliquez [ici]



Ballet de

Bergeronnette grise

Loge n° 5
Courvières (Haut-Doubs)
mai et juin 2020



Bergeronnette grise (adulte)
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 30 mai 2020


<image recadrée>


Courvières (Haut-Doubs)
samedi 30 mai 2020

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 1er juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 1er juin 2020

Toilette
Courvières (Haut-Doubs)

lundi 1er juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 1er juin 2020

<image recadrée>

<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 1er juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 1er juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
mardi 16 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
mardi 16 juin 2020

<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs)
mardi 16 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 18 juin 2020


<image recadrée>



Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 18 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 18 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 20 juin 2020

<image recadrée>

<image recadrée>

<image recadrée>

<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 20 juin 2020

<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 20 juin 2020
<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 20 juin 2020

Etirement
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 20 juin 2020

<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 20 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 20 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 21 juin 2020

Jeune Bergeronnette grise
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 21 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 21 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
mardi 23 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
mardi 23 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
mardi 23 juin 2020

Courvières (Haut-Doubs)
mardi 23 juin 2020




Suggestion de lecture :

"1

La Havane, 2004

  • Repose en paix, furent les derniers mots du pasteur.

Si cette phrase usée, si impudiquement théâtrale dans la bouche de ce personnage, eut jamais un sens, ce fut en cet instant précis où les fossoyeurs, avec une habilité désinvolte, descendirent le cercueil d'Ana dans la fosse ouverte. La certitude que la vie peut devenir le pire enfer, et que cette mise en terre me libérait du joug de la peur et de la douleur, m'envahit comme un soulagement mesquin et je me demandai si d'une certaine façon je n'enviais pas le passage final de ma femme vers le silence, car pour certains la mort, être totalement et vraiment mort, est parfois ce qui ressemble le plus à une bénédiction de ce Dieu avec lequel Ana avait essayé de me réconcilier, sans beaucoup de succès, dans les dernières années de sa pénible vie.

Dès que les fossoyeurs eurent refermé la sépulture et disposé sur la pierre tombale les couronnes de fleurs que les amis leur tendaient, je fis demi-tour et m'éloignai, résolu à me soustraire aux nouvelles accolades et aux traditionnelles condoléances que les gens se sentent toujours obligés de présenter. A ce moment, toute autre parole au monde était superflue : seule la formule éculée du pasteur avait un sens et je voulais m'y raccrocher. Repos et paix : ce qu'Ana obtenait enfin et que je réclamais moi aussi.

Lorsque je m'assis dans la Pontiac pour attendre Daniel, je sus que j'étais au bord de l'évanouissement et j'eus la conviction que si mon ami ne me sortait pas du cimetière, je serais incapable de trouver une issue vers la vie. Le soleil de septembre brûlait le toit de la voiture, mais je sentais que je n'étais pas en état de bouger. Avec le peu de forces qui me restait, désemparé et oppressé, je fermai les yeux pour ne pas succomber au vertige, tandis que je sentais une sueur aux émanations acides glisser sur mes paupières et sur mes joues, sourdre de mes aisselles, de mon cou, de mes bras, inonder mon dos calciné par le vinyle du siège, et devenir un courant chaud qui se précipitait le long de mes jambes avant de s'engouffrer dans le puits fétide et cette immense fatigue n'étaient pas le prélude à ma désintégration moléculaire ou tout au moins à l'infactus qui me terrasserait dans les minutes suivantes, et je trouvai que dans les deux cas cela pouvait être des solutions faciles, désirables même, bien que franchement injustes : je n'avais pas le droit d'obliger mes amis à supporter deux enterrements en trois jours.

  • Ivan, tu te sens mal ? La question de Dany, penché à la fenêtre, me fit sursauter. Merde, regarde-moi ça ! Tu es couvert de sueur...

  • Je veux m'en aller... Mais putain, je ne sais pas comment...

  • On y va, mon vieux, t'en fais pas. Attends une minute, que je donne quelques pesos aux fossoyeurs... dit-il.

Je perçu dans les paroles de mon ami un sens évident de la réalité et de la vie qui me sembla étrange, décidément lointain.

Je fermai de nouveau les yeux et demeurai immobile, transpirant encore, jusqu'au moment où la voiture démarra. J'osai seulement soulever mes paupières lorsque l'air provenant de la vitre ouverte commença à me rafraîchir. Avant de quitter le cimetière, j'avais pu observer les dernières rangées de tombes et de mausolées, rongés par le soleil, les intempéries et l'oubli, aussi morts que leurs locataires, et (avec ou sans aucune raison de le faire à cet instant) je me demandai une fois de plus pourquoi, parmi tant de possibilités, de lointains scientifiques avaient choisi précisément mon nom pour baptiser ce qui serait la neuvième tempête tropicale de la saison.

Bien qu'arrivé à ce point de ma vie, j'ai appris (ou plutôt on m'a appris, pas très gentiment) à ne pas croire aux hasards, trop de coïncidences avaient poussé les météorologues à décider, plusieurs mois auparavant, d'appeler cet ouragan Ivan (nom masculin commençant par la neuvième lettre de l'alphabet en espagnol, et jamais utilisé à ces fins auparavant). L'embryon de ce que serait Ivan avait engendré une concentration de nuages de mauvais augure aux abords du Cap-Vert, mais seulement quelques jours plus tard, dûment baptisé et réunissant toutes les caractéristiques d'un authentique cyclone, il s'approcherait des Caraïbes pour nous placer dans son dévorant point de mire... Et vous allez voir pourquoi j'ai toutes les raisons de croire que seul un hasard retors avait pu décider que ce cyclone, l'un des plus féroces de l'histoire, porterait mon nom, juste au moment où un autre ouragan menaçait mon existence.

