Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°378 (2013-29)

mardi 30 juillet 2013

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
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  Concerto Brandebourgeois n°2 (BWV 1047)
- JS Bach

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au bas de l'image...



ou cliquez [ici]



 
Un peu de tourisme :


  Impressions "naturalistes" sur
Berlin (Allemagne)

  du samedi 13 au mardi 16 juillet 2013

Lierre

Colibri

Gendarme - Pyrrhocoris apterus, au pied d'un Tilleul

Au bord du canal de la Spree

Jeune Moineau domestique

Dans un If

Moineau au repos
(à proximité de la Porte de Brandebourg : celle que l'on voit sur la vidéo ci-dessus...)

Moineau domestique mâle

Jeune

Rosa

Moineau, sur le mémorial de l'Holocauste
<image recadrée>

Sous la pluie

Potager improvisé,
au pied des immeubles...

Jardin public (et un gros Tilleul, Linden)

Moineau friquet

Rayon de soleil

Ombre du feuillage d'un Marronier

Corydale jaune - Corydalis lutea
Elle pousse aussi sur les anciens remparts de Pontarlier...

Ferronnerie d'art
Les Bovins...

Les dragons... (girouette et nuages)

Tournesol

A l'entrée du Jardin botanique (Botanischer Garten),

pour voir le plan de cet immense jardin,

cliquez [ici]

Les images suivantes ont été prises lors d'une promenade (trop courte !)
dans ce jardin.

Gobemouche gris

Cardère

Marsilée à quatre feuille - Marsilea quadrifolia
Petite plante de la famille des fougères.

Malgré la saison tardive, il reste quelques belles fleurs :
Epipactis des marais -
Epipactis palustris

Oeillet superbe - Dianthus superbus

Nenuphar blanc - Nymphea alba

Butome en ombelle - Butomus umbellatus

Feuillage du Bouleau nain - Betula nana
Arbrisseau caractéristique des tourbières nordiques,
il reste quelques individus dans le Haut-Doubs !

Ambiance d'une Hêtraie (Buchenwald)
(reconstituée dans le jardin botanique !)

Veronique en épi - Veronica spicata

Grande Astrance - Astrantia major

Fougères

Gentiane croisette - Gentiana cruciata

Campanule

Chardon bleu des Pyrénées - Eryngium bourgatii

Aconit tue-loup - Aconitum vulparia
et un Bourdon (flou !)

Reine des Alpes - Eryngium alpinum
et deux abeilles

Aconit napel -Aconitum napellus

Stipe pennée - Stipa pennata

Lis

Pavillon japonais (sous un Gingko Biloba)

"Gingko biloba

La feuille de cet arbre qui de l'Orient
A été confié à mon jardin
Donne à apprécier un sens caché
Capable d'édifier l'initié.

Est-ce un seul être vivant
Qui s'est scindé en lui-même ?
En sont-ce deux qui s'élisent
Au point qu'on les connaît comme un seul ?

Pour répliquer à de telles questions
J'ai sans doute trouvé le vrai sens :
Ne ressens-tu pas, à mes chants,
Que je suis un et double ?"

JW von Goethe
,
extrait du Divan occidental-oriental

Mélèze du Japon - Larix kaempferi

Tulipier de Virginie - Liriodendron tulipifera

Catalpa - Catalpa bignonioides

Rose trémière

Dans la rue menant au Jardin Botanique...




Petit texte :

 "Larache, Maroc - 1928

La pièce a deux fenêtres. L'une est ouverte sur l'océan, la seconde regarde le désert. Dans ce bout de caserne battu par les vents atlantiques, il fait tiède l'hiver et frais l'été. Là réside un trésor dont Antonio prend grand soin. 

On lui a demandé de ranger un encombrement de livres abandonnés par un gradé bibliophile. Le reste du temps Antonio repasse les chemises du général Emilio Mola, époussette ses uniformes lourds de médailles et nettoie son pot de chambre. 

Partir, ce rêve d'adolescence, Antonio l'a accompli, mais pas comme il l'espérait. Il a appareillé dans le port de Barcelone, direction le Maroc où le service militaire l'a appelé. 

