Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°684 (2019-35)

mardi 10 septembre 2019

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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17 Hippies - Der Zug um 7.40 Uhr

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Ballet de Bergeronnette grise

Loge n°5
à Courvières (Haut-Doubs)
juillet et août 2019



Bergeronnette grise adulte
Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 5 juillet 2019


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A la chasse...
Courvières (Haut-Doubs)

vendredi 5 juillet 2019

Jeune
Courvières (Haut-Doubs)

vendredi 5 juillet 2019

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Les mouches
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Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 5 juillet 2019

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Pour nourrir les jeunes (?)
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Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 5 juillet 2019

Dans l'ombre
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 13 juillet 2019

Jeune
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 13 juillet 2019

<image recadrée>



Courvières (Haut-Doubs)
samedi 13 juillet 2019


Courvières (Haut-Doubs)
samedi 13 juillet 2019

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Portrait
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 13 juillet 2019

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Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 14 juillet 2019

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 14 juillet 2019

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 20 juillet 2019

ça gratte
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 20 juillet 2019

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Toilette
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 20 juillet 2019

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<pas de son !>

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 29 juillet 2019

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 29 juillet 2019

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<pas de son !>

Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 1er août 2019

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 3 août 2019

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Courvières (Haut-Doubs)
samedi 3 août 2019

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Nettoyage du bec
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 3 août 2019

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 31 août 2019

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Courvières (Haut-Doubs)
samedi 31 août 2019




Suggestion de lecture :

"La rage me lança dans un dernier assaut et je débouchai sur une pente rase, violacée par les derniers rayons du jour.

Je vacille, tombe en avant sur les mains... Et c'est le choc !

Des voix graves m'assaillent et me passent à travers le corps, me violent les tripes, m'emplissent de vibrations jusqu'à la moelle des os. Des sons lourds et enrhumés d'étranges harmoniques scandent une mélodie plus aiguë, filiforme, qui se tortille comme un petit serpent musical narguant la cage des basses...

Les flutes indiennes !

Je les reconnais immédiatement pour avoir soufflé moi-même dans les gros bambous de collection rassemblés par mon père. Je reconnais les rythmes gravés sur disques, où la reproduction mécanique stérilisait leur âme et la magie de leur flux.

Maintenant, c'est tout autre chose. Je baigne dans une sève sonore, onctueuse et riche, lourde de secrets primordiaux. Le chuchotement chuinté se hisse au niveau de la confidence majestueuse. Sons mâles et sons graciles étroitement mêlés se vrillent dans le soir, enlaçant les symboles et les mythes aux bruits crépusculaires.

Au sortir de la forêt, sur cette croupe de reliefs violâtres, sous ce ciel orange, je sais, par toutes mes fibres, qu'aucune punition ne pourra solder la magnificence de l'instant.


Le concert vient d'un creux au revers de la colline.

J'avance. La nuit tombe tout à fait. Des fumées pâles montent tout droit vers les premières étoiles. Quelques lueurs me guident entre les toits de palmes.

Je titube dans la pierraille, j'oscille entre deux cases, ébloui par le foyer central. Et je tombe assis dans une flaque, au pied d'un montant en bois.

L'odeur indienne me ravage, douce-amère, mélange de vomi, de sucre et de sève. J'entends un cri : « Ed' dhé ! »

L'orgue des flûtes géantes s'est tu. Une trentaine de silhouettes cessent de s'agiter en cadence. Les faces peintes de rayures écarlates et les masques de paille se tournent vers moi...

Un homme blanc, long et mal rasé, sort d'une case et marque un temps d'arrêt : mon père, arrivé au village avec des heures d'avance.

Son haut-le-corps me fait mal. Sur sa figure se mêlent des mimiques d'inquiétude et de soulagement... Il traverse toute la place devant les Indiens médusés, m'attrape par un bras et me pousse devant lui, me jette dans un hamac qu'il vient sans doute de quitter.

Je m'endors aussitôt.


Les crissants hourvaris de l'aube m'éveillèrent. Les traits creusés par l'insomnie, mon père était assis sur un tabouret. Sans un mot, il me désigna une galette de casabe et une thermos de café.

Pendant mon déjeuner, il souleva l'auvent de paille qui fermait la case et regarda dehors. Le feu était éteint – le village semblait mort sous la lueur gris-rose du petit jour.

Mon père se retourna. Deux diagonales de lumière tombant du toit crevé le rayaient tragiquement. Il ouvrit la bouche.

  • La correction que tu mérites viendra plus tard. Il y a plus urgent. Tu ne devines pas ?

