Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°608 (2018-08)

mardi 20 février 2018

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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JS Bach - Extraits de

Un clavier bien tempéré
par Glenn Gould

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Une visiteuse dans
 le garde-manger de ma cuisine !

Courvières (Haut-Doubs)
janvier, février 2018



Première rencontre
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 22 janvier 2018 - 6h14

<image recadrée>

Deuxième rencontre

Souris domestique -
Mus musculus
(il en existe deux sous-espèces :
M.musculus musculus et M. musculus domesticus)
La "musculus" est bicolore : dessus brun et dessous gris-jaunâtre...)


Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 2 février 2018 - 6h12



<image recadrée>

Troisième rencontre
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 12 février 2018 - 6h47


"Avec ses gestes précis et vifs, surtout lorsqu'elle fait sa toilette, assise en boule,
passant et repassant comme l'éclair ses mains sur sa frimousse éveillée, ses oreilles,
ses moustaches sensibles, nettoyant ses flancs puis sa queue, ce serait une charmante
et mignonne petite bête si elle ne se rendait pas insupportable par ses dégâts.
Elle perce les sacs de grains, les cornets, attaque toutes les provisions, sème partout ses
crottes, troue les planchers, les parois des armoires, même le mortier et le plâtre des murs,
lacère papiers et linges pour faire le nid en boule, caché dans les endroits les plus variés,
où elle dépose ses petits..."

Robert Hainard - La Souris (Mammifères Sauvages d'Europe)

Moustaches

<image recadrée>

Lentilles corail
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 12 février 2018

Thé Darjeeling FTGFOP
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 12 février 2018

Petits lu
<image recadrée>

Convoitise
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 12 février 2018

Conchiglies
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 12 février 2018

Transport du biscuit "TUC au bacon"
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 12 février 2018



Quatrième rencontre
Courvières (Haut-Doubs)
mardi 13 février 2018 - 6h09

<image recadrée>

Maïs doux en grain (bio)
<image recadrée>



Compotée et queue



Cinquième rencontre
encore un "TUC" !

Courvières (Haut-Doubs)
lundi 19 février 2018 - 3h50
(juste après un appel d'astreinte !)





Tofu fumé
Courvières (Haut-Doubs)

lundi 19 février 2018



Suggestion de lecture :

"Depuis sa mort il vit au Canada. C'est froid, le Canada. C'est comme la neige, blanc, lumineux et froid. Depuis sa mort il vit dans la lumière blanche, glacée. Quand est-ce qu'il a pris la décision de mourir, d'aller au Canada. Vous ne savez plus. C'est marqué sans doute sur la pochette d'un disque mais vous n'avez pas de disque, que des cassettes avec très peu de mots dessus, parfois rien, juste le visage, son visage de pasteur ou de fou, son visage de pasteur sous les neiges, de dément des glaces.

Après tout, peu importe la date. Elle n'amènerait rien de précis à votre méditation. Elle ne dirait rien de juste. Quand une chose arrive, quand elle arrive vraiment, ce n'est jamais dans le temps qu'elle arrive. La mort, l'amour, la beauté, quand ils surviennent par grâce, par chance, ce n'est jamais dans le temps que cela se passe. Il n'arrive jamais rien dans le temps - que du temps. Il vous suffit de savoir que ce départ a lieu très tôt. Très tôt dans sa vie, la mort. Avant il donne des concerts, gouverne des orchestres ou plutôt, car il n'est que pianiste, il s'entête à refuser tout gouvernement d'un chef, d'un ensemble, d'un orchestre. Je joue à ma manière. A ma manière froide et brûlante. Suivez-moi si le coeur vous en dit. Suivez-moi dans le Grand Nord des partitions, sous les sapins sombres de la musique. Si vous le pouvez, suivez-moi. Là où je vais, là où je joue, il n'y a personne - que la musique immaculée.

