Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°564 (2017-15)

mardi 11 avril 2017

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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GF Händel - Ariodante
"Scherza infida"

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Dans un Frêne
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
février et mars 2017



Grive litorne
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 18 février 2017


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Sittelle torchepot
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 18 février 2017



à la recherche de son repas...
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 18 février 2017

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Mésange bleue
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 18 février 2017

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Mésange charbonnière mâle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 18 février 2017

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Toilette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 18 février 2017

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Sittelle, au lever du soleil
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
jeudi 30 mars 2017

Sittelle, aménageant son nid
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
jeudi 30 mars 2017




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Chant
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

jeudi 30 mars 2017

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Grive litorne
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
jeudi 30 mars 2017

Etourneau sansonnet
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
jeudi 30 mars 2017

Toilette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
jeudi 30 mars 2017
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Mésange bleue
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
jeudi 30 mars 2017

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Sittelle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
jeudi 30 mars 2017



Suggestion de lecture :

"Que le perroquet eût conservé ses privilèges après cette outrecuidance historique avait été la preuve finale de ses prérogatives sacrées. Nul autre animal n'était accepté dans la maison, à part la tortue qui était réapparue dans la cuisine trois ou quatre ans après qu'on l'avait crue perdue pour toujours. C'est qu'on ne la considérait pas comme un être vivant mais plutôt comme un porte-bonheur minéral dont on ne savait jamais de science certaine où il se trouvait. Le docteur Urbino se refusait à admettre qu'il détestait les animaux et le dissimulait par toutes sortes de fables scientifiques et prétexte philosophiques qui étaient convaincants pour beaucoup mais pas pour sa femme. Il disait que ceux qui les aimaient avec excès étaient capables des pires cruautés envers les êtres humains. Il disait que les chiens ne sont pas fidèles mais serviles, que les chats sont opportunistes et traîtres, que les paons portent sur leur queue le blason de la mort, que les cacatoès ne sont que de fâcheux ornements, que les lapins fomentent la cupidité, que les singes transmettent la fièvre de la luxure et que les coqs sont maudits parce qu'ils se sont prêtés à ce que le Christ fût trois fois renié.

En revanche, Fermina Daza, son épouse, qui était alors âgée de soixante-douze ans et avait perdu sa démarche de biche des temps anciens, était une idolâtre irrationnelle des fleurs équatoriales et des animaux domestiques. Au début de son mariage, elle avait profité de son amour tout neuf pour en avoir chez elle plus que ce que le bon sens recommande.
D'abord ce furent trois dalmatiens aux noms d'empereurs romains qui s'entre-dévorèrent pour les faveurs d'une femelle portant avec honneur le nom de Messaline car il lui fallait plus de temps pour mettre bas neuf chiots que pour en concevoir dix autres. Puis vinrent les chats d'Abyssinie au profil d'aigle et aux moeurs pharaoniques, les siamois loucheurs, les persans de cour aux yeux orangés qui erraient dans les alcôves comme des ombres fantomatiques et charivarissaient les nuits par les hurlements de leurs ébats amoureux. Pendant quelques années, enchaîné par la taille au manguier du jardin, il y eut un singe d'Amazonie qui suscitait une certaine compassion parce qu'il avait le faciès tourmenté de l'archevêque Obdulio y Rey, la même candeur dans le regard et la même éloquence des mains, mais Fermina Daza dut se débarrasser de lui non tant pour cette raison qu'à cause de sa mauvaise habitude de se satisfaire en l'honneur des dames.

Il y avait toutes sortes d'oiseaux du Guatemala dans les cages des corridors, des butors prémonitoires, des hérons de marais aux longues pattes jaunes et un jeune cerf qui passait la tête par les fenêtres pour manger les anthuriums dans les vases. Peu avant la dernière guerre civile, lorsqu'on avait mentionné pour la première fois une possible visite du pape, ils avaient fait venir du Guatemala un oiseau de paradis qui avait mis plus de temps à arriver qu'à retourner chez lui quand on avait appris que l'annonce du voyage pontifical n'était qu'une galéjade du gouvernement pour coller la frousse aux conjurés libéraux. Un jour, sur les voiliers des contrebandiers de Curaçao, ils achetèrent une cage en fil de fer avec six corbeaux parfumés pareils à ceux que Fermina Daza avait eux, enfant, dans la maison paternelle et qu'elle voulait continuer d'avoir une fois mariée. Mais personne n'avait pu supporter les battements d'ailes continus et les effluves de couronnes de morts qui empestaient la maison. Ils avaient aussi rapporté un anaconda long de quatre mètres dont les soupirs de chasseurs insomniaque perturbaient l'obscurité des chambres après qu'ils eurent obtenu de lui ce qu'ils voulaient, à savoir épouvanter de son haleine mortelle les chauves-souris, les salamandres et les nombres espèces d'insectes nuisibles qui envahissaient la maison à la saison des pluies. A l'époque, il suffisait au docteur Juvenal Urbino, fort sollicité par ses obligations professionnelles et fort absorbé par son ascension civique et culturelle, d'imaginer que sa femme, au milieu de toutes ces abominables créatures, était non seulement la plus belle de toutes les Caraïbes mais aussi la plus heureuse. Pourtant, un soir de pluie, au terme d'une journée épuisante, il trouva la maison dans un état de désastre qui le mit en face des réalités. Depuis le salon de réception jusqu'où portait la vue, il y avait une enfilade d'animaux morts flottant dans une mare de sang. Les servantes, grimpées sur les chaises et ne sachant que faire, n'en finissaient pas de se remettre de la panique du massacre.

