Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°640 (2018-40)

mardi 2 octobre 2018

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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JS Bach - Cantate BWV 115
"Bete aber auch dabei"

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Paysages et vaches...
Haut-Doubs et Suisse
juin à septembre 2018



Etang
L'entonnoir, Bouverans (Haut-Doubs)
samedi 2 juin 2018




Lac
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)
vendredi 29 juin 2018



Nénuphar

Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)
vendredi 29 juin 2018

Château de Joux
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)

samedi 30 juin 2018

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 29 juillet 2018

L'entonnoir, Bouverans (Haut-Doubs)
dimanche 29 juillet 2018

Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)
samedi 4 août 2018

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 11 août 2018

Mont d'Or (Haut-Doubs)
mercredi 15 août 2018

Mont d'Or (Haut-Doubs)
mercredi 15 août 2018


Mont d'Or (Haut-Doubs)
mercredi 15 août 2018



Mont d'Or (Haut-Doubs)
mercredi 15 août 2018

Creux du Van (Suisse)
dimanche 19 août 2018

Creux du Van (Suisse)
dimanche 19 août 2018

Plus d'eau !
L'entonnoir, Bouverans (Haut-Doubs)

dimanche 2 septembre 2018

Au lever du soleil
Mont d'Or (Haut-Doubs)

dimanche 9 septembre 2018

Mont d'Or (Haut-Doubs)
dimanche 9 septembre 2018

Vache se grattant le dos
(sous une branche...)
Mont d'Or (Haut-Doubs)

dimanche 9 septembre 2018

Ile
Mont d'Or (Haut-Doubs)

dimanche 9 septembre 2018

Mont d'Or (Haut-Doubs)
samedi 16 septembre 2018


Rocher
Mont d'Or (Haut-Doubs)

samedi 16 septembre 2018

Brume
Mont d'Or (Haut-Doubs)

samedi 16 septembre 2018

Mont d'Or (Haut-Doubs)
samedi 16 septembre 2018

Hêtre
Mont d'Or (Haut-Doubs)

samedi 16 septembre 2018



Suggestion de lecture :

"Le baîllon du Hakkapélite*


L'écume à la bouche, dix taureaux emballés passèrent au grand galop devant l'humble demeure du ferblantier Väinö Volotinen. Le plus violent orage du printemps venait de s'abattre sur le troupeau.

« Maman, viens vite voir ! » crièrent les enfants en direction de la chambre où leur mère était en train d'accoucher de son dernier-né. Malgré les douleurs de l'enfantement, Siiri Volotinen se leva et, poussée par la curiosité, se traîna à la fenêtre.

«Les éclairs les auront rendus fous», constata-t-elle, et elle retourna à son lit de gésine.

C'est ainsi que le petit Volomari vint au monde à la mi-avril 1942 à Tammela, petit village de la province du Häme, dans la maison de Väinö Volotinen et de sa femme Siiri. Les contractions de la parturiente avaient commencé dans la matinée et duré quelques heures. En fin d'après-midi, un gros orage avait éclaté. Tandis que sa mère hurlait et que le tonnerre grondait, Volomari naissait. Au moment même où il poussait son premier cri, la foudre tuait un taurillon du troupeau du voisin.

C'est une chance de naître dans la famille d'un tôlier-ferblantier aimant les enfants et collectionnant les antiquités. Il y a là de toute évidence une forme d'équilibre : un nouveau-né et des objets anciens se complètent à merveille, le passé et l'avenir cheminent main dans la main.

Siiri avait alors quarante-neuf ans, son mari deux de plus. Leurs aînés avaient déjà tous fêté leur dixième anniversaire, si bien que Volomari vécut toute son enfance entouré de gens beaucoup plus âgés que lui. Il se sentait ainsi en sécurité, et apprit en outre dès le plus jeune âge à raisonner comme un adulte.

Il devait son prénom au coureur Volmari Iso-Hollo, qui avait remporté la médaille d'or du trois mille mètres steeple aux Jeux olympiques de Los Angeles, dix ans plus tôt, puis à ceux de Berlin en 1936 et, sur dix mille mètres, était arrivé deuxième en Amérique et troisième en Allemagne.

Alors que les pères des autres garçons de Tammela leur taillaient des jouets en bois, celui de Volomari lui en fabriquait en tôle. Et tandis que ses petits camarades faisaient tourner dans les ruisseaux des roues à aubes faites de bouts de planche, il s'amusait avec de superbes turbines découpées dans des plaques de cuivre dont les ailes scintillaient parmi les tourbillons. Dans les arbres du jardin des Volotinen tintaient quelques nichoirs en métal qui offraient aux chants d'oiseaux des caisses de résonance sans égal.

Volomari était choyé. Pour l’école, son père lui fit cadeau d’un plumier en tôle. Et pour aller chercher le lait quotidien de la famille à la ferme voisine, il avait une berthe en fer-blanc qui brillait au soleil. La poignée de son arc était en tôle galvanisée et les patins de sa luge en acier inoxydable.

Les Volotinen habitaient un peu en dehors du village, au bord d’une petite rivière ; ils avaient quelques moutons et, accolé à leur maisonnette, un modeste atelier de ferblanterie. C’était un endroit fascinant où le petit Volomari pouvait fabriquer lui-même divers objets en tôle et souder à l’étain toutes sortes de récipients. Son père l’aidait et le conseillait.

