Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°660 (2019-11)

mardi 12 mars 2019

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Francesco Cavalli - L'Armonia

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Mésanges bleues, charbonnières et noires

Courvières et La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
février, mars 2019



Mésange charbonnière
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 16 février 2019

Mésange bleue
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

dimanche 17 février 2019

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 17 février 2019



Dans un Sureau
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

dimanche 24 février 2019

Dans le Pommier de mon jardin
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 24 février 2019

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 24 février 2019

<image recadrée>

Portrait
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 24 février 2019
<image recadrée>

Dans un Frêne
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

dimanche 3 mars 2019

<image recadrée>

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 3 mars 2019

<image recadrée>

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La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 3 mars 2019

Mésange noire
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

dimanche 3 mars 2019

<image recadrée>

<image recadrée>


La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 3 mars 2019



Mésange charbonnière
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 3 mars 2019

Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 3 mars 2019



Suggestion de lecture :

"25

La nuit suivante, Daphne rêve des montagnes. Elle rêve beaucoup dernièrement et se souvient de ses rêves, ce qui est inhabituel. Est-ce parce qu'ils fondent sur elle comme la foudre dans les ténèbres, suivie de coups de tonnerre qui la réveillent en sursaut ? Elle ouvre les yeux, des images et des sons pleins la tête, d'une fraîcheur et d'une netteté prodigieuses.

Elle rêve de gens à la peau sombre allant à la rencontre les uns des autres sur des pistes à peine tracées, elle rêve de rochers escarpés surgissant du brouillard, elle rêve de nuages déchiquetés par le vent volant au-dessus des cimes. Dans une clairière d'altitude, ils se réunissent autour d'un feu. Une vieille femme chante. Elle a de longs seins plates, un nez large et des yeux qui louchent. Elle lâche sur un rocher une poignée de papillons dont on a retiré les ailes et les écrase à l'aide d'un gros caillou rond et blanc. D'autres membres de sa tribu répandent les minuscules corps sur une pierre plate chauffée au-dessus du feu. Ils regardent la vapeur s'élever et bavardent dans l'odeur appétissante de la chair grasse qui grésille sur la pierre. Quand c'est cuit, un homme les ratisse à l'aide d'une fronde de fougère. Des mains se tendent pour cueillir ces délectables bouchées. Les rires fusent dans l'atmosphère calme favorisée par les ventres pleins. Non loin, des ailes de papillon déchirées tourbillonnent dans la brise. Emportées par une rafale, elles déferlent sur le feu où elles se transforment en flammèches avant de se volatiliser.

Puis le temps bascule et un immense nuage gris ondule en spirale autour des blocs de granit, le vent malmène les hautes herbes, fouette les arbres. Les années, les siècles se contorsionnent et font des noeuds. Des éclairs lumineux assourdissants transpercent la consciense à demi assoupie de Daphne.

A présent, des vaches parsèment la vallée et broutent autour des eucalyptus annelés qui dressent leurs bras à la façon d'épouvantails pétrifiés. Il n'y a plus d'hommes noirs, même pas dans les hauteurs. Une cabane en planches est nichée comme un scarabée dans un coin des prairies déboisées. Le soleil tape sur le dos des chevaux debout dans l'enclos.

La vision du paysage, les couleurs, tout cela s'estompe, et Daphne se réveille pour voir les longs rais d'un pâle clair de lune filtrant à travers les rideaux. Son coeur bat dans ses oreilles, elle a la tête qui tourne. Elle s'assied, allume sa lampe, regonfle son oreiller et se rallonge.

La pierre est là, sur sa table de chevet. Elle la ramasse, en caresse le bord tranchant du gras du pouce. Dans la lumière basse, la pierre brille, gris et argent, et sa face plate fait ressurgir un souvenir avec une précision inouïe.

Elle a onze ans et, par une chaude journée d'été, elle se promène à cheval dans la vallée. Elle a terminé ses tâches de la journée, traire les vaches, visiter les pièges à lapins et couper du bois. Sa mère lui a emballé un casse-croûte pain-fromage pour son déjeuner. La voilà maintenant remontant la piste sur sa vieille jument noire.

En dépit de la chaleur, il fait un temps splendide. Après les bonnes pluies printanières, une houle verdoyante tapisse la vallée, les points d'eau encore humides retentissent du chant des grenouilles et les vaches peuvent brouter tranquilles l'herbe verte. Daphne vérifie quelques pièges supplémentaires en chemin, mettant pied à terre pour tirer des lapins à moitié morts des mâchoires de métal. Elle leur casse le cou en leur fracassant la tête contre un rocher ou un tronc d'arbre avant de les suspendre à l'arrière de sa selle.

Sans barrières pour l'arrêter, son cheval avance d'un pas régulier, ses sabots frappant en rythme la piste. Les lapins se balancent contre les jambes de Daphne. Des mouches bourdonnent, attirés par leur fourrure ensanglantée. Daphne n'a plus aucun souci au monde. Elle adore sentir sa monture bouger sous elle, la façon dont son corps épouse les mouvements de la vieille jument. Des sauterelles géantes sautent au sol mais les oiseaux se taisent, en léthargie par cette chaleur grandissante. Et comme toujours, les montagnes ondulent à l'horizon.

