Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°690 (2019-41)

mardi 22 octobre 2019

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Moineau domestique et Rougequeue noir

Courvières (Haut-Doubs)
août, septembre et octobre 2019



Rougequeue noir femelle
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 31 août 2019




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Rougequeue noir mâle
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 1er septembre 2019
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Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 1er septembre 2019

Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 8 septembre 2019
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Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 8 septembre 2019

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 8 septembre 2019

se grattant...
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 8 septembre 2019
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Rougequeue noir femelle
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 14 septembre 2019

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Courvières (Haut-Doubs)
samedi 14 septembre 2019
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Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 15 septembre 2019

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Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 15 septembre 2019

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 28 septembre 2019


Courvières (Haut-Doubs)
samedi 28 septembre 2019


Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 29 septembre 2019

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Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 29 septembre 2019

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Dans le vent !
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 29 septembre 2019

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Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 29 septembre 2019

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 29 septembre 2019

flou !
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche  13 octobre 2019

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche  13 octobre 2019



Suggestion de lecture :

"1

J'aurais voulu être écrivain. Mais suite aux événements que je m'apprête à relater, je suis devenu ingénieur géologue et entrepreneur en bâtiment. Que les lecteurs se gardent cependant de penser que, du fait que j'en entame maintenant le récit, ces événements sont désormais révolus. Plus je convoque leur souvenir, plus je m'y plonge profondément. C'est pourquoi, j'ai le sentiment que vous aussi, dans mon sillage, vous serez happés par les mystères de la relation père-fils.

En 1985, nous habitions un appartement au fin fond de Besiktas, près du pavillon des Tilleuls. Mon père tenait une petit pharmacie appelée Hayat ("La Vie"). Une fois pas semaine, elle restait ouverte toute la nuit, et mon père assurait la permanence. Ces soirs-là, c'est moi qui lui apportais son dîner. J'aimais rester dans le magasin à humer l'odeur des médicaments tandis que mon père - grand, mince et bel homme - prenait son repas à côté de la caisse. Trente années ont passé mais aujourd'hui, à quarante cinq ans, j'aime toujours l'odeur des vieilles pharmacies aux armoires et aux rayonnages en bois.

La pharmacie Hayat n'avait pas une grosse clientèle. Les nuits où mon père était de garde, il faisait passer le temps en regardant un de ces petits téléviseurs portables très en vogue à l'époque. Parfois, je le trouvais en train de discuter tout bas avec ses amis gauchistes venus lui rendre visite. Dès qu'ils m'apercevaient, ils interrompaient leur conversation, me disant que j'étais aussi beau et sympathique que mon père, me demandant en quelle classe j'étais, si j'aimais l'école, ce que je voulais faire plus tard.

Au vu du malaise évident de mon père, je ne restais jamais très longtemps dans l'officine lorsque que je le surprenais en leur companie. Je récupérais les gamelles vides et rentrais à la maison, en marchant sous la frondaison des platanes et la lueur pâle des réverbères. Chez nous, je ne répétais pas à ma mère que des amis politiques de mon père étaient avec lui dans le magasin. Cela aurait seulement eu pour effet de la mettre en colère contre eux et d'attiser son angoisse à l'idée que mon père s'attire à nouveau des ennuis et disparaisse du jour au lendemain.

Mais la politique n'était pas la seule cause des sourdes querelles entre mes parents. Parfois, ils restaient de longues périodes à se faire la tête, sans échanger un mot ou presque. Peut-être ne s'aimaient-ils pas. Je devinais que mon père étaient attiré par d'autres femmes et que la gent féminine l'appréciait. Quelquefois ma mère me laissait clairement entendre qu'il y avait une autre femme. Les disputes entre mes parents me perturbaient tellement que je m'étais interdit d'y penser et même de m'en souvenir.

La dernière fois que j'ai vu mon père, c'était un soir d'automne ordinaire, dans la pharmacie, où j'étais venu lui apporter son dîner. J'étais en première année de lycée. Mon père regardait le journal télévisé. Pendant qu'il mangeait sur un coin du comptoir, j'ai servi deux clients qui demanadaient l'un de l'aspirine, l'autre de la vitamine C et des antibiotiques. J'ai rangé l'argent dans le tiroir-caisse qui s'ouvrait avec un amusant tintement. Quand je suis reparti, j'ai jeté un dernier regard vers mon père ; debout sur le seuil, il m'a fait signe de la main en souriant.