Le fait est qu'un des mâtins allemands, rendu fou par un soudain accès de rage, avait déchiqueté tout animal, de quelque espèce qu'il fût, se trouvant sur son chemin. Jusqu'à ce que le jardinier de la maison voisine eût le courage de l'affronter et de le tailler en pièces à coups de machette. Comme on ne savait pas combien il en avait mordu ou contaminé de sa bave écumante et verte, le docteur donna l'ordre de tuer les survivants et d'incinérer les corps dans un champ éloigné, et il demanda aux services de l'hôpital de la Miséricode de désinfecter la maison de fond en comble. La seule qui en réchappa vivante parce que personne ne s'était souvenu d'elle fut la tortue porte-bonheur qui, en réalité, était un morrocoy mâle.

Fermina Daza donna pour la première fois raison à son mari dans une affaire de ménage et pendant longtemps elle se garda de parler d'animaux. Elle se consolait avec les planches en couleurs de l' « Histoire naturelle » de Linné qu'elle avait fait encadrer et accrocher aux murs du salon, et elle eût sans doute perdu toute espérance de voir un animal chez elle si un beau matin des voleurs n'avaient forcé une des fenêtres de la salle de bains et n'avaient emporté la ménagère en argent, héritage de cinq générations. Le docteur Urbino fit poser des doubles cadenas aux fermetures des fenêtres, barricada les portes de l'intérieur avec des barres de fer, rangea les objets de valeur dans le coffre-fort et adopta, bien que sur le tard, la coutume guerrière de dormir avec le révolver sous l'oreiller. Mais il s'opposa à l'achat d'un chien de garde, vacciné ou non, libre ou enchaîné, les voleurs dussent-ils le laisser en caleçons.

« Dans cette maison, qui ne parle pas n'entre pas. »

Il prononça ces mots pour couper court aux arguties de sa femme qui s'obstinait une nouvelle fois à acheter un chien, sans imaginer une seconde que cette généralisation hâtive lui coûterait la vie. Fermina Daza, dont le caractère impétueux s'était atténué avec l'âge, attrapa au vol la parole imprudente de son mari : quelques mois après l'effraction elle retourna sur les voiliers de Curaçao et acheta un perroquet royal de Paramaribo qui ne savait dire autre chose que des blasphèmes de marins, mais d'une voix si humaine qu'il valait bien le prix excessif de douze céntimos.

Il était de bonne race, plus léger qu'il ne le paraissait avec la tête jaune et la langue noire, seule façon de le distinguer des perroquets de mangliers qui n'apprenaient pas à parler, pas même avec des suppositoires de térébenthine. Le docteur Urbino, bon perdant, s'inclina devant l'astuce de son épouse, et fut lui-même surpris de l'amusement qu'il éprouvait devant les progrès du perroquet affolé par les servantes. Les après-midi de pluie, lorsqu'il avait le plumage trempé comme une soupe, sa langue se déliait de joie et il disait des phrases d'autrefois qu'il n'avait pu apprendre dans la maison et qui permettaient de penser qu'il était plus vieux qu'il ne le paraissait. La dernière réticence du médecin s'effondra une nuit que les voleurs tentèrent de se faufiler par un oeil-de-boeuf de la terrasse et que le perroquet les épouvanta par des aboiements de mâtin qui, eussent-ils été réels, n'auraient pu être aussi vrais, et en criant « gredins, gredins, gredins », deux initiatives salvatrices qu'on ne lui avait pas enseignées à la maison. A partir de là, le docteur Urbino le prit sous sa protection et fit construire sous le manguier un perchoir avec un récipient pour l'eau et un autre pour les pâtées de banane, en plus d'un trapèze pour ses cabrioles. De décembre à mars, lorsque les nuits devenaient plus fraîches et que l'intempérie se faisait invivable à cause des brises du nord, on le laissait dormir dans les chambres à l'intérieur d'une cage protégée par une couverture, bien que le docteur Urbino soupçonnât sa morve chronique d'être dangereuse pour la bonne respiration des humains. Pendant de nombreuses années on lui rogna les plumes des ailes, et on le laissa libre de déambuler à loisir de son pas bancroche de vieux soudard. Un jour, il se mit à faire des grâces d'acrobate sur les poutres de la cuisine et tomba dans le pot-au-feu en hurlant un « sauve qui peut » au milieu de son charabia de flibustier, mais sa bonne étoile voulut que la cuisinière parvînt à la repêcher avec la louche, échaudé et déplumé, mais vivant. Depuis lors on le laissa dans sa cage même pendant la journée, en croyant à tort qu'enfermés les perroquets oublient ce qu'ils ont appris, et on ne le sortait que vers quatre heures, à la fraîche, pour les cours du docteur Urbino sur la terrasse du jardin. Personne ne s'avisa à temps qu'il avait les ailes trop longues et ce matin-là on s'apprêtait à les lui couper lorsqu'il s'échappa tout en haut du manguier.

Trois heures plus tard on n'avait pas réussi à l'attraper. Les servantes, avec l'aide de leurs voisines, avaient eu recours à toutes sortes de ruses pour le faire descendre mais, cabochard, il ne bougeait pas de sa place et criait, en se tordant de rire, « vive le parti libéral, bon dieu de merde, vive le parti libéral », un cri téméraire qui avait coûté la vie à plus d'un joyeux pochard. Le docteur Urbino le distinguait à peine entre les feuillages et tenta de le convaincre, en espagnol d'abord puis en français et même en latin, et le perroquet lui répondait dans les mêmes langues avec la même emphase et le même timbre de voix, mais sans pour autant bouger de son repaire. Convaincu que par la douceur personne n'y parviendrait, le docteur Urbino ordonna d'appeler à la rescousse les pompiers, son jouet civique le plus récent..."


Gabriel Garcia Marquez - L'Amour au temps du choléra



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