Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°637 (2018-37)

mardi 11 septembre 2018

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement, cliquez [ici]


 
A Vivaldi - Concerto pour flute RV 441

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au centre de l'image...



ou cliquez [ici]



Bains et toilettes
La Rivière-Drugeon et Lac de Saint-Point
(Haut-Doubs)
juillet et août 2018



Tourterelle turque (au bain)
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 14 juillet 2018

Moineau domestique femelle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 14 juillet 2018

Bergeronnette grise
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 15 juillet 2018


<image recadrée>

Moineau domestique mâle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 15 juillet 2018

Chardonneret élégant
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 15 juillet 2018

Rougequeue noir femelle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 15 juillet 2018

Bergeronnette grise
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 22 juillet 2018

Moineau, à la sortie du bain...
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 22 juillet 2018

<image recadrée>

Grive litorne, au bain
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 22 juillet 2018

<image recadrée>



La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 22 juillet 2018

Bergeronnette grise
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 22 juillet 2018



<image recadrée>



Jeune Moineau
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 22 juillet 2018

Bain d'une Tourterelle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 22 juillet 2018

Couple de Chardonnerets
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 22 juillet 2018

Famille de Moineaux
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 29 juillet 2018

Héron cendré
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)
samedi 4 août 2018

Toilette
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)
samedi 4 août 2018
<image recadrée>

Toilette d'un Moineau
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)
samedi 4 août 2018

Rougequeue noir femelle
Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)
samedi 4 août 2018


Tourterelle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

samedi 11 août 2018

Tourterelle buvant
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

samedi 11 août 2018

Moineau mâle buvant
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

samedi 11 août 2018

<image recadrée>

<image recadrée>

Couple
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

samedi 18 août 2018

La troupe
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

samedi 18 août 2018

Le temps se couvre...
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

samedi 18 août 2018



Suggestion de lecture :

"XXIX

Dix jours après que le ferry eut emporté la dépouille de l'Instituteur, sa Veuve et ses petites jumelles, Biceps alla à pas très lents vers le banc au bout de la jetée. Le banc du S'tunella.

Biceps était le doyen des pêcheurs. Il mentait un peu en disant qu'il avait passé cent ans mais il ne devait pas être loin. On l'appelait Biceps parce que dans sa jeunesse il avait eu, paraît-il, des muscles remarquables, qu'il exhibait dès qu'on lui demandait. Personne n'était là pour s'en souvenir, et Biceps n'était plus désormais qu'un mince assemblage d'os fragiles, d'un peu de chair sèche et beaucoup de peau plissée.

Une canne faite dans un cep de sa vigne lui servait de jambe véritable. Il ne voyait plus guère, avançait avec la lenteur d'une limace, mais la tête fonctionnait encore assez bien.

Il s'assit sur le banc et attendit. Quelques instants plus tard, il fut rejoint par la Perle, Sieste et Culsec, trois autres vieux pêcheurs dont il n'est point besoin d'éclairer les surnoms, et qui marchaient un peu mieux que lui, ayant tous trois à peine dépassé les quatre-vingt-dix ans. Le colloque pouvait commencer.

Il dura un peu plus d'une heure. Une heure pendant laquelle les quatre vieux firent face à la mer en essayant de la lire, de la deviner, de savoir si les grands bancs de thons qui remontaient du sud étaient au plus profond d'elle, à portée de l'île, à portée de bateaux et de filets. C'était chaque année la même divination.

On les vit enfin se lever et revenir vers le port, Biceps marchait en tête, glissant sur le pavé plus qu'il ne marchait, à la façon de ces robots qu'on offre à la Noël aux enfants et qui fonctionnent quelque temps avec des piles, puis s'essoufflent. Les trois autres n'osaient le dépasser, par respect. Près de dix minutes plus tard, ils atteignirent enfin le port où les pêcheurs les attendaient en silence, tête nue, la casquette à la main.

Biceps reprit son souffle, puis il dit la formule rituelle, d'une voix forte qu'on aurait pas soupçonnée dans un corp aussi usé :

« Voici venu le temps du S'tunella. A vos bateaux, pêcheurs, et vous, mères, épouses et enfants, priez pour eux ! »

D'ordinaire, des cris de joie et de la musique accompagnent la phrase. On est heureux. On ouvre des bouteilles. On joue un peu de musique. On trinque.