Le lendemain matin, mon père n'était pas rentré. Ma mère me l'annonça à mon retour de l'école dans l'après-midi. Elle avait les yeux gonflés par les pleurs. Je crus que mon père s'était fait cueillir à la pharmacie et emmener au bureau des Affaires politiques, comme cela s'est déjà produit auparavant. Là-bas, on le soumettrait à la torture, on lui administrerait la falaka et des chocs électriques.

Sept ou huit ans plus tôt, mon père avait déjà disparu de la sorte pour ne revenir que quasiment deux ans après à la maison. Or, cette fois-ci, ma mère ne s'est pas comportée comme s'il était interrogé et torturé par la police. Elle était en colère contre mon père. "Il sait ce qu'il fait", avait-elle dit de lui.

Pourtant, quand des soldats étaient venus l'arrêter une nuit à la pharmacie dans la foulée du coup d'état militaire, ma mère s'était rongé les sangs, elle m'avait dit que mon père était un héros, que je devais être fier de lui, et c'est elle qui avait pris le relais pour assurer les nuits de garde avec Macit, le préparateur en pharmacie. De temps à autre, j'enfilais la blouse blanche de Macit. Naturellement, je me destinais à devenir un scientifique, comme le voulait mon père, non un préparateur en pharmacie.

Lors de cette dernière disparition, ma mère ne s'occupa absolument pas de la pharmacie. Elle ne parla ni du préparateur Macit, ni d'aucun apprenti, ni du devenir de l'officine. Ce qui me conduisit à penser que, cette fois-là, mon père avait disparu pour d'autres raisons. Mais qu'entend-on exactement par "penser" ?

A cette époque, j'avais déjà compris que les pensées nous viennent à l'esprit par le biais des mots ou des images. Parfois, je n'avais même pas besoin de mots pour penser une idée... L'image s'en formait aussitôt devant mes yeux - par exemple moi courant sous la pluie qui tombait à verse et les sensations que j'éprouvais. D'autres fois, je pouvais penser quelque chose en image : comme la lumière noire, la mort de ma mère ou l'éternité.

Peut-être étais-je encore un enfant. Quelquefois, j'étais capable de ne pas penser aux sujets que je désirais éviter. D'autres fois, c'était exactement le contraire. Je n'arrivais pas à m'extirper de l'esprit une image ou un mot auxquels je refusais de penser.

Mon père resta longtemps sans nous appeler. A certains moments, je n'arrivais pas à me remémorer son visage. Ce qui me donnait la même impression que lorsque tout disparaît dans le noir à l'occasion d'une coupure d'électricité.

Un soir, je marchais seul en direction du pavillon des Tilleuls. La porte de la pharmacie Hayat était fermée à clef et un cadenas noir lui avait été ajouté, comme si elle ne devait jamais rouvrir. Du brouillard s'élevait du parc du pavillon des Tilleuls.

Ma mère ne fut pas longue à déclarer que nous n'avions plus aucune rentrée d'argent, ni par mon père ni par la pharmacie, et que notre situation financière était critique. Cinéma, sandwichs döner et bandes dessinées étaient mes seules dépenses. J'allais à pied au lycée Kabatas et j'en revenais de même. J'avais des amis qui revendaient et louaient d'anciens numéros de magazines de bandes dessinées. Mais je n'avais aucune envie de passer comme eux mes week-ends à attendre patiemment les clients dans les ruelles et devant les portes des cinémas de Besiktas.

L'été 1985, je travaillai comme vendeur chez un libraire du nom de Deniz, dans le marché de Besiktas. Une grande partie de mon travail consistait à faire la chasse aux chapardeurs qui étaient presque tous écoliers et étudiants. Le patron Deniz m'emmenait de temps à autre en voiture à Cagaloglu pour réassortir ses stocks. Voyant que je retenais les noms des auteurs et des maisons d'éditions, le libraire m'aimait bien, il m'autorisait à emprunter des livres pour les lire chez moi. J'ai pas mal lu cet été-là. Des romans pour enfants, Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, Histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe, des anthologies de poésie, des romans historiques racontant les aventures de guerriers ottomans et un recueil sur les rêves. Un texte dans ce recueil devait complètement changer ma vie.

Les amis écrivains de Deniz le libraire passaient quelque-fois dans son magasin. En me présentant à eux, mon patron avait commencé à dire que, plus tard, je serais écrivain. C'est moi qui lui avais parlé le premier de ce rêve, incapable que j'étais de tenir ma langue. Et, sous son influence, je commençai rapidement à la prendre au sérieux..."


Orhan PAMUK - La femme aux cheveux roux



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