Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°496 (2015-47)

mardi 1er décembre 2015

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Exposition d'
"Eglogues photographiques"

Courvières
et la Vallée du Drugeon
(Frasne, Bouverans, la Rivière-Drugeon, Haut-Doubs)



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Hiver
Courvières (Haut-Doubs)
mercredi 31 décembre 2014

JS Bach
Canon perpétuel de l'Offrande musicale BWV 1079

(à partir de 7 minutes 30)

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"C'était l'hiver sur la plaine et sur la forêt. La neige glacée couvrait partout le sol. Depuis trois semaines pourtant, elle ne tombait plus, mais le gel qui l'avait cristallisée en paillettes luisantes d'une finesse merveilleuse l'avait rendue plus subtile encore et plus traîtresse. Pas un abri n'échappait à son assaut ; son emprise fluante et légère s'étendait aux recoins les mieux défendus et, selon le caprice des bises de décembre qui se plaisent à mener aux carrefours des chemins et aux croisements des tranchées forestières leurs bals blancs, le tourbillonnement gracieux des papillons immaculés s'élevait et s'abaissait, recouvrant, au fur et à mesure de leur apparition, les traces mouvantes des passages frayés.

Les nuits se succédaient, tantôt assombries par les troupeaux de nuées couleur d'encre à qui le couchant certains soirs semblait ouvrir des portes de sang et qui erraient désolées par le ciel, tantôt illuminées de fantastiques clairs de lune dont les rayons dessinaient au pied des arbres solitaires et dans les vergers dénudés des silhouettes menaçantes d'ombres immobiles et difformes.

Et les bêtes des bois avaient faim. Les renards, dont les fourrures épaisses dissimulaient la maigreur, se réunissaient, de soir en soir plus nombreux, au centre d'une clairière rocheuse et les jeunes qui, naguère, durant l'assemblée des adultes, jouaient à se pincer les pattes et à se mordiller le cou, avaient perdu leur bel entrain. Immobiles, assis sur le derrière, la queue largement étalée, ils regardaient les vieux goupils et leurs compagnes dont les yeux inquiets et les museaux plus pointus encore que d'ordinaire disaient l'angoisse croissante. Les plus madrés compères s'étaient aventurés vers le soir aux lisières des bois, scrutant l'horizon et humant le vent et nul n'avait découvert, dans les rafales de froidure qui fouettaient les muqueuses surexcitées de leurs narines, la direction de la charogne nourricière exposée peut-être quelque part au loin et vers laquelle la tribu pérégrinerait à travers le silence de la nuit. La ventrée hebdomadaire payait à peine les audacieux qui se hasardaient, sous les regards des fenêtres des hommes, à aller arracher quelque quartier glacé à l'appât qu'on avait installé à leur intention. Les lièvres méfiants, les oreilles perpétuellement tendues, sursautaient dans leurs gîtes au moindre choc, au plus léger froissement. Messire Tasson, le blaireau au fond de son terrier, couché en rond, dormait son pesant sommeil hivernal ; les martres descendaient de leurs pins vers les arbres de la vallée, tandis que leurs cousines les fouines, installées dans les chaumes des toitures ou dans les gerbiers des granges paysannes, vivaient au jour le jour de menues rapines sanglantes souvent payées de leur vie..."

Louis Pergaud - Le retour du maître

Printemps
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 22 mars 2015

FJ Haydn
Oratorio de la "Création" : partie 2, scène 1
cinquième jour

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Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues*,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,

Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,

De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Charles Baudelaire - Les Fleurs du Mal


*églogues
: poèmes à caractère "bucolique"

Eté
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 4 juin 2015

WA Mozart
Ouverture de la Flûte Enchantée

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"Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi : autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.

Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est pas à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant. Altéré, mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas. La terre a disparu, la maison baigne, les arbres submergés ruissellent, le fleuve lui-même qui termine mon horizon comme une mer paraît noyé. Le temps ne me dure pas, et, tendant l’ouïe, non pas au déclenchement d’aucune heure, je médite le ton innombrable et neutre du psaume.