J'avalai ma salive pour marmonner :

  • J'ai vu la danse des masques...

  • Et tu dois mourir... Ne te fais aucune illusion. Ces gens ont appris à nous aimer. Ils sont nos amis. Mais ils ne peuvent pas, tu comprends, il ne peuvent absolument pas faire une exception pour nous. Tu as mis le doigt dans un rouage primordial de leurs traditions...

« Nous en avons discuté toute la nuit. Le sorcier t'accorde la vie sauve si tu supportes les épreuves. »

J'ai compris. Je connais la suite. On va m'ingurgiter des litres de bière de manioc, recommencer jusqu'à l'épuisement complet, me fouetter aux limites du soutenable et – le pire – me passer aux fourmis.

Et s'il m'échappe un seul gémissement, on me clouera d'une lance dans la gorge.

Je voulais voir la fête des Guahibos, on va me servir la mienne.


Pas le droit de sortir de la case.

La journée fut un purgatoire d'ennui et de somnolences bercées par le bombillement des mouches. J'entendais des voix au loin, de temps à autre, et le grattement des râpes à manioc agitées par les femmes. Je les devinais accroupies au fond de la clairière. Mon père dormait.

Je découvris un orifice dans le mur de vannerie. Je fermai un oeil pour voir dehors. Mon regard n'embrassait qu'un angle obtus. Un rat crevé achevait de pourrir au bas d'un autre mur de paille... Rires furtifs. Des jambes d'enfants passaient dans les herbes sèches. Poursuite de pieds nus pleins de croûtes et d'ulcères.

Nous étions certainement surveillés mais tout semblait calme, normal. J'avais envie que mon père boucle son sac et me prenne par la main : « Allez, retournons gentiment au village d'en bas... »

Nous n'aurions pas fait cinquante mètres.


Soir.

Mon père parle à quelqu'un sur le seuil de la case. Il se retourne et vient me secouer. Mais sa voix m'a déjà réveillé.

Il fouile dans son sac, en tire un tube d'antalgiques, me fait prendre deux capsules, semble réfléchir, me met quatre autres capsules dans la main, m'en reprend une... Il affecte une grand sérénité, mais ses doigts tremblent un peu.

  • Garde ces trois capsules dans ta bouche, et ne me quitte pas des yeux pendant la cérémonie. Quand je te ferai signe, comme ça (il clique plusieurs fois des paupières), tu pourras les avaler... Compris ?... Essaie de ne pas les avaler trop tôt avec la bière de manioc. Garde-les en chique dans ta joue.

Comme si j'étais sourd, il répète plusieurs fois les recommandations. Il réprime un sursaut quand les premières trompes déchirent la toile sonore du soir, faite de millions de vols de moustiques... Il se penche sur son sac en me tournant le dos mais je le vois sortir son revolver, hésiter, le rejeter en tassant une chemise sale par-dessus.

Nus comme la main, nous sortons dans la clairière pour marcher vers la grande case cérémonielle. Deux pensée me viennent. C'est la première fois que je vois mon père complétement nu. Je comprends soudain qu'il va, lui aussi, subir les épreuves. Et je suis sûr qu'il n'a pas pris d'antalgiques. Je m'arrête pile.

  • Papa, tu n'as pas...

Il pose sa main sur ma bouche, violemment.

  • Ne te mêle pas de ça. Occupe-toi seulement de tenir le coup... Tu te rends compte que je ne peux plus rien pour toi, n'est-ce pas ? Tu t'en rends compte... de la façon la plus absolue ?

Il bafouille un peu, ajoute :

  • N'oublie pas d'avaler quand je clignerai des yeux... Fais ton signe de croix.

Ses lèvres bougent tandis que je m'exécute. Peut-être dit-il une prière. Soudain, il me prend aux épaules et me regarde de tout près. Ses yeux sont deux miroirs qui reflètent la lumière venue de la grande case. Il dit lentement, détachant ses mots, une phrase attendrissante qui ferait pouffer les gens d'aujourd'hui.

  • Montre-leur ce que c'est qu'un Français !

On ne demande pas à une formule magique d'être intelligente, mais de se montrer efficace. Et si elle satisfait à ce critère d'efficacité, elle s'impose comme intelligente.

Trois couleurs me passèrent par la tête, sur des réminiscences de Marseillaise. Clovis, Saint Louis, Du Guesclin, Bonaparte au pont d'Arcole, que sais-je, une foule d'ancêtres de la tribu France m'épaulait brusquement.