Rien de tel n'eut lieu cette année-là. La phrase fut accueillie dans le silence, si bien que Biceps crut que personne ne l'avait entendue. Il la répéta donc. Mais ce fut de nouveau le silence. Les pêcheurs se recoiffèrent et se dispersèrent. Ils allèrent vers leurs bateaux vérifier si tout le matériel s'y trouvait bien, puis vers leur maison prendre le dernier repas entourés de leurs familles. Chacun se coucha tôt. Le lendemain, tous partiraient avant l'aube.

Beaucoup ont entendu parler du S'tunella sans en retenir forcément le nom. Beaucoup sans doute en ont vu aussi des images et parmi elle les plus connues où l'on découvre le rond des bateaux de pêche et au centre de ce rond, des milliers de thons furieux qu'on harponne et qu'on gaffe, avant de les hisser à bord, tandis que la mer prend la couleur de leur sang, la mer soudain devenue d'un rouge épais qui teinte jusqu'aux cuisses nues, aux torses et aux visages des pêcheurs.

Le S'tunella relève davantage de la chasse que de la pêche. Son origine se perd dans la nuit des temps et celle des légendes. C'est la pratique balbutiante d'un peuple de la terre accoutumé à traquer la sauvagine et que les aléas, les guerres ou les famines ont poussé vers la mer, sur laquelle et dans laquelle ils ont tenté de perpétuer les ruses de la chasse.

Dans cette pêche si particulière, qui n'existe dans nul autre endroit au monde, les bateaux sont disposés dans un ordre qui est celui de la traque lors des battues de grands gibiers, qu'on peut penser avoir été en usage pour chasser le renne, l'aurochs et le bison. Sur chaque bateau, les hommes hurlent au travers d'une sorte de tube de bois, le kaffin, dont l'extrémité plonge dans les flots, et frappent la coque de l'embarcation avec le manche de leur harpon. Le but est d'effrayer les bancs de thons, grâce à l'écho de ce vacarme, et de les pousser vers une zone qu'on aura définie auparavant, et vers laquelle convergent tous les bateaux en laissant dériver derrière eux de grands filets lestés.

Cela peut prendre des jours. On dit alors qu'on bat la mer. Les pêcheurs les plus expérimentés parviennent d'ailleurs à sentir les réactions de cette mer soumise à ce vacarme. On dit qu'elle se hérisse, qu'elle tend le dos, qu'elle frémit, qu'elle dissimule, qu'elle tempête, qu'elle ruse ou qu'elle se serre, selon ce que ces hommes alors devinent d'elle, et surtout ce qu'ils devinent être les mouvements de ce poisson aux allures de gros obus qu'est le thon rouge. Le thon, cet emblème, ce monarque. Le poisson majeur, qui vient sous le crayon dès qu'on tente de représenter ce qu'est un poisson. Comme un geste parfait, un dessin d'enfant, pur, sans écart, sans faute, une ligne évidente qui signe le génie.

La peau du thon ne présente aucune écaille. C'est un fuselage. Quand on le tranche, on dirait qu'il est arbre. Son oeil est humain et vous juge. Sa chair compacte évoque le muscle d'un guerrier. Ses blessures sont dignes. Sa mort lente à venir. Lorsqu'on l'aperçoit glisser dans les courants, par centaines, dans les profondeurs translucides, et que le soleil tente de fouiller le plus loin possible le ventre de la mer, il se cogne contre les dos d'un gris d'étain. Au contraire des bancs d'orphies, de sabres ou de barracudas qui jouent de la lumière comme d'un instrument de musique, une sorte d'orgue aquatique dont on perçoit parfois la lointaine mélodie, le thon absorbe les rayons du soleil et ne les rend jamais. Il fend les profondeurs, comme le soc le fait de la terre. Il strie la mer dans le silence de son tracé parfait, lancé par des canons invisibles, au loin de tout.

Le S'tunella signe tout à la fois la vénération que les hommes lui portent et sa mort grandiose. Dans l'arène que forment les bateaux quand ils finissent après plusieurs jours et plusieurs nuits par se rejoindre en ayant poussé devant eux les bancs énormes, se joue le dernier acte.

Les grands poissons pris au piège s'entrechoquent et jaillissent hors des flos, poussant leur masse vers le ciel, se donnant l'illusion de pouvoir s'envoler. Les hommes sur les embarcations lancent les harpons qui s'enfoncent dans les corps compacts, parfois glissent sur les peaux dures et luisantes, sans les blesser. On croirait voir une scène primitive comme celles que les premiers hommes ont peintes sur les parois des cavernes.

