, Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°358 (2013-09)

Mardi 5 mars 2013

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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  Joaquín Rodrigo -
Concierto de Aranjuez (Adagio)

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Végétations, paysages et météorologie...

 
Astugue (Hautes-Pyrénées)
  du 8 au 15 février 2013

Astugue

Etable

Fruits du Lierre
(il fleurit à l'automne et
ses fruits murissent..., en hiver !)

Branches d'un Chêne

Châtons de Noisetier
(mais pas encore de fleurs femelles !)


Ronce

Tronc d'un Châtaignier

Houx

Germs sur l'Oussouet
(et le Pic du Montaigu, dans le nuage...)

Nuages du soir


Tempête de neige (dans la cour de la ferme Berdoulets)

Le lendemain !

Pic du Midi de Bigorre
(et son observatoire astronomique)

Pic du Montaigu

Astugue
(sous la neige)

Etable (et neige !)

Fougère

Pluie

Ronce

Coucher du soleil

Dans la brume

Châtaignier et charrette


Petit texte :


" Nuit d'amour

Ils ont du se lever vers 7 heures du soir. Peut-être ils avaient dormi tout le jour dans la chênaie de Paulou. Ce qui est sût, c'est qu'à 7 heures et demie ils avaient déjà traversé le sentier du Glouta.
Jean a croisé leurs pistes mêlées dans une petite neige qui fondait entre les doigts. Très vite les deux fauves ont pris le dévers, traversé la hêtraie jusqu'au grand ravin qui balafre le flanc de la sapinière sur six cents mètre de dénivelée et gagné la petite crête qui grimpe, raide, entre les sapins têtus. Là, la neige est fine, la griffe a vite fait de crocher dans l'humus.
Le jour gris baisse et fuit. Les dernières petites mésanges noires cessent une à une de piauler. Grimper, se hisser, les muscles roulent sous la fourrure.
Maintenant de chaque côté la pente plonge dans la nuit. Peut-être la hulotte a chanté. Nuit de coton, grise, couverte. Il neigeote. Trois flocons à peine.
Qui l'a humé le premier ou la première ? Odeur froide et tenace, de chair molle et de bois mêlés. Vers. Coup de patte. Et le tronc pourri vole en éclats humides sur la neige. Fouiller du mufle, croquer, sucer, lécher les larves juteuses et grasses.
Et repartir vers le haut toujours, patauger dans la neige qui croule sous les pattes, ramper et se couler entre les sapins abattus et les saules ployés par la neige. Là, c'est Papillon qui l'a sentie, grisante, acide, enivrante. Papillon, le vieux, l'énorme, le patriarche de bientôt trente ans, le noir, qui va toujours la gueule entr'ouverte, babines pendantes. Il a humé la fourmilière grouillante à son réveil printanier.
Cannelle, la petite femelle au pelage doré comme miel, va son chemin, indiférente. Lui se détourne, s'approche et cogne et fait voler et décalotte le dôme patient et se graisse le ventre de terre brune et lape et lèche et se grise délicieusement et tousse peut-être, à l'acide et brûlante friandise des petites ouvrières.
Les voilà enfin au haut de l'interminable couloir. Sortir en traversée, dans cette neige qui s'échappe sous les pas. Bientôt la croupe et le sentier. Plus un seul flocon, mais toujours cette nuit flasque de coton mouillé. Se coucher. Un long tronc abattu. A une extrémité, au flanc de l'arbre, Cannelle tourne et piétine et tasse et se roule et se musse ; à vingt pas, auprès de la souche redressée se roule et musse le vieux. Somme.
Qui est allé réveiller l'autre ? A force d'allers et venues il a tracé, le long du tronc, un véritable petit sentier de neige tassée et retassée. Je me plais à croire, sans preuve, que c'est Cannelle qui est venue ainsi, toute de fraicheur, réveiller l'ardeur du vieux : « On y va ? »
Cinquante mètres à peine et c'est, sur la croupe elle-même, une petite « planète » de neige dégagée, entre quelques immenses troncs crevassés et une souche arrachée, racines encore pantelantes.
Promontoire, belvédère, suspendu au-dessus de la nuit immense du vallon tout entier. Là, ils roulent tous deux, encore et encore, à en écraser la neige, dure maintenant comme glace, à y emprisonner quelques longs, onduleux et soyeux poils noirs de jais, arrachés à la fourrure de Papillon.
Tous deux, encore et encore. Ils se relèvent, Cannelle fais quelques pas entre les sapins. Plus modeste que la précédente, moins ouverte, bordée de jeunes sapins en noire et dense résille, une autre petite « planète ». Et encore Papillon la rejoint et encore ils roulent et se roulent à corps perdus sur la neige douce qui ploie et cède et s'affaisse et leur fait couche de fête.