C'était justice. Les indiens psalmodiaient en langue secrète de grandes gestes millénaires qui appelaient à la rescousse les dieux, les totems et les traditions de leur peuple. Leurs flûtes géantes tonitruaient des mélodies religieuses et en quelque sorte patriotiques. Pourquoi serai-je resté seul dans une épreuve où les Guahibos se faisaient assister par le ban et l'arrière-ban de leur folklore ?

Formule magique, donc, mais à double tranchant, car elle faillit aussi me perdre.


J'entre dans un cauchemar de bruits et de fumée.

Au-dessus des figures luisantes de peintures rituelles, et des têtes noires coiffées au bol, je vois les plaques de fourmis qui pendent des solives. Chacune est un écran de paille retenant prisonnières une bonne centaine de fourmis « vingt-quatre » ainsi nommées parce que leurs morsures donnent vingt-quatre heurs de fièvre atroce.

Les chants nous saoulent plus encore que les calebasses de bière, à vrai dire peu alcoolisée, qu'on nous fait avaler sans arrêt. Cela va jusqu'au ballonnement insupportable, au vomissement qui vous retourne l'estomac comme un sac. Il faut recommencer. Je reconnais Ayuma sous ses peintures faciales. Il boit et vomi autant que moi. L'odeur monte, mélange de suc gastrique, de sueur, d'aigre vinasse. Ce devrait être dégoûtant, c'est surtout affreux. Et l'on accueille presque avec soulagement l'épreuve du fouet, réservée à tous les jeunes.

Malgré le rythme démant et l'abondance de libations, j'ai réussi à garder en chique mes trois capsules de barbituriques. J'en ai même récupéré deux d'un doigt preste dans les flasques du sol, avant de les reglisser dans ma bouche.

Le visage de mon père sort du cauchemar flou qui m'environne. Il clique des yeux plusieurs fois, signifiant qu'il est temps d'avaler. Je ne dois guère réagir, car il insiste et me rappelle d'un mot nos conventions : « Français ! »

L'angoisse donne à son regard une intensité presque théâtrale. Et alors, quoi ?... Romantisme mal placé, bravade ?... Ou encore m'a-t-on fait trop lire Corneille ?... Je lui montre un pauvre sourire et, les yeux plantés dans les siens, recrache ostensiblement, une à une, les trois capsules que je me suis donné tant de mal à garder jusque là.

On m'entraîne...


Que dire de plus ?

Que j'ai tenu sous le fouet, sous les fourmis ? Evidence, puisque je suis là pour le raconter. Les détails ne présentent guère d'intérêt... Sauf un.

Visage atrocement convulsé, Ayuma est passé aux fourmis juste devant moi. Mais quand on a promené les plaques bruissantes d'insectes sur ses parties génitales, j'ai vu, de mes yeux, la main de son oncle lui bâillonner les lèvres. Il est impossible que je sois seul à l'avoir remarqué. Personne n'a rien dit.

Cette image m'a longtemps poursuivi et sans doute m'a-t-elle plus... initié que des tortures, en soi, imbéciles. C'était peut-être cela, passer à l'âge adulte : soupçonner vaguement que le monde ne saurait tourner sans une once de tricherie, et qu'il faut ruser même avec les dieux quand eux-mêmes – et c'est un comble – feignent de regarder ailleurs.

Tout mécanisme nécessite du jeu. Les ajustements bloqués ont leur rôle, mais il en faut de libres pour tourner ou glisser selon les cas. Il en est ainsi jusque dans les affaires humaines, aux cotés de tolérance intuitives et mouvantes, où l'absolu est une somme de combinaison imparfaites et de déséquilibres compensés.


  • Espèce d'idiot ! Dit mon père après deux jours de coma. Je te demande de leur montrer ce qu'est un Français, mais pas de te le prouver à toi-même... Crois-tu le sorcier aussi bête ? Il se doutait bien que je te donnerais une drogue quelconque. Les enfants indiens ont été abrutis au « niopo » avant la cérémonie. Tu ne le savais pas ?

Mais lui, mon père, qu'avait-il voulu se prouver ? Ou quel sacrifice expiatoire ou propitiatoire avait-il voulu faire en se privant des barbituriques ? Nous n'en parlâmes jamais.

On ne se mêle pas assez des enfants, que l'on suppose naïfs parce qu'ils manquent de vocabulaire. Je me souviens de mon tact... Ne pas frôler, fût-ce d'un mot, les petites balances intérieures du chef de famille !..."

Stefan WUL - Noô



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