Ce qui renforce encore le parallèle avec un acte archaïque est la coutume qui veut que les pêcheurs, au moment du cercle final, soient simplement vêtus d'un ample caleçon de coton blanc, le runello, qui tient plutôt du pagne, et qui se compose d'une seule longue bande de tissu qu'on s'enroule plusieurs fois autour de la taille et qu'on fait passer dans l'entrejambe. Au fur et à mesure que les thons sont harponnés et hissés sur les bateaux, au fur et à mesure que leur sang jaillit, le corps des pêcheurs et le cercle de la mer rougissent jusqu'à en chasser tout le blanc et tout le bleu.

Au formidable bouillonnement de la mer créé par les grands poissons, qui curieusement ne songent pas que leur salut pourrait venir dans une plongée profonde, bouillonnement qui précède la mise à mort et qu'on dirait provoqué par un gigantesque feu alimenté dans les abysses, succède l'ivresse violente qui vient du sang et de la mort.

Les pêcheurs tuent, dans un vertige qui dure plusieurs heures, possédés par leurs gestes qu'ils répètent mécaniquement, enivrés par les cris qu'ils poussent pour se donner du courage, par le vacarme des battements de nageoires qui entre dans les têtes et fracasse toute idée, toute conscience et tout sentiment.

Et les bêtes meurent, les unes après les autres, gros corps lourds dont seule la queue bouge encore et dont la pupille intacte rencontre l'oeil du pêcheur qu'elle ne peut plus voir, cadavres au quintal hissés dans des ahanements libérateurs et qui s'entassent sur les bateaux comme les grumes encore chaudes de sève des milliers d'arbres d'une forêt décimée.

Lorsque plus rien ne bouge que la coque des navires, lorque la houle indifférente a repris son doux battement et que tout s'est tu, une clameur formidable monte vers le ciel, poussée par les pêcheurs exténués, peinturlurés de sang et de sueur. Alors on compte les pièces et le bateau sur lequel gisent le plus de poissons devient le navire amiral qui prendra la tête de la flotille pour s'en revenir vers l'île, et sera le premier à entrer dans le port sous les applaudissements de toutes celles et ceux qui sont restés à terre.

Mais auparavant, et pour clore la cérémonie, le capitaine de ce bateau est proclamé Re dul S'tunella. Il n'a droit à aucune couronne, mais à un baptême, qui consiste à plonger dans le champ de bataille, dans la mer de sang, à s'immerger dans l'eau rouge et poisseuse, à y nager longuement et à en ressortir sous les acclamations, changé en une créature barbare à la peau violemment écarlate, à la chevelure de caillots et dont on ne distingue le visage du reste du corps que par les deux taches écarquillées et opalines de ses yeux exténués et la blancheur de ses dents.

La tradition veut que le Re dul S'tunella, debout à la proue de son bateau, rentre au port ainsi, sans se laver, souillé de sang noble de sa victoire, et que les autres pêcheurs gardent aussi sur leurs cuisses et sur leurs bras les marques du combat qui prouvent leur courage.

Pour qui a vu ainsi un jour le retour des pêcheurs, se gravent en son esprit des images qui paraissent sorties des épopées antiques. Cela donne alors à l'homme le sentiment doux et singulier de la force primitive, de la puissance de la vie, de la gravité de la mort, et de la place infime qu'il occupe au coeur du grand théâtre du monde, qui parfois pour lui daigne entrouvrir son rideau.

Mais cette triste année-là, il n'y eut aucun Re dul S'tunella.

Il n'y eux aucun roi car il n'y eut aucune victoire.

Il n'y eut pas même de bataille..."


Philippe Claudel - L'Archipel du Chien



Voir la liste des anciens numéros du"Trochiscanthe nodiflore" (les archives) : cliquez [ici]

Site internet : Rencontres sauvages

Me contacter : pascal@pascal-marguet.com

Calendrier 2018 : Pour le télécharger directement au format pdf (1400 ko), cliquez [ici]

 

Pour vous désinscrire, vous pouvez m'envoyer un e-mail (en répondant à ce message) avec pour objet "désinscription",

ou en cliquant

[ici]

Rejoignez-moi sur "FaceBook" en cliquant sur le lien suivant :

[http://www.facebook.com/marguet.pascal]