Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°472 (2015-23)

mardi 9 juin 2015

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Björk - Stonemilker

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Réveil d'un
Chamois
mâle
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
jeudi 14 mai 2015



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<il n'y a pas de son...>

Sur le pierrier

Marquage de son territoire
à l'aide des glandes odorantes
situées à l'arrière des cornes...

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<il n'y a pas de son...>

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<il n'y a pas de son...>

Marquage de son territoire II


ça gratte !

L'herbe

Viorne obier (Viburnum opulus)

Viorne lantane (Viburnum lantana)

<image recadrée>

Les épines de cet églantier (Rosa sp.)
ne lui sont pas d'un grand secours !!

A l'ombre

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<il n'y a pas de son...>

Il est inquiet parce qu'un pélerin
(un allemand, qui effectue le sentier de St Jacques de Compostelle !)
s'approche...

Primevères sp.

Cueillette dans les buissons

Emmelé dans les branches !



Suggestion de lecture :

"9 juin

Je suis retourné dès l'aube vers la pointe du Diamant. John Metcalfe est couché au fond de la maison, il est fatigué, fiévreux. Quand je suis sorti, il me semble qu'il m'a regardé avec reproche. Je ne suis pas un bon élève en botanique, je ne l'ai pas aidé à trier ses spécimens.

J’aime le rocher du Diamant, sa forme étrange, un icosaèdre régulier, jailli de la mer au milieu des tourbillons d’oiseaux qui le couvrent de fiente, comme un piton neigeux. C’est l’endroit où je peux oublier le sifflet du sirdar, et l’atmosphère pesante de la Quarantaine, les discours redondants de Julius Véran. J’ai proposé à Jacques de venir, mais il ne veut pas quitter Suzanne. Depuis hier soir elle a un accès de fièvre violent. La migraine l’empêche de dormir, elle est pâle et fatiguée. Jacques lui donne de la poudre de quinine diluée dans de l’eau de riz, à défaut de lait. Quand je suis sorti, il s’est assis près de la porte, tourné du côté de la mer. Mais de là où il est il ne peut apercevoir que le dôme noir de Gabriel.

Tandis que je marche vers la pointe, j’entends la marée. Il y a cette vibration qui vient du fond de l’Océan, du socle de la terre. Quand la marée commence à descendre, je sais que Suryavati doit venir. Je l’attends à ma place, à demi caché derrière les touffes de batatran, dans un creux des rochers. Le lagon se vide vers l’ouest, comme un réservoir dont on aurait retiré la bonde. Après quelques instants apparaît la frange noire des récifs, et la demi-lune de sable qui rejoint Gabriel. La base du Diamant se dégage, une plate-forme usée en forme d’étrave. Les vagues ont perdu leur force. Le vent même est devenu moins violent. Il y a une sorte de silence, une paix. Je pense qu’en ce moment même la fièvre de Suzanne doit tomber, elle se couche sur le sol, la tête appuyée sur les genoux de Jacques. Elle peut enfin s’endormir.

Suryavati est apparue. Sans hésiter, elle s’est engagée sur le récif, bien que la mer ne se soit pas encore complètement retirée. À l’aide de son harpon, elle fouille dans les crevasses, elle ramasse des coquilles qu’elle met dans un sac accroché autour de son cou. Pour marcher plus facilement dans les flaques, elle a relevé sa robe et l’a nouée entre ses jambes, à la manière d’une culotte turque.

Elle marche facilement, comme si elle glissait, sans effort. Quand j’ai voulu la suivre sur le récif, l’eau était opaque, couleur du ciel nuageux, et les algues bousculées par le ressac m’empêchaient de voir le passage. Bientôt j’étais perdu, avec de l’eau jusqu’à la taille. En même temps le ressac me tirait en arrière, vers les vagues qui déferlaient J’ai eu beaucoup de mal à regagner la rive, en m’agrippant aux pointes aiguës des coraux. Au loin, au milieu du lagon, la silhouette de la jeune fille paraissait irréelle, légère. Les oiseaux de mer volaient au-dessus du récif, les pailles-en-queue énervés poussaient des cris de crécelles. À un moment, elle s’est retournée. J’étais en train d’émerger du lagon, sur la plage, les genoux et les mains écorchés. Suryavati était loin, son châle rouge faisait une ombre sur son visage, mais il m’a semblé qu’elle riait. Je devais avoir l’air piteux, avec mes habits mouillés, mon pantalon déchiré aux genoux.

J’avais mal sous la plante du pied droit. En me débattant dans le courant, j’avais dû marcher sur un oursin, et je sentais une brûlure intense. En même temps, la mer est revenue, les vagues ont recommencé à déferler sur la barrière de corail. Le vent soufflait en bourrasques. Je ne sais pourquoi, je me suis mis debout sur la plage, et j’ai appelé la jeune fille. Je criais : « Ohé ! » comme si elle pouvait m’entendre. Elle est revenue sur ses pas, en se hâtant. Elle aussi avait vu la tempête qui arrivait.

Je boitais sur la plage quand elle est sortie du lagon. Comme je lui disais : « Bonjour ! », elle m’a regardé. Sa robe couleur de mer était trempée par les vagues, elle avait ôté son foulard et ses cheveux noirs étaient collés sur ses épaules. Dans le sac de vacoa qu’elle portait autour du cou, j’ai vu sa récolte d’oursins, et à l’extrémité du harpon, comme des haillons, les omîtes qu’elle avait clouées. Ce que j’ai remarqué surtout, ce sont ses yeux, d’une couleur que je n’avais encore jamais vue, jaune d’ambre, de topaze, transparents, lumineux dans son visage très sombre. Elle m’a regardé un long instant, sans ciller, sans crainte, et moi j’avais le coeur qui battait trop fort, je ne savais pas ce que je devais dire.