En découvrant son état dans le civil, le général a aussitôt voulu l'avoir comme ordonnance. Pour une simple question de nationalité : Mola, grand et maigre, au crâne bien dessiné, avec un large front et des lunettes rondes plus appropriées au savant qu'à l'homme d'action, est un Catalan de coeur, bien que ses lèvres épaisses trahissent ses origines cubaines. Campé dans des bottes à tiges qu'Antonio cire soir et matin, le général Mola appartient au clan des hauts gradés "africains" pour qui le Maroc est le tremplin idéal des ambitions personnelles. 

Depuis 1921, date du désastre d'Annual, la guerre du Maroc gangrène la politique espagnole. Dix mille morts dus à l'incurie du général Silvestre, un incompétent qui abandonna son armée d'affamés et de désespérés aux troupes rebelles d'Abd el-Krim el Khatabi. Le général Silvestre, favori d'Alphonse XIII, s'était à l'époque honorablement suicidé. La récente défaite d'Abd el-Krim, obtenue par Primo de Rivera secondé par les maréchaux français Lyautey et Pétain, a réduit l'intensité de ce conflit colonial. Mais le Maroc continue d'être un dur réveil pour tous les conscrits. 

Cela a été le cas pour Antonio. Il était prévu qu'il parte à l'armée à sa majorité : vingt et un ans. Hélas, sur le registre baptismal de Miravet, une coquille le fait naître en 1905. Un sien cousin, employé au greffe de Tarragone, et qui voulait justement épouser celle que convoite Teresa mère pour son fils, a profité de l'erreur pour anticiper l'avis de conscription. 

Rien n'y a fait : ni les récriminations d'Antonio, ni l'état civil produit par son père. Le rond-de-cuir, un fervent nationaliste bien introduit dans l'armée, invoqua la nécessité du devoir. Il savait surtout que les Vives de Barcelone ne pourraient jamais réunir les mille cinq cents pesetas leur permettant d'acheter la rédemption du service militaire. Ainsi se nomme la loi qui exempte les riches et envoie les ouvriers et les paysans à leur place sous les drapeaux. La rage n'avait plus quitté Antonio. 

Armand le vit pour la première fois à cran. 

Il l'avait pris à part, le temps d'un rapide en-cas fait de pain frotté de tomate et d'huile d'olive, mais sans ail, puisqu'il fallait reprendre le service pour des nez délicats qui ne supportaient pas cette odeur si vulgaire. 

- Allons mon gars, tu savais bien que tu n'aurais pas l'argent pour acheter ta rédemption. Un jour ou l'autre tu devais être rattrapé. Personne n'y coupe, à moins de s'appeler Romanones ou Güell ! Mais ne t'en fais pas, je te promets que ton poste t'attendra. Avec l'Expo universelle, il y aura beaucoup de travail. 

- Ce n'est pas ça qui m'inquiète, Armand ! Je ne veux pas partir deux ans ! Plus maintenant ! J'ai Isabel ! 

- Elle aussi t'attendra, je ne m'inquiète guère. Mais il faudra que vous vous écriviez souvent, pour ne pas perdre le contact. Et je sais que tu le feras, tu aimes trop les lettres, avait-il dit, apaisant. Non, moi ce qui me met en colère, c'est qu'aucun d'entre vous, pauvres troufions, n'a de raisons d'aller au Maroc. 

La guerre coloniale, Lazaro aussi l'avait connue. Il l'avait faite quand la région était loin d'être "pacifiée". Le ténor, qui fréquentait désormais les cercles huppés, savait très bien pourquoi on ne cessait d'y envoyer des troupes. 

- Les Maures attaquent la construction du chemin de fer desservant les mines qui sont la propriété des Comillas et des Romanones. Tu vas aller te battre pour défendre leurs intérêts dans le Rif tandis que leurs fils achètent leur exemption. Et ça, tu vois, les journaux n'en parlent pas. Les hommes décents et les travailleurs doivent aller mourir pour les biens d'une poignée. Si le gouvernement dédiait à l'instruction, à l'agriculture et aux travaux publics tout l'argent qui va au clergé, à la ploutocratie et aux caprices de la Maison royale, on ferait meilleure figure. Ah Toni ! soupira-t-il, l'Espagne est une grande nation formée d'un ensemble de peuples magnifiques. Unis sous une idée généreuse et commune nous connaîtrions le bonheur, mais jamais ils ne la laisseront devenir réalité ! 