Cependant la pluie vers la fin du jour s’interrompt, et tandis que la nue accumulée prépare un plus sombre assaut, telle qu’Iris du sommet du ciel fondait tout droit au cœur des batailles, une noire araignée s’arrête, la tête en bas et suspendue par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte sur les feuillages et le Nord couleur de brou. Il ne fait plus clair, voici qu’il faut allumer. Je fais aux tempêtes la libation de cette goutte d’encre."

Paul Claudel - La Pluie

Automne
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 25 octobre 2015

A Vivaldi
Les quatre saisons - l'Automne

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"L’air de septembre est transparent, le vue porte loin, et ce qui domine c’est un vif brun montagnard tranché ça et là par un vol de perdrix, un bouquet de peupliers dont chaque feuille se dessine, les fumées d’un village. Aux endroits où l’eau le permet, des arbres rabougris bordent la route ; on roule alors sur un tapis de nèfles, de petites poires jaunies qu’on écrase, qui sentent et dont l’odeur véhémente suffit à transformer ces solitudes en campagne. Solitude ? Pas absolument. On y sent l’homme après la nature, mais une heure ne passe pas sans qu’on croise un de ces hauts camions verni comme un jouet en bleu pervenche, en vert pistache, qui brille dans tout ce brun. Un paysan sur son âne, une faucille chaude de soleil sous le bras. Un porc-épic. Ou une troupe de romanichels koutchi installés sous un saule avec leurs ours, leurs perruches, deux singes vêtus de gilets rouges cousus de grelots, tandis que les femmes – de grandes garces vociférentes – s’affairent autour d’un feu qui prend mal. On s’arrête, on s’amuse d’eux autant qu’ils s’amusent de vous, on repart..."

Nicolas Bouvier - L'Usage du Monde

Rayons d’octobre (I)

Octobre glorieux sourit à la nature.
On dirait que l’été ranime les buissons.
Un vent frais, que l’odeur des bois fanés sature,
Sur l’herbe et sur les eaux fait courir ses frissons.

Le nuage a semé les horizons moroses,
De ses flocons d’argent. Sur la marge des prés,
Les derniers fruits d’automne, aux reflets verts et roses,
Reluisent à travers les rameaux diaprés.

Forêt verte qui passe aux tons chauds de l’orange ;
Ruisseaux où tremble un ciel pareil au ciel vernal ;
Monts aux gradins baignés d’une lumière étrange.
Quel tableau ! quel brillant paysage automnal !

À mi-côte, là-bas, la ferme ensoleillée,
Avec son toit pointu festonné de houblons,
Paraît toute rieuse et comme émerveillée
De ses éteules roux et de ses chaumes blonds.

Aux rayons dont sa vue oblique est éblouie,
L’aïeul sur le perron familier vient s’asseoir :
D’un regain de chaleur sa chair est réjouie,
Dans l’hiver du vieillard, il fait moins froid, moins noir.

Calme et doux, soupirant vers un lointain automne,
Il boit la vie avec l’air des champs et des bois,
Et cet étincelant renouveau qui l’étonne
Lui souffle au coeur l’amour des tendres autrefois.

De ses pieds délicats pressant l’escarpolette,
Un jeune enfant s’enivre au bercement rythmé,
Semblable en gentillesse à la fleur violette
Que l’arbuste balance au tiède vent de mai.

Près d’un vieux pont de bois écroulé sur la berge,
Une troupe enfantine au rire pur et clair,
Guette, sur les galets qu’un flot dormant submerge,
La sarcelle stridente et preste qui fend l’air.

Vers les puits dont la mousse a verdi la margelle,
Les lavandières vont avec les moissonneurs ;
Sous ce firmament pâle éclate de plus belle
Le charme printanier des couples ricaneurs.

Et tandis que bruit leur babillage tendre,
On les voit déroulant la chaîne de métal
Des treuils mouillés, descendre et monter et descendre
La seille d’où ruisselle une onde de cristal.

Nérée Beauchemin - Les floraisons matutinales


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