Oui, très jeune, après beaucoup de contrats signés, beaucoup de roses lancées, de visages offerts, de mains tendues, très jeune il dit j'arrête, j'ai affaire ailleurs, j'ai affaire avec le givre, je vous demande de m'excuser, de ne pas trop m'en vouloir, j'ai rendez-vous au Canada avec la musique, avec la solitude de la musique, avec la solitude de la solitude. Je vous laisse. C'est mon intérêt de vous laisser et c'est aussi le vôtre. Vous m'aimez. Vous me dites que vous m'aimez mais vous ne savez trop ce que vous dites. Vous m'aimez trop. Vous voulez plutôt m'enfermer là où je suis, là où vous êtes, entre les murs de piano noir, de fauteuils rouges, bien au chaud avec vous. Je préfère le froid à cette chaleur. Ne vous offusquez pas. Votre amour m'a nourri, m'a fait grandir. Maintenant que je suis grand il me faut bien aller ailleurs, chercher autre chose. Je ne pourrais passer ma vie à me nourrir de cet amour, personne ne pourrait raisonnablement passer sa vie à manger. Je vous enverrai des cartes postales. Je vous ferai des disques. Plus de concerts, que des disques. Ils vous donneront de mes nouvelles, des images du Grand Nord. Une nourriture plus substantielle que la nourriture. Une musique plus aérienne que la musique. Vous verrez, vous entendrez : le pain du silence, le vin du silence. Et juste quelques notes, par-ci, par-là. Le moins possible de notes. Ce qu'il faudrait, mais je rêve, c'est une musique qu'il ne serait plus nécessaire de jouer, pour l'entendre. J'ai de l'argent. J'ai l'argent que m'a donné votre amour. Beaucoup d'argent, vraiment. Avec cet argent je me suis acheté un studio, des appareils, des bandes magnétiques, des micros, de quoi tenir cent ans sur mon glacier, coeur brûlant sous la neige froide. Mais d'abord laissez-moi aller. Plus de concerts. Finis, les concerts. Ce qui est gênant, ce qui m'a toujours gêné dans les concerts, c'est qu'on voit. Et voir empêche d'entrendre. On écoute la musique d'un côté, on regarde le musicien de l'autre – le musicien ou la belle dame riche décolletée au deuxième rang à gauche. Je ne sais si vous l'avez remarqué, mais on ne peut faire deux choses en même temps, mener deux cheveaux dans le même galop. On ne peut pas écouter et voir. Voir l'emporte. Voir est beaucoup trop fort, beaucoup plus fort. Au concert nous sommes trois : vous, moi et le piano. Quatre si je compte la musique. Cela fait trop de monde, et trop de monde cela fait trop de bruit. Au bout du compte on n'entend rien – juste le froissé de la soie sur des épaules nues. Au Canada vous ne me verrez plus. Comme ça vous m'entendrez. Au Canada je vais parce que vous n'y allez pas. Au Canada il n'y aura que moi, mon piano et la musique. Dans un premier temps. Dans un second temps il n'y aura plus que la musique seule. La musique sans intermédiaire, sans piano, sans moi, sans rien. Vous écouterez les disques, vous comprendrez ce que je vous dis là ce soir, le soir de ma disparition – bonsoir, adieu, merci.

Ensuite plus rien n'arrive, que des disques avec le nom dessus. Un prénom vif et sec comme l'attaque d'une sonate – Glenn. Un nom plus sourd, la vibration maintenue du nom comme dans les profondeurs d'un adagio – Gould. Glenn Gould, renard des neiges, marmotte des sons. Il joue Bach, et encore Bach, et surtout Bach. Il pourrait à vrai dire jouer n'importe quoi : le charme serait toujours le même, la grâce d'un prince adolescent, le charme d'un départ sur la pointe des notes. Quand on parle, on campe dans sa parole. Quand on se tait, on campe dans son silence. Quand on joue de la musique, on lève le camp, on replie sa tente et on s'éloigne dans le chant faible, délivré de la corvée de dire et de taire. On s'éloigne comme un jeune homme s'éloigne – sans savoir vers quoi, car sinon ce ne serait pas s'éloigner. Dans la musique on est comme dans l'amour : engagé sur le sentier de la vie faible. On va du point A au point B, d'une lumière à une autre. On est entre les deux, trébuchant dans le noir. Vivant d'incertitude et souriant d'hésitation, attentif à ce mouvement en nous de la vie frêle, oublieux du reste.

Pendant des années le jeune homme austère arrive dans votre maison, emmenant avec lui son piano, sa chaise et sa manie de chantonner par-dessus les notes, de laisser traîner, par-dessus la musique saisie de perfection, le négligé d'une voix, le brouillon d'un souffle. Vous l'écoutez sur des appareils plutôt rudimentaires qui se détraquent un à un. D'abord le petit poste dans la cuisine, ensuite le magnétophone dans la grande salle. Le radio-réveil résiste encore, mais pour combien de temps. Vous laissez aller, vous laissez faire. Vous êtes avec ces appareils comme avec le reste de votre vie : vous ne cherchez surtout pas à réparer, à revenir à un état antérieur des choses, à un paradis des premiers temps. C'est un principe. C'est un des rares principes que vous vous connaissiez, et peut-être même est-ce le seul : ne jamais contrarier le cours des choses. Ne surtout pas résister au désastre. Quand l'incapacité est là – l'incapacité d'entendre, d'écrire ou d'aimer, l'empêchement de toute respiration – vous lui donnez la place, toute sa place, son temps, tout le temps. Vous ne faites donc pas réparer les appareils. D'ailleurs l'argent vous manque, et ce serait inutile : une nouvelle panne arriverait très vite, par un autre côté. Vous n'avez pas de « chaîne » - à cause du mot qui vous fait horreur. Vous n'avez à votre disposition que ces instruments rudimentaires, ces machines capricieuses qui rongent vos cassettes, laissant de loin en loin passer un filet de musique, comme les plaintes d'une fée enfermée dans le noir. Ce n'est pas important. Ce n'est pas gênant : vous pouvez fort bien vous contenter de ce mélange de grincements et de mélodie, de râpeux et de fluide, de mécanique et d'esprit. Parfois les appareils suspendent leur mauvaise volonté et vous n'entendez plus que la musique seule – des nappes de musique sur le velours d'un silence. Mais le retour inéluctable des bruits parasites ne vous contrarie pas, ne vous empêche pas d'entendre et de jouir. D'ailleurs il parle de ça, le pianiste aux mains gantées de laine, le jeune homme des terres blanches.

Il raconte dans un livre d'entretiens comment il trouve le meilleur de son art en provoquant, dans la pièce où il joue, un bruit épouvantable, en mettant en marche un aspirateur à côté du piano : le bruit fait comme un cercle, comme un mur entre le monde extérieur et sa méditation. Le bruit absorbe la mauvaise part de l'esprit, ne laissant subsister que la pure attention à la pure musique. La pureté n'est jamais si forte que lorsqu'elle est contrariée par un côté, empêchée dans une de ses voies : elle file limpide, par l'issue qui lui reste. Un peu comme si, sur l'extrémité d'un robinet, on appuyait la main, rétrécissant à l'extrême le passage de l'eau : elle ne sours plus, alors. Elle jaillit. Mais bon, un jour c'est la fin. Un jour le dernier appareil remet à Dieu sa petite âme électronique, ne vous laissant plus que son corps de métal froid, silencieux, obstinément silencieux. La neige ne descend plus à l'intérieur de la maison. Le pianiste ne peut plus, pour vous rendre visite, que monter dans une voiture où une ultime radiocassette continue de faire son travail, impassible.

Vous allez ainsi chercher l'enfant à l'école. La petite fille monte dans la voiture, n'écoute pas la musique, tout occupée à vous raconter ses histoires : les notes sur le cahier, les fous rires derrière le livre, le soleil sur le préau. Un jour elle vous apprend une grande nouvelle. On écrit un roman, avec une amie. On a déjà écrit cent pages. Je ne peux pas te montrer, simplement te dire le titre : L'Irrésistible. Le jour suivant, elle vous révèle le désastre : le cahier où s'écrivait le roman est tombé dans une flaque d'eau, ce n'est plus qu'un sale paquet d'encre, le roman a fondu et il n'en reste plus que le titre, le perce-neige de son titre. Bah, on le réécrira, ce n'est pas grave. Et l'enfant assise à côté de vous passe à autre chose, entame une autre phrase, riant, chantonnant parfois, accompagnant sans en avoir conscience le mouvement de la musique, la fuite de neige des notes, traversant la catastrophe du roman avec la légèreté de celui qui s'en allait dans le Grand Nord de son coeur, sous des tonnes d'étoiles blanches. Ce jour-là vous conduisez un peu plus lentement que d'habitude, choisissant le chemin le plus long, attentif à ne rien perdre des deux chantonnements, celui du pianiste, celui de l'enfant, cette cantate à deux voix du génie de la vie. Puis l'enfant descend de la voiture, et Bach avec l'enfant, et Gould avec Bach. Un jour passe et d'autres jours encore. Dans la maison désormais silencieuse vous écoutez le jeune homme au sommet de son art, Bach sans Bach, Gould sans Gould, vous écoutez sans rien en perdre cette musique sans cassettes, sans aspirateur et sans piano, cette musique sans musique, ce chant sublime de la vie faible, de la vie pauvre, contrariée, absente, - irrésistible..."


Christian BOBIN - L'homme-joie



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