Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°375 (2013-26)

Mardi 9 juillet 2013

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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  Aghriv (l'immigré)
- IDIR

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Au bord du chemin

 
Astugue, ferme Berdoulets (Hautes-Pyrénées)
  du 10 au 15 juin 2013

Eglantine,
sous la pluie !!

Géranium herbe à Robert - Geranium robertianum

Marguerite

Silène enflé ou Claquet (Pétard, au Québec) - Silene vulgaris

Fougère Aigle - Pteridium aquilinum

Benoite des villes - Geum urbanum

Châtaignier

Benoite des villes (fruits et fleurs)

Fruit de la Benoite des Villes

Fougère Aigle

Dactyle aggloméré - Dactylis glomerata

Eglantier (Rosa sp.) en contre-jour

Géranium à feuilles découpées - Geranium dissectum

Coquelicot - Papaver rhoeas
au soleil couchant

Cirse sp.

Campanule étalée - Campanula patula

Laiteron sp. - Sonchus sp.

Campanule étalée
(il semble que cette fleur ne pousse pas dans le Haut-Doubs ?)

Campanule étalée

Scabieuse sp. - Knautia sp.

Campanule étalée en bouquet

Ancolie commune - Aquilegia vulgaris

Ronce - Rubus

Sureau noir - Sambucus nigra

Lychnis fleur de coucou - Lychnis flos-cuculi

Fraise des bois - Fragaria vesca

Ortie - Urtica sp.



Petit texte :

"À la sortie du métro, le froid mordait la peau et les première putes habillées en astronautes occupaient chacune son mètre carré de trottoir devant le commissariat de police de la Davidstrasse. Je marchai en me massant les mains jusqu’à l’Imbiss de Zelma. La porte de la boutique à peine poussée, la douce chaleur régnante et l’odeur du kebab ruisselant qui rôtissait à la verticale me donnèrent envie de fêter mon anniversaire. Zelma, grosse comme un tonneau, enveloppait pour une fille deux portions de poivron farci. Elle me salua :

Comment ça va, mon compatriote ?

Bien, ma compatriote. J’ai drôlement faim.

Et tu as froid, mon compatriote. Tu grelottes.

Viens, sers-toi un verre de thé.

La fille prit le paquet. Tout en payant, elle demanda :

Pourquoi parlez-vous allemand entre vous ? Vous

n’êtes pas du même pays ?

C’est un Turc malgré lui, expliqua Zelma.

Non, par osmose, précisai-je.

Je ne comprends pas, dit la fille.

Tu sais ce que c’est, l’osmose ? C’est le passage, forcé ou volontaire, de deux liquides de densité différente à travers un tube. Les Turcs, on les fait passer par le tube de la haine à coups d’insultes. Je ne suis pas turc, je devrais donc passer par un autre tube, mais on me met dans le même.

Bien expliqué, mon compatriote. T’aurais dû être prof, apprécia Zelma.

Trop compliqué pour une étudiante. Mais t’as quand même l’air d’un Turc, ajouta la fille, et elle partit avec ses poivrons farcis.

Le thé chaud, sucré et parfumé me fit oublier le froid. Deux jeunes entrèrent et commandèrent un donner kebab. Le verre de thé dans mes paumes, je regardai Zelma découper des lamelles dans la viande d’agneau dorée et les mettre dans les légers pains turcs. Elle était grosse comme un baril, mais elle évoluait avec la grâce d’une danseuse. Elle avait peut-être dansé jadis la danse du ventre en électrisant des types moustachus. Un foulard blanc serrait ses cheveux noirs, et l’éclat enfantin de ses yeux sombres suggérait qu’elle prenait son activité commerciale comme un jeu. Des générations de putes s’étaient nourries à l’Imbiss de Zelma, elle leur faisait crédit aux époques de vaches maigres, certaines la payaient en argent et d’autres en insultes, mais Zelma ne perdait jamais sa bonne humeur ni l’éclat de son regard.

À toi, mon compatriote ! Qu’est-ce que tu vas manger ?

Quelque chose de vraiment bon. C’est mon anniversaire.

Ali ! appela Zelma et, du fond de la boutique, apparut Ali, le mari, les yeux rougis par les oignons qu’il était en train d’émincer.

