Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°409 (2014-10)

Mardi 18 mars 2014

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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  Janis Joplin -
Ball and chain

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Nuages, cochons...
Ambiances à la
ferme Berdoulets
Astugue
(Hautes-Pyrénées)

  du 14 au 23 février 2014

Alex, la truie, au petit matin...

Ciels du soir

Rouge et noir


Sit-down by the window...

Bart, le verrat (porc noir de gascogne !)...

Agneau têtant...

Sieste

Dans la sécurité de la bergerie

Instabilité

Rolland


Brebis et son agneau


Ida

Janis & Joplin (veaux jumeaux)
c'est l'année des noms en "J"...

Pitô n'est pas content !
il n'apprécie pas beaucoup les caresses "pressantes" d'Angèle, ma nièce !

Vue sur la ferme, le soir

Poule noire "rebelle"
Elle refuse de rester dans le poulailler !

Portrait d'un agneau

Nuage

Farniente

Ombres chinoises

En "tire-bouchon"

Troupe d'agneaux, à la découverte de la bergerie


Bicolor


Bart, portrait...

Alex


Bain de boue

Carpe Diem



Petit texte :

"16. L'enroulement des escargots


Quelle main ou quel oeil immortel

A pu façonner ta terrible symétrie ?

Ces vers bien connus de William Blake s'interrogeant sur la manière dont a été créé le tigre soulèvent un question de première importance que nous pouvons entendre littéralement, bien que les intentions du poète aient été sans doute plus métaphoriques : pourquoi la symétrie, et notamment le mode bilatéral, donnant des images en miroir, qui s'applique à notre propre anatomie, est-elle de loin la plus fréquente chez les animaux dont l'organisation est complexe ? Pourquoi nous présentons -nous sous forme de deux moitiés équivalentes, droite et gauche ? Et pourquoi sommes-nous fascinés par les déviations minimes par rapport à cette règle, portant généralement davantage sur des fonctions que sur la morphologie, mais auxquels on accorde une grande importance dans notre culture, comme la préférence manuelle droite ou la différence entre le cerveau « droit » et le cervau « gauche » ?

Quelques grands groupes d'organismes ne présentent pas de symétrie fondamentalement bilatérale ; c'est notamment le cas de mes sujets d'étude favoris : les gastéropodes, autrement dit les escargots. Chez ceux-ci, le corps mou est grosso modo bilatéral lorsqu'on l'extrait de la coquille et qu'on le déroule ; mais, en temps normal, il est hébergé dans cette dernière, laquelle consiste, en fait, en un tube enroulé autour d'un axe. Chez les organismes dits « supérieurs », la coquille d'escargot représente donc la structure la plus courante qui ne possède pas de symétrie bilatérale.

On peut enrouler un tube autour d'un axe vertical dans chacune des deux directions appelées « gauche » ou « droite ». Si nous mettons un escargot dans une position convenue, c'est-à-dire la pointe de la coquille en haut et son ouverture en bas, nous dirons que la direction d'enroulement est « à droite » si l'ouverture de la coquille se présente devant nous, à droite de l'axe vertical ; et « à gauche » si elle se présente à gauche.

Ces appellations sont véritablement arbitraires, car les escargots ne tienne évidemment aucun compte des notions de « pointe en haut, ouverture en bas » (dans la vie réelle, la plupart des escargots portent leur coquille plus ou moins horizontalement, et parallèlement au sol). Si nous dessinons les spécimens que nous observons en les positionnant avec la pointe en bas (comme la tradition de l'illustration scientifique l'a toujours fait en France), alors, l'ouverture des spécimens dont l'enroulement est dit « à droite » se retrouve à gauche de l'axe vertical.

En Inde, par exemple, la coquille en forme de conque du gastéropode Turbinella pyrum est appelée « conque sacrée » et est vénérée en tant que symbole de Vishnou. (Dans la Bhagavad-Gita, Vishnou, sous la forme de son plus célèbre avatar, Krishna, souffle dans sa conque sacrée pour appeler l'armée d'Arjuna à la bataille.) Les spécimens de cette coquille qui présentent un enroulement à gauche sont particulièrement prisés en Inde, et, autrefois, ils se vendaient généralement au prix de leur poids d'or. Mais les Indiens considéraient que la pointe de la coquille en représentait le bas, et, par suite, disaient de ces spécimens rares qu'ils étaient à « enroulement droit ». Peut-être leur accordaient-ils une valeur particulière parce qu'ils reflétaient la préférence manuelle droite chez les êtres humains (laquelle existait de même, je le suppose, chez les dieux anthropomorphes) ?