Dans la salle tictaquait une vieille horloge de parquet, d’une valeur inestimable, dont Siiri avait hérité. Les Volotinen possédaient également d’autres antiquités rassemblées au fil du temps : un coffre de mariage du xviiie siècle, empli d’une foule de souvenirs, et, dans le grenier, une arquebuse à chargement par la gueule ainsi que deux ou trois épées datant de la guerre de Trente Ans, pendant laquelle un ancêtre de la famille, Stepan Volotius, avait combattu au loin en Rhénanie dans un régiment de hakkapélites.

Il y avait aussi dans la remise un ancien traîneau de promenade que le Musée d’arts et traditions populaires de Tammela aurait bien aimé acquérir, mais que les Volotinen refusaient de céder, ainsi qu’un lot de barattes du xixe siècle et une bonne vingtaine de faisselles de différents modèles dans lesquelles la mère de Volomari moulait encore parfois de délicieux fromages de chèvre. Dans la famille du ferblantier, les objets d’antan étaient appréciés à leur juste valeur : Väinö et Siiri avaient coutume de dire qu’ils étaient comme des lettres de personnes disparues, et chacun d’eux avait sa propre histoire. Ils avaient tous un jour été neufs — et prouvaient, comme le père le rappelait à son fils, que le passé n’était pas très lointain. Les ustensiles modernes s’usaient plus vite que les anciens, comme le temps, qui filait lui aussi plus vite qu’avant.

Dans un tiroir de la commode, il y avait une étrange pièce de bois d’une vingtaine de centimètres de long, taillée dans du frêne, avec à chaque bout une gorge permettant d’y fixer un lacet de cuir et, au milieu, la marque profondément imprimée de deux arcades dentaires. Elle y avait été laissée par les mâchoires de Stepan Volotius quand on lui avait coupé à chaud la jambe droite, au cours la guerre de Trente Ans, lors du siège du château de Kronenburg. On avait fourré ce bâillon dans la bouche du hakkapélite blessé et on lui en avait noué les lacets sur la nuque afin qu’il puisse mordre dans le bois et éviter ainsi au chirurgien militaire d’avoir à l’écouter hurler pendant qu’il lui sciait la cuisse.

Quand il était revenu en boitant à Tammela, des années plus tard, l’ancêtre unijambiste des Volotinen avait rapporté avec lui le bâillon qu’il avait gardé en guise de souvenir de guerre personnel.

Il n’en avait heureusement plus trop eu besoin, et était mort de vieillesse dans son lit. Volomari plaçait parfois le bout de bois entre ses propres mâchoires. La sueur lui montait au front quand il s’imaginait qu’on lui sciait la jambe tandis que quatre compagnons d’armes à la poigne solide le maintenaient par les pieds

et les mains pour l’empêcher d’échapper aux griffes du chirurgien.

Cette enfance heureuse fut interrompue par un incendie en 1952, peu après les Jeux olympiques de Helsinki. Le feu, qui avait pris dans l’atelier, gagna rapidement le reste de la maison, la réduisant en cendres. Les assurances furent loin de couvrir les dommages. Tout fut détruit, les objets aussi bien neufs qu’anciens,

les maigres économies et les modestes bijoux de la femme du ferblantier, qui n’avaient au demeurant rien d’extraordinaire : elle ne possédait que deux colliers de perles et un ornement frontal en argent, et ses filles quelques noeuds auxquels leur père avait ajouté de scintillantes ailes de papillon en tôle émaillée.

Seul le bâillon du hakkapélite Stepan Volotius échappa aux flammes, car il se trouvait le jour du drame dans la poche de Volomari. Le spectacle de l’incendie était si terrifiant qu’il dut se fourrer le bout de bois dans la bouche : il le mordit de ses petites dents, y imprimant leur marque, et cessa de pleurer tout haut. Le bâillon était efficace. Volomari se jura que, quand il serait grand, il collectionnerait en remplacement des objets brûlés des antiquités encore plus anciennes. Mais pour sa mère, l’important n’était pas les objets. L’on avait avant tout besoin de vêtements et de pain, décréta-t elle.

Ce fut un coup du sort cruel pour les Volotinen : la famille se disloqua, les enfants furent placés auprès de proches, ici où là, et le père, Väinö, mourut de chagrin à l’automne. Sa femme se retrouva pour un temps à l’hôpital communal, où l’on constata qu’elle souffrait d’une hypertrophie cardiaque. Elle fut admise dans une maison de retraite alors que Volomari atteignait ses seize ans et faisait sa confirmation, et mourut l’année suivante.

La vieille tante au grand coeur qui avait recueilli le garçon avait veillé à son éducation, l’envoyant même au lycée. Son baccalauréat en poche, il prit la direction de Helsinki, où il s’inscrivit à la faculté de droit. Pour financer ses études, il trouva du travail dans une compagnie d’assurances. Avec sa première paie, il s’acheta

un pantalon droit et une veste qui lui donnaient l’air d’un authentique courtier.

Sa tante lui envoyait de Tammela des colis de nourriture, essentiellement des pommes de terre et du pain, et le soutenait moralement dans ses efforts. Il passait les fêtes de fin d’année chez elle, à déblayer la neige des allées du jardin et à couper du bois de chauffage. Il endossait aussi de manière convaincante l’habit du père Noël."

    * Nom donné aux cavaliers finlandais engagés comme mercenaires, au xviie siècle, dans les armées suédoises du roi Gustav II Adolf. (N.d.T.)

A Paasilinna - Le dentier du maréchal



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