Quelques minutes plus tard, j’étais assis devant un plateau d’aubergines frites, poivrons farcis, fromage de chèvre, piments doux, agneau rôti et pâtisseries fondantes feuilletées au miel.

Je ne sais pas comment je vais avaler tout ça.

Avec du vin, expliqua Zelma. Ali, qu’est-ce que tu attends ?

Ali déboucha une bouteille de vin portugais et me demanda quel âge j’avais. Je le lui dis, tout en dévorant.

Quarante-quatre ans, répéta-t-il, en faisant glisser les boules de son chapelet, quarante-quatre ans. Quand j’ai eu ton âge, j’ai décidé qu’il était temps de penser au retour. Avec nos économies, nous pouvions ouvrir un restaurant en Turquie, mais tu sais comment est Zelma, elle a refusé de quitter le quartier. Tu devrais y penser, au retour. Le temps passe très vite, et on finit par rester là.

Charrie pas, Ali. Toi aussi, tu veux me foutre à la porte de l’Allemagne ?

Le rire de Zelma remplit le local, et elle ne s’arrêta de rire que pour me chanter Happy birthday to you avec son mari.

Quand je sortis dans la rue, il pleuvait. Les panneaux des sex-shops se reflétaient sur l’asphalte et les souteneurs passaient dans leurs Mercedes de sport pour contrôler la viande exposée sous les parapluies. Je venais de fêter mon anniversaire, et dans les règles, ou du moins c’était ce qu’attestait le goût des épices collées à mon palais. Mais quelque chose, aussi, me restait encore dans les oreilles, et c’étaient les paroles d’Ali.

Retourner, rentrer. Volver con la frente marchita, las nieves del tiempo…, comme chantait Carlos Gardel : le visage marqué, les neiges du temps. Rentrer où ? La seule chose qui m’attendait au Chili, c’était la conviction d’une vengeance impossible. Non. Ce n’était pas la seule chose.

Il y avait quelqu’un, une personne, une femme, qui m’attendait peut-être – ou qui, peut-être, ne s’était même pas aperçue de mon absence parce qu’elle n’était elle-même, tout entière, qu’absence et abîme. Combien de fois m’étais-je giflé pour me forcer à regarder la réalité en face. Allons, me disais-je, tu es en Europe, en Occident, en Allemagne, à Hambourg, latitude tant, mais c’était comme frapper l’image sans défense qu’offre un miroir, parce que les neurones rebelles se chargeaient de me rappeler que je vivais dans le no man’s land que certains, par euphémisme, nomment exil.

S’exile celui qui n’a connu qu’un côté de la médaille et qui persévère dans son erreur bien au-delà du moment où il l’a comprise : mais quand il a traversé tout le tunnel et découvert que les deux bouts sont également obscurs, il reste prisonnier, collé comme une mouche au papier tue-mouches. La lumière n’existait pas. Elle n’était qu’une invention enfiévrée, et la clarté chirurgicale du lieu qu’il habite lui dit qu’il vit dans un territoire sans issue et que chaque année qui passe, au lieu de lui apporter la sérénité, la sagesse, l’intelligence pour qu’il essaye de s’échapper, se transforme en nouveau maillon de la chaîne qui l’attache. Et il peut bien avancer, ou croire qu’il avance, marcher dans n’importe quelle direction, les frontières s’éloigneront toujours, suivant une progression mathématique, proportionnelle à la longueur de ses pas.

Non, Ali. Je ne partirai pas d’ici, à moins d’un miracle, et les anciens guérilleros comme moi n’ont ni le temps ni l’envie de s’accrocher à de nouveaux mythes. Il n’est pas facile de veiller sur les sépultures de ceux que nous avons été. Au fond, Ali, ce dont j’ai peur, c’est de mourir dans mon lit. Des années durant, j’ai cherché, comme tant d’autres, la balle qui portait mon nom dans les rainures du canon. C’était la clef d’une mort digne, habillée du vêtement élémentaire de la croyance en quelque chose.

Mais tout ça c’est fini, la croyance s’est évanouie, le dogme n’est plus qu’une anecdote puérile et je suis là, tout nu, dépouillé de la grande perspective qui a marqué les individus comme moi : mourir pour quelque chose qui s’appelait la révolution et ressemblait au paradis qui attend les pashdaran islamiques – mais sur une musique de salsa..."

Luis SEPULVEDA - Un nom de torero




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