Antonio a cependant de la chance. Avec Abd el-Krim déporté sur l'île de la Réunion, le Maroc de 1928 est une contrée d'escarmouches où il ne se passe plus grand-chose. Et à Larache, ville-garnison proche de Tanger, encore moins. Le simoun, le soleil, les pluies diluviennes d'hiver : la routine n'est interrompue que par les chasses au sanglier durant lesquelles Antonio charge comme un automate les fusils du général Mola. S'ensuivent de mémorables gueuletons où le loufiat de l'Oriente déploie son savoir-faire. Puis le soleil, l'imperturbable souverain du Rif, écrase tout. Alors Antonio profite de ces siestes sonores pour rejoindre son état-major littéraire. 

Il ne classe pas les livres, il les dévore. Il s'enfonce avec passion dans le paradis abandonné par un certain officier B. mort au front sans descendance et dont tout le monde a oublié le nom. Il n'y a que cette initiale, B., inscrite en tête de chaque livre lu, pour rappeler le bref passage de cet inconnu sur la terre. 

- J'aurais aimé te connaître, monsieur B., pense souvent Antonio en ouvrant un livre. 

L'officier en avait parcouru les deux tiers. C'est ceux-là qu'Antonio choisit de lire, se laissant guider par le disparu. Il aime chacun des ouvrages parfois annotés en marge. Guerre et Paix puis L'Homme qui rit le tiennent en haleine durant des semaines. Un beau hors-d'oeuvre. Sous les couvertures racornies par la chaleur, il y a Balzac et Eugène Sue, Diderot, Vallès, Rousseau. Ceux-là, Antonio n'aurait pu les avoir à Barcelone. Ils coûtent bien trop cher. 

B. semblait aussi avoir apporté aux portes du désert de quoi étancher une intense soif d'interdits. Outre les Français et les Russes traduits en espagnol, il y a des auteurs plus sulfureux. Nietzsche, Bakounine, Marx, Barbusse. Tous ces noms, dont les idées agitent les colonnes des journaux, bénéficient de pauses bienvenues. Car Antonio se fait écrivain public pour ses camarades, de pauvres gars illettrés, arrachés à leur terre par l'injuste conscription. Ils viennent le voir pour se faire lire les lettres et pour qu'Antonio écrive leurs réponses. Ordonnance de général, il est correctement vêtu tandis qu'eux n'ont qu'une capote ou un calot, rarement les deux. Ils portent encore les vêtements qu'ils avaient à leur descente de navire, ou s'habillent à la mode locale. Burinés par le soleil, on ne sait plus trop qui est espagnol ou marocain. Les gars trompent leur lassitude avec les innombrables chiens d'Afrique. Ils leur apprennent des tours de cirque et leur parlent puisque les chiens comprennent toutes les langues. 

Entre Zarathoustra et Le Capital, Antonio astique ses vers comme il fait reluire les caparaçons de Mola. Puis, ses yeux dans les yeux de B., il replonge dans la lecture. Il ne l'abandonne que tard le soir pour retrouver Isabel. A la lueur d'une lampe-tempête, il lui écrit des lettres de plus en plus racées. La distance augmente encore la densité d'un amour qui s'enrichit au contact de tant de belles pages et de nobles sentiments. Là, entre océan et désert, entouré d'étagères qu'il a amoureusement vernies et où les livres reposent désormais par nation et par auteur, Antonio grandit, Antonio respire. 

Un ouvrage monumental le porte très haut sur le monde : L'Homme et la Terre d'Elisée Reclus. Au début du XXe siècle, le savoir en croissance exponentielle a eu l'ambition d'être ramassé en une somme unique désireuse d'offrir tous les rameaux de la connaissance. Le géographe anarchiste a réuni les volcans et les primates, les tribus et les marées, les pôles et les minéraux dans une encyclopédie lyrique. Des phrases lui frappent l'esprit comme "L'homme est la nature prenant conscience d'elle-même." Reclus est un vin fortement titré qu'Antonio coupe avec Le voyage au centre de la Terre puis Les enfants du capitaine Grant. Mais il ne s'agit pas que d'ivresse mentale. Les mots travaillent le sommeil, les phrases dessinent les rêves, de sorte qu'à son réveil, un lecteur épris n'est plus celui qu'il était la veille : il a mûri à son insu..."

Vincent BOREL - Antoine et Isabelle




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