Départ. Sentier maintenant, presque horizontal. Cannelle devant, comme un jeune chien fou, va, vient, précède, retourne, se couche, se vautre, marquant la neige de cette terre brune dont elle s'est graissé le ventre aux fourmilières, se relève, attend, repart. Derrière, le vieux. Papillon va son train, lent, régulier, économe, droit, pas une patte en dehors du cheminement. Derrière Cannelle, à portée de mufle, il va. Larges, fraîches, gorgées de sève verte, les jeunes feuilles de scille pointent au ras de la neige. Il happe et broute et mâche en marchant et la bave verte jute et file et goutte de ses babines, perles vertes étincelantes posées sur la neige blanche entre les énormes empreintes du vieux. Là, un tronc pourri, long, lisse, en travers de la sente. Au-dessus du chemin, oh deux mètres à peine. Cannelle s'est attablée. Vautrée dans la neige, griffes aigües, elle érafle le bois, l'éclate délicatement, débusque les larves du déjeuner. Deux mètres en dessous, à même le sentier, au gras du tronc, Papillon s'est assis. Gigantesque pogne, griffes énormes, il creuse et lacère et fouille du mufle la chair spongieuse de l'arbre. Pique-nique à deux.
Toujours Cannelle, petit chien fou devant, toujours le vieux derrière qui va son pas, roule son train de sénateur. Grise et molle, douce aussi, monte la lueur de l'aube, lentement. En bas, dans la vallée, l'homme balance son sac à dos à l'arrière de la voiture. Les voilà tous deux aux marges du pâturage. Ils jouent avec la lisière, longent les petits hêtres, s'enfoncent à nouveau entre les sapins. Le gave est là. Cannelle trottine, Papillon va derrière. Le gave est là. Cannelle s'est arrêtée. A ses pieds l'eau gronde et mugit et écume. Non, trop profond, elle ne passera pas. Elle retourne vers Papillon. Le vieux va et elle le suit maintenant. Il descend vers le gave. Sans un arrêt il va.L'eau jusqu'au ventre cogne et frappe contre son flanc et trempe et colle la lourde fourrure, il va, il a traversé. Cannelle hésite. Dans le jour qui tremble, elle devine au milieu du courant le nez d'un rocher qui affleure, l'écume blanche le dessine et le chante.Hop, hop... Toute la jeunesse de Cannelle, a bondi, effleuré le rocher, rebondi. Elle est sur l'autre rive, avec le vieux, sèche. Elle va devant, sa joie de petit chien fou. Le sentier, brusque crochet, va dégringoler vers la piste forestière, la route, la vallée. Cannelle et Papillon ne suivent pas le coude du sentier, ils vont droit. Le jour est là, blanc, tenace. Bientôt ils vont se musser pour la journée, tous deux côte à côte, quelque part au coeur du grand pan farouche de la sapinière.C'est à peu près à ce moment-là que le moteur s'est tu au bas de la piste forestière. L'ont-ils entendu ? J'ai mis le sac à dos. Une heure plus tard, 7 heures 30, au crochet du sentier j'ai rencontré la piste des deux ours. Cinq heures de traques merveilleuse, de galère et de paradis, pour vivre, à rebours, cette balade des amoureux, cette nuit d'amour.Si, au printemps 1998, galope un ourson au creux du val d'Ossau, alors il aura peut-être été conçu en cette nuit du 8 au 9 mai 1997 presque devant nous.

Epilogue

Bientôt un an et demi d'attente, sans savoir. Longue attente. Et puis. Mi-juillet 1998 l'annonce d'un collègue : hier, la piste de Cannelle, sur le sentier boueux et à côté, minuscule, incontestable... l'empreinte d'un ourson de l'année. Une joie de gamin. Ils « me » l'ont bien fait le petit cette nuit du 7 au 8 mai 1997 ! Bon vent l'ourson."

Louis Espinassous - Mémoire de terrain



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