Même si, depuis assez longtemps – peut-être trop – Ana et moi savions que sa fin était inéluctable, toutes ces années où nous avions traîné ses maladies nous avaient habitués à vivre avec elles. Mais la nouvelle que son ostéoporose (probablement due à une polynévrite carentielle déclenchée au plus fort de la crise des années 90) avait fini par évoluer en cancer des os nous confronta à l'évidence d'un dénouement proche, et moi, à la macabre constatation que seul mon destin machiavélique pouvait se charger de miner ma femme en lui infligeant, justement, ce mal.

Dès le début de l'année, son état s'aggrava rapidement, toutefois son agonie finale ne débuta vraiment que vers la mi-juillet, trois mois après le diagnostic définitif. Bien que Gisela, sa soeur, vînt fréquemment m'aider, je dus pratiquement cesser de travailler pour m'occuper de ma femme et si nous pûmes survivre durant ces mois-là, ce fut grâce au soutien d'amis comme Dany, Anselmp ou Frank, le médecin, qui passaient souvent nous voir dans notre petit appartement du quartier de Lawton pour nous apporter une aide, prise sur le maigre ravitaillement que, pour leurs propres subsistances, ils parvenaient à se procurer par les voies les plus tortueuses. Plus d'une fois, Dany proposa aussi de venir me seconder auprès d'Ana, mais je refusai son offre, car parmi les rares choses qui ne font qu'augmenter si on les partage, il y a la douleur et la misère.

La situation vécue entre les quatre murs lézardés de notre appartement était aussi déprimante qu'on peut l'imaginer, bien que, dans ces circonstances, le pire fût encore l'étrange force avec laquelle le corps brisé d'Ana se raccrocha à la vie contre la volonté même de sa propriétaire.

Dès les premiers jours de septembre, le cyclone Ivan, désormais au maximum de sa puissance, finissait de traverser l'Atlantique et s'approchait de l'île de Grenade, quand Ana eut une soudaine période de lucidité et un soulagement inattendu de ses douleurs. Comme, sur sa décision, nous avions réfusé l'hospitalisation, une voisine infirmière et notre ami Frank se chargeaient de lui administrer les sérums et les doses de morphine qui la plongeaient dans une somnolence agitée. En voyant cette réaction, Frank m'avertit que c'était l'épilogue et me recommanda de ne donner à la malade que les aliments qu'elle demanderait, de ne pas insister sur les perfusions et de supprimer les drogues, tant qu'elle ne se plaignait pas de ses douleurs, pour lui offrir ainsi, à la fin, quelques jours de lucidité. Alors, comme si sa vie avait retrouvé son cours normal, Ana, avec plusieurs os fracturés, ouvrit de grands yeux et s'intéressa de nouveau au monde qui l'entourait. La télévision et la radio allumées, elle fixa son attention, de façon obsessionnelle, sur la trajectoire du cyclone qui avait entamé sa danse meurtrière en dévastant l'île de Grenade où il avait laissé derrière lui plus de vingt victimes. A plusieurs reprises durant cette période, ma femme me fit un exposé sur les caractéristiques du cyclone, un des plus violents dans les annales de la météo, dont elle attribua la puissance exagérée au changement climatique qui affectait la planète, une mutation de la nature susceptible d'en finir avec l'espèce humaine si on ne prenait pas les mesures nécessaire, me dit-elle avec toute sa conviction. Découvrir que ma femme moribonde pensait à l'avenir des autres fut pour moi une douleur qui vint s'ajouter à toutes celles qui me submergeaient déjà.

Alors que l'ouragan s'approchait de la Jamaïque, dans l'intention évidente d'attaquer ensuite Cuba par l'est, Ana fut prise d'une sorte d'excitation météorologique capable de la maintenir sans cesse sur le qui-vive, dans un état de tension dont elle ne se libérait que pour deux ou trois heures, vaincue par le sommeil. Toutes ses attentes concernaient les péripéties d'Ivan, le nombre de morts qu'il laissait dans son sillage (un à Trinité, cinq au Venezuela, un autre en Colombie, cinq de plus en République dominicaine, quinze à la Jamaïque, qu'elle additionnait en s'aidant de ses doigts déformés), et surtout les estimations de ce qu'il détruirait s'il atteignait Cuba par n'importe lequel des points indiqués à la base d'un cône formé par les possibles trajectoires envisagées par les spécialistes. Ana vivait une sorte de communication cosmique, à la pointe de la confluence symbiotique de deux organismes qui se savaient destinés à se dévorer eux-même dans un délai de quelques jours, et j'en arrivai à me demander si la maladie et les drogues ne lui avaient pas fait perdre la raison. Je pensai aussi que si le cyclone tardait à passer et si Ana ne se calmait pas, c'était moi qui finirais par devenir fou..."

Leonardo PADURA - L'homme qui aimait les chiens



Voir la liste des anciens numéros du"Trochiscanthe nodiflore" (les archives) : cliquez [ici]

Site internet : Rencontres sauvages

Me contacter : pascal@pascal-marguet.com

Calendrier 2020 : Pour le télécharger directement au format pdf (1300 ko), cliquez [ici]

 

Pour vous désinscrire, vous pouvez m'envoyer un e-mail (en répondant à ce message) avec pour objet "désinscription",

ou en cliquant

[ici]

Rejoignez-moi sur "FaceBook" en cliquant sur le lien suivant :

[http://www.facebook.com/marguet.pascal.1654]