Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°351 (2013 - 02)

Mardi 7 janvier 2013

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement, cliquez [ici]


Haydn -
La Création
"la représentation du chaos"

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au bas de l'image...

 



ou cliquez [ici]



Je viens de mettre en ligne un calendrier pour
cette nouvelle année 2013.

Pour le télécharger directement au format pdf
(1 400 ko)
,

cliquez [ici]

(puis imprimer-le sur du papier cartonné)

Les images ci-dessous en constituent les illustrations.

Bonne et heureuse année 2013

à toutes et tous.

Merci de votre fidélité.



Mont d'Or
(Haut-Doubs)

Janvier

Février

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet

Août

Septembre

Octobre

Novembre

Décembre

Bonus
(pour la carte de voeux !)

"La Nature est bien autre chose qu'une sorte de vaste ambulance ou préventorium pour citadins éclopés. C'est un réservoir presque illimité de formes, de couleurs, de mouvement et de vie, en perpétuelle fluctuation, dont aucune intelligence, aussi vaste soit-elle, ne pourra jamais saisir les modulations, les interférences et la prodigieuse complexité. Au delà de l'échelon du minéral, des myriades d'êtres naissent, vivent et meurent à nos côtés, proposant des myriades d'énigmes. Partout, terra incognita. Partout, des perspectives indéfinies s'entrouvent devant les aventuriers de la connaissance. L'aventure que désirent normalement tant de jeunes s'efface, dit-on, à la surface trop étroite du globe ? Erreur d'optique. S'il suffit d'abandonner les moyens de propulsion mécanique pour retrouver les véritables dimensions de l'univers, celles à l'échelle des désirs et des besoins de l'homme, il est encore certain qu'un seul mètre carré de terre, choisi n'importe où, est capable de nourrir une vie entière de découverte. Et cela s'emboîte à l'infini, du plus infime au plus formidable décor, se renouvelle sans interruption depuis des millions d'années en attendant