Pendant que la jument, les oreilles dressées, chasse les mouches à coup de queue, Daphne chante des airs traditionnels appris auprès des stockmen : « Click Go the Shears », « The Wild Colonial Boy », « The Drover's Dream ». Au bout d'une bonne heure, elle commence à avoir faim et à chercher un coin ombragé où faire une halte. Elle dirige la jument vers les coteaux escarpés à gauche de la vallée, là où les arbres deviennent plus touffus avant les hautes futaie qui escaladent la montagne. La jument aborde l'ombre mouchetée de soleil et des vol de perruches de Pennant jaillissent des branches. Elle finit par trouver une piste, peut-être celle d'un wallaby, et se fraye un chemin parmi les eucalyptus dépenaillés et les petites clairières herbeuses. Daphne laisse les rênes pendre afin que sa monture soit libre de poser les pieds où elle veut. Même à l'ombre, la chaleur est pénétrante. Daphne aimerait trouver un ruisseau pour s'asperger d'eau fraîche.

Au détour d'un bosquet de gommiers des neiges, surgissent de massifs blocs de granit semblables à des éléphants gris faisant le gros dos au soleil. Daphne tire sur les rênes à l'endroit où la pente devient trop abrupte et met pied à terre. Faisant passer les rênes par-dessus la tête de l'animal, elle les lâche et les laisse traîner par terre, sachant que la jument ne s'éloignera pas – son père apprend à tous ses chevaux à ne pas bouger, même quand ils ne sont pas attachés.

Elle décroche sa sacoche de selle, contourne le premier monolithe et grimpe dans un étroit goulot pour accéder à ceux qui sont à l'arrière. Une lente érosion a creusé la base du plus grand, façonnant une cavité protégée par un surplomb. Une odeur de moisi et de terre humide chatouille les narines de Daphne. En escaladant un rocher pour pénétrer sous la voûte ombragée, elle remarque des formes sur la roche : des silhouettes d'animaux. Dans la pénombre froide, elle s'accroupit pour mieux les regarder. Ce sont des figurations primitives des bêtes du bush.

Elle reconnaît un kangourou bizzarrement proportionné peint avec des pigments blancs. Il a les pattes avant pareilles à des bâtons et ses oreilles sont aussi longues que ses jambes. Il y a une tortue et un deuxième kangourou, plus petit, peut-être un wallaby ou bien un joey. Elle reconnaît des lézards, peut-être des varans ou des scinques à langue bleue dessinés avec des pattes trop grosses. D'autres représentations sont plus difficiles à identifier. Certaines sont longues et minces, des créatures de fumée. Ce pourrait être des hommes, mais leurs bras et leurs jambes sont trop longs et s'enroulent curieusement entre eux. Celui-là en revanche est sûrement un émeu, avec ses pattes longues terminées par trois gros orteils. Elle les voit parfois passer devant la ferme en bandes, ces drôles d'oiseaux aux yeux jaunes. Ils se mêlent aux vaches pour brouter.

Daphne se demande qui a peint ces images. On croirait des dessins d'enfant. Elle touche le kangourou et gratte un peu de pigment à l'aide de son ongle. Rien ne se détache. Ce sont des peintures sans âge, elles sont peut-être là depuis des siècles.

Elle repense aux histoires de son père racontant que leurs ancêtres étaient arrivés dans un pays désert. Peut-être un peuple occupait cet endroit avant, finalement. Elle avait entendu dire que des hommes aux jambes fines, à la peau sombre et aux yeux noirs déambulaient dans le bush comme des ombres. Ils étaient partis avant sa naissance – sauf Johnny Button. Ce n'est qu'un saisonnier, et dans l'ensemble il se conduit à la façon des Blancs, en dépit de la couleur de sa peau.

Daphne s'assied au bord de la voûte et sort son casse-croûte. En mastiquant un morceau de pain, elle cale son dos contre la pierre, convaincue que ces peintures sont l'oeuvre des ancêtres de Johnny. Ils ont dû habiter cette caverne. On y est bien à l'abri de la pluie, des orages et de la chaleur. Ils ont dû représenter sur les murs les animaux qu'ils chassaient.

Après avoir mangé, elle explore le sol à l'intérieur et finit par repérer une tache noire, peut-être la trace de feux très anciens. Elle filtre la terre entre ses doigts, creuse à mains nues. Et soudain, elle tient quelque chose, un caillou pointu qu'elle réussit à extraire en crochetant ses doigts. Elle est sur le point de lancer le caillou dans le bush quand elle remarque les éclats : il a été taillé par une main humaine afin d'obtenir un objet tranchant. Elle le retourne. Une pointe de flèche ?

En fouillant encore un peu, elle met au jour une deuxième pierre. Celle-ci n'a rien à voir, ronde et lisse, toute blanche, comme un oeuf. Elle s'allonge sur le dos et lève à la lumière ses deux trouvailles, une dans chaque poing. Elle les palpe. Des outils. L'un tranchant, l'autre lisse. Qui a vécu ici ? Qui les a façonnés ? Son père le lui apprendra peut-être, lui qui sait tant de choses.

Le coeur battant, elle sort et escalade de nouveau les rochers pour retrouver son cheval qui broute tranquillement sous les gommiers des neiges. Après avoir enveloppé les cailloux dans les vieux chiffons qu'elle emporte toujours dans sa sacoche en cas de pluie ou d'éclaboussures de boue, elle boit un peu d'eau et prend le chemin du retour, impatiente de montrer ses trésors..."

Karen Viggers - Le Murmure du Vent



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