Un puriste pourrait peut-être pardonner aux escargots de s'être affranchis de la symétrie bilatérale, s'ils se pliaient à une règle de symétrie de niveau plus élevé, spécifiant qu'au sein de leurs populations se rencontreraient en nombre égal des individus à enroulement gauche et des individus à enroulement droit. Mais les escargots sont fortement dissymétriques à ce niveau, ne respectant pas non plus cette règle, car les coquilles à enroulement droit sont infiniment plus nombreuses que les coquilles à enroulement gauche, pas seulement chez la conque sacrée de l'Inde, mais aussi dans pratiquement toutes les espèces. Les coquilles à enroulement droit sont dites « dextres », du latin dexter signifiant « droit ». (Soit dit en passant, le mot « droit » figure dans toute une série de termes exprimant des préjugés imposés par la majorité des êtres humains dotés de la préférence manuelle droite : dans de nombreuses langues, il s'agit par exemple, de termes relatifs à l'habileté ou à l'acceptabilité. En français ou en allemand, le « droit » désigne les règles juridiques en vigueur. Il est à noter, aussi, que, en toute honnêteté et d'un point de vue historique, lorsqu'on parle des « droits de l'homme », aussi noble soit la notion, elle met en avant deux préjugés linguistiques, injustement imposés par deux groupes dominants.) Les coquilles enroulées à gauche sont dites « sénestres », du latin sinister signifiant « gauche » (il est à noter que la même racine latine à donné également « sinistre », de sorte que le termede « sénestre » appliqué à ces coquilles présente une connotation quelque peu défavorable, en conséquence du même préjugé qui privilégie la préférence manuelle droite.) Dans le reste de cet essai, j'emploierai cette terminologie, en appelant « dextres » les coquilles enroulées à droite et « sénestre » les coquilles enroulées à gauche. Je ne peux m'empêcher de me demander également si l'arbitraire de ces désignations n'a pas été mis en oeuvre dès le moment où l'on a décidé de situer en « haut » la pointe de la coquille des escargots, de telle sorte qu'on allait pouvoir appeler « droite » la direction de l'enroulement chez la vaste majorité de ces animaux.

S'il est vrai que les formes dextres prédominent très largement, on a trouvé néanmoins quelques individus sénestres dans la plupart des espèces. Par exemple, chez Cerion, l'escargot terrestre des Antilles qui constitue mon sujet de recherche spécifique, on n'a trouvé, jusqu'ici, que six spécimens sénestres sur des millions qui ont été examinés (et, comme dit ci-dessus, les Turbinella sénestres valaient, en Inde, littéralement leur poids d'or). Dans un petit nombre d'espèces, on ne trouve exclusivement que des coquilles sénestres, mais les espèces qui leur sont apparentées au sein d'un même genre sont généralement dextres. Les naturalistes ont cherché à distinguer particulièrement ces rares espèces sénestres, en leur donnant un nom qui fût à la hauteur de leur reniement : il s'agit, par exemple, de Busycon contrarium ou Busycon perversum, comme a été dénommée de différentes façons la plus fréquente des espèces sénestres de l'Atlantique Nord. Chez un petit nombre d'espèces également (notamment dans la famille des Clausiliidae), il y a prédominance des coquilles à enroulement sénestre, mais là encore, toutes les espèces étroitement apparentées sont dextres. En résumé, les escargots dextres sont très largement majoritaires (bien plus que les droitiers par rapport aux gauchers chez les êtres humains, en termes de fréquence), et ceci à tous les niveaux : entre les individus au sein des espèces, entre les espèces au sein d'une lignée et entre les lignées au sein d'un groupe taxinomique plus large.

A ce stade, tout lecteur avisé et à l'esprit curieux se sera posé l'évidente question : « Pourquoi ? Quel avantage peut-il bien y avoir à ce qu'une coquille soit enroulée à droite plutôt qu'à gauche ? » Je peux seulement répondre qu'il est tout à fait légitime de poser ce genre de question, d'ailleurs passionnante, mais que nous n'avons pas la moindre idée de la réponse. (Je ne suis même pas sûr que l'on devrait poser cette question en termes d'avantages supposés. Les enroulements dextre et sénestre pourraient être tout à fait équivalents en termes fonctionnels, la modalité dextre n'étant qu'un héritage historique de ce qui se serait produit par hasard la première fois.) Je suis désolé de me défiler sur cette intéressante question, mais je peux au moins citer, sur ce point, le plus grand des auteurs d'histoire naturelle par le style de sa prose, D'Arcy Wentworth Thompson ; dans son ouvrage Growth and Form, publié originellement en 1917, mais encore réédité avec succès de nos jours, il a écrit ceci : « Mais nul ne sait pourquoi, dans l'ensemble des coquillages du monde entier, que ce soit de nos jours ou dans le passé, une direction d'enroulement est énormément plus fréquente que l'autre. »..."

Stephen Jay GOULD  - Les quatre antilopes de l'apocalypse




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