Elle m’a fait asseoir dans le sable. Elle a planté le harpon à côté d’elle, et elle a pris dans son sac un petit couteau, juste une lame pointue sans manche. Avant même que je réalise ce qu’elle allait faire, elle a pris mon pied droit et elle a incisé la peau dure, à la base du gros orteil. Elle m’a montré dans la paume de sa main la minuscule dent bleutée. « Tu as de la chance, c’est juste un morceau de corail. » Elle indiquait le récif. « Ici, c’est plein de laffes-la-boue. » Comme je la regardais, elle a cru que je ne comprenais pas le mot. « Vous appelez ça des poissons-scorpions. Ça peut te faire mourir. » Je la regardais avec étonnement, parce qu’elle m’avait parlé en français, sans accent. Je voulais lui poser des questions, lui demander son nom, pourquoi elle était ici, depuis combien de temps, mais elle s’est relevée, elle a ramassé ses affaires, et elle est partie à la hâte, en courant à travers les broussailles. Elle a escaladé le glacis au bout du cap, et elle est entrée dans le petit bois de filaos qui nous sépare de Palissades.

Malgré la blessure de mon pied, j’ai essayé de suivre sa trace. Comme si c’était un jeu qu’elle avait joué avec moi, qu’elle s’était cachée derrière un buisson pour me surprendre. Ou peut-être que j’imaginais qu’elle était venue sur le récif pour me rencontrer, pour me trouver. Je crois que c’est moi qui avais des idées d’enfant. Je sentais mon sang battre dans mes artères, le vent et la lumière m’étourdissaient. Je boitillais pieds nus à travers les broussailles, les genoux et les mains en feu. De l’autre côté des filaos, je me suis retrouvé tout à coup devant le village de Palissades. J’étais arrivé sur le versant nord, là où vivaient les parias. C’étaient des huttes de branchages, consolidées par des blocs de lave non jointoyés, avec des toits de palmes en mauvais état. Certaines devaient être très anciennes, démolies tempête après tempête, rafistolées à chaque fois. De la fumée montait un peu partout, tourbillonnait dans les rafales. Derrière les huttes, au pied de l’escarpement, il y avait des champs de terre grise où poussaient quelques légumes, des pois, des haricots, quelques cannes de maïs brûlées par le soleil. Des chiens faméliques erraient entre les huttes ; ils m’avaient senti, et ils se sont mis à grogner. Un des chiens a fait un grand tour pour venir par derrière, menaçant, les crocs dégagés. Je me suis souvenu de ce que Jacques m’avait appris, quand j’étais petit. Il disait que c’était le vieux Topsie le cuisinier de la maison d’Anna : « Pour faire la guerre licien, napa bisoin fizi, bisoin coup de roce. » C’est un proverbe, à chacun selon son mérite, et il m’a semblé ici particulièrement approprié. J’ai ramassé une lave aiguë, et la main levée, j’ai battu en retraite vers mon versant de l’île. Le sirdar n’a pas besoin de garde pour veiller sur sa frontière.

Ce soir, je suis retourné jusqu’au sommet du volcan pour regarder la ville des coolies. Assis à l’abri des ruines du phare, j’écoutais le sifflement du vent dans les pierres. Il pleuvait par intermittence et la mer était démontée, avec cette couleur verte qu’elle avait le soir où nous avons débarqué. Avant même le crépuscule, le ciel a noirci comme s’il y avait un incendie de l’autre côté de l’horizon. Au milieu des gémissements du vent, j’ai entendu le long coup de sifflet du sirdar qui annonce aux croyants l’heure de la prière. Les feux brillaient devant les maisons, à l’abri des auvents. Je sentais l’odeur du riz en train de cuire, l’odeur douce du cumin et des épices. Il y avait si longtemps que je n’avais pas mangé, j’avais un trou au centre de mon corps, cela me faisait trembler un peu, comme de désir. Je voulais voir jusqu’à l’autre bout de la rue, là où commençaient les cabanes des pauvres, là où vivait Suryavati. J’attendais de voir sa silhouette mince, marchant vers les citernes pour puiser de l’eau, au milieu des autres femmes et des enfants. Mais elle n’est pas apparue. Peut-être qu’elle savait que je l’épiais.

Je suis retourné à la Quarantaine. Pour la première fois, j’ai senti la fièvre venir, une douleur qui naissait dans la blessure de mon pied et remontait le long de mon corps, en soulevant chaque poil, faisant trembloter chaque muscle. Jacques s’est inquiété : « Tu ne vas pas tomber malade ? » Il a examiné la plante de mon pied, a mis un peu de bleu de méthylène. Suzanne m’a donné à boire de l’eau rougie au permanganate, parce qu’il ne restait plus de thé. Dans la nuit, les yeux de Suryavati brillaient, jaunes comme des iris de chat. Je grelottais, enveloppé dans le châle de Suzanne. Je me suis endormi quand le vent s’est calmé, et que le bruit de la tempête est devenu un murmure lointain..."

JMG le Clézio - La Quarantaine



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