Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°604 (2018-04)

mardi 23 janvier 2018

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Villa Lobos - Bachianas brasileiras n°5, Aria

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Chamois givrés

La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 14 janvier 2018



Au matin
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 14 janvier 2018

Nuages


Dans la brume

La Troupe...



... broute dans le givre.

Une femelle

Eterlou couvert de givre

Mâle (jeune)

Femelle... urinant

La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 14 janvier 2018

Au 40 mm

<image recadrée>

Cabri







Dans un rayon de soleil

<image recadrée>


<image recadrée>

La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 14 janvier 2018

Nerprun des Alpes givré

Féérie

La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 14 janvier 2018

La petite troupe s'est déplacée...

Jeune mâle

Portrait : mâle
<image recadrée>

La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
dimanche 14 janvier 2018



Suggestion de lecture :

"3

Dans le train qui l'emmenait à Bruxelles, le commissaire Léon pensait à sa nuit d'ivresse avec la pulpeuse Lulu qui lui avait fait goûter les délices de l'enfer.

Les seuls moments où Léon oubliait complètement son boulot, c'est quand il couchait avec une pute. Il éprouvait à chaque fois une sorte d'ivresse et de vertige liés à tous les interdits dont on vous farcit le crâne quand vous êtes gosse. Il aimait ces anges des rues, ces voyageuses aux lèvres trop rouges et aux seins débordants. Elles avaient tous les avantages des femmes sans en avoir les inconvénients : pas de jalousie, ni de scènes de ménage. Et il ne les rencontrait que pour le plaisir. Le rêve ! Un parfum de violette envahit le compartiment.

  • Bonjour monsieur ! dit une voix aigrelette qui l'arracha du pays des songes.

Léon leva les yeux et vit une petite dame en tailleur lilas, qui lui tendait une main gantée d'une mitaine, de la même couleur.

  • ça ne vous dérange pas si je m'assieds ici ? demanda-t-elle.

  • Pas du tout ! affirma Léon.

  • Merci ! C'est parce que je n'ai pas de billet, vous comprenez !

  • Ah bon !

  • Mais vous n'êtes pas de la police, j'espère ?

  • Non, non !

  • Je plaisantais ! Vous n'avez pas une tête de flic, lui assura-t-elle.

En se penchant pour déposer son sac par terre, elle aperçut Babelutte, caché sous le siège de Léon.

  • Oh, qu'il est mignon ce petit avec son patelot en tricot ! Vous devriez le prendre sur vos genoux pour qu'il puisse admirer le paysage !

  • Non. Lui aussi voyage clandestinement.

  • Vous voyez que j'ai raison ! Un policier ne ferait jamais ça ! Ils sont trop à cheval sur la loi, ces gens-là.

Léon sourit.

La dame lilas sortit un livre de son sac et le posa sur la tablette. Puis elle extirpa un paquet de bonbons et le tendit à son compagnon de route.

  • Oh, des caramels Lutti ! s'exclama le commissaire. J'en mangeais quand j'étais gamin. Ma mère m'en rapportait de Bruxelles. Je pensais que ça n'existait plus !

  • Ils sont très vieux ; ils ont presque mon âge...

Le commissaire eut un instant d'hésitation avant de plonger sa main dans le paquet.

  • Mais non ! Je vous fais marcher. D'ailleurs, je ne suis pas si vieille que ça ! Je viens juste d'avoir soixante-cinq ans. Attention, ça colle aux dents.

  • Je sais. Il faut les sucer.

  • J'avais acheter un paquet pour mon neveu et un pour ma nièce, vous savez, dans cette jolie épicerie remplie de bocaux en verre, juste derrière la Grand Place ! Et là je n'ai pas pu résister à l'envie d'en prendre un pour moi. J'ai déjà presque tout mangé dans le métro ! Fit-elle, coquine. Quand je les laisse fondre sur ma langue, c'est comme si j'étais encore petite. Je retrouve plein d'images de mon enfance. Mes plus beaux souvenirs sont ceux que j'ai vécu dans les jardins du Rouge-Cloître. J'allais m'y promener avec mon grand-père. Vous connaissez cet endroit ?

  • Oui ! J'y suis allé avec ma mère quand j'étais gosse.

  • Savez-vous que, sur un mur, il y a une croix fantôme qui n'apparaît que quand il y a du soleil ?

  • Oui, d'ailleurs ça me fascinait, avoua Léon.

  • Vous vivez à Paris ?

  • Oui, mais ma mère est belge.

  • Mon frère et ma belle-soeur habitent Paris. Et mon neveu vend des voitures dans un beau garage qui est à lui... Vous le connaissez peut-être ?

Combien de fois Léon avait-il rencontré des gens de province ou d'un autre pays qui, sachant qu'il habitait la capitale, lui disaient : « J'ai un cousin qui travaille dans une boucherie là-bas. Vous le connaissez sûrement ! »

  • Vous savez, je vis à Montmartre. C'est pas vraiment Paris. C'est autre chose... Une sorte de petit paradis gaulois, avec les plumes et les paillettes en plus.

  • Je n'y suis jamais allée.

  • Et vous, vous habitez Bruxelles ? Demanda Léon.

  • Oui, à Watermael. Je vais retrouver ma maison. Après quarante-cinq ans...

  • Ah bon ! s'étonna le commissaire. Comment ça se fait ?

  • Oh, vous avez vu là-bas ! Dit-elle en pointant son doigt vers la fenêtre, on dirait un renard ! Il va se promener dans la forêt, comme moi, juste avant que ça n'explose ! C'est comme si les arbres m'avaient appelée... Sans eux, je serais morte !

  • Qu'est-ce qui a explosé ?

  • C'était peut-être un chien après tout !

  • Oui, je crois que c'était un berger allemand.

  • Vous voulez un autre bonbon ? Demanda-t-elle en se servant.

  • Non merci, c'est gentil. Vous parliez d'une explosion...

  • Moi j'ai dit ça ? s'étonna-t-elle.

  • J'ai probablement mal compris, la rassura Léon.

Elle le regarda en souriant et plongea dans son livre. C'était une ancienne édition des Contes de fées de Perrault et Mme Aulnoy. Etrange vieille dame qui, comme les enfants, ne répond jamais aux questions embarrassantes. Le commissaire se demandait si elle fuyait sa curiosité ou si elle avait des absences de mémoire.

  • Excusez-moi, dit Léon. Je ne voulais pas vous importuner.

  • Ce n'est rien, dit-elle sans lever le nez de son livre. Mais je ne voudrais pas vous donner de faux espoirs. Il est inutile de me faire la cour, mon coeur est pris depuis toujours.

Le commissaire s'étrangla. Il s'attendait à tout sauf à ça !

  • Euh... Loin de moi l'idée de chercher à vous séduire, chère madame !

  • Ah bon, fit-elle soulagée. Alors, vous pouvez m'appelez Madeleine.

Et elle planta ses yeux d'un bleu profond dans ceux de Léon. Il pensa qu'elle avait dû être très belle.

  • Je vais bientôt retrouver l'amour de ma vie !

  • Il habite Bruxelles ?

  • Non. Là-haut ! Ma belle-soeur m'a dit qu'il était mort. Il avait trente-trois ans la dernière fois que je l'ai vu. Paraît-il qu'il s'est éteint peu après. Vous croyez qu'il va me reconnaître quand j'irai le rejoindre au ciel ?

  • Bien sûr ! affirma Léon. Les gens qui s'aiment vraiment ne se perdent jamais. Mais dites-moi, vous l'aimez depuis toutes ces années ?

  • Oui. Il n'y a pas une minute de ma vie où je n'ai pensé à lui. Mais c'était une histoire difficile. Il était marié et père d'un enfant. A cette époque, on ne divorçait pas... Tenez, regarder, je n'ai pu emporter qu'une seule de ses nombreuses lettres qu'il m'avait écrites ! Confia-t-elle en lui tendant une fine feuille jaunies qui lui servait de marque-page. Je donnerais tout pour retrouver les autres...

le commissaire hésita à la lire, comme si ce geste avait quelque chose d'impudique. Mais elle insita.


Madeleine chérie,

Demain, je serai près de toi. Notre vie n'est faite que de futurs et de passés ; les heures que nous vivons ensemble passent si douces et si rapides qu'elles ne laissent d'empreinte qu'en souvenir. Dès que je suis seul, je souge à ce que j'aurais dû te dire et à ce qu'il faudra que je te dise. Tu es à mes côtés. Je t'embrasse ou tu m'embrasses et je n'ai plus de pensées. Je parle comme un oiseau chante, pour te faire écouter le son de ma voix et je me tais sans cause, parce que je te sens en moi. Mes silences sont si pleins de choses que je ne peux comprendre comment je les contiens toutes.

Demain, je serai près de toi.

Augustin.


Elle datait de 1953.

  • Je ne l'ai jamais montrée à personne, avoua-t-elle en la remettant précieusement à sa place dans son livre.

  • Je suis très touché. Pourquoi à moi ?

  • Parce que beaucoup de gens sont allés au Rouge-Cloître sans jamais voir la croix sur le mur... Et vous, vous êtes amoureux ? lui demanda-t-elle au moment où il lui rendit son précieux souvenir.

  • Non. La seule fois où je l'ai été, c'était d'un fantôme... Celui de Gelsomina, dans les rue de Rome. Je ne peux aimer que des rêves de cinéma.

  • Quel dommage !

  • Pourquoi ? Au moins, je ne suis pas malheureux.

  • Mais à force de vouloir être trop prudent, vous ne serez jamais follement heureux non plus. Aimer à ne plus savoir qui on est, est un bonheur immense. Des fois, on en oublie même la mort !

  • Je n'ai pas envie de me perdre, répondit Léon.

  • Avec des gens comme vous, le Petit Chaperon rouge n'aurait jamais rencontré le Loup...

Elle se leva, rangea son livre dans son sac, et quitta le compartiement. Léon supposa qu'elle allait aux toilettes. Elle avait laissé son paquet de bonbons sur la banquette. Il n'en restait qu'un. Il résista un moment à l'envie de le manger et finit par se laisser tenter. Oh, elle ne lui en voudrait pas ! D'ailleurs, elle l'avait probablement laissé là pour lui. Les souvenirs d'enfance sont ce qu'il y a de plus doux à partager. Et c'est la seule chose qui parvient parfois à remplir de larmes les yeux des assassins..."


Nadine Monfils - Les enquêtes du commissaire Léon - Les bonbons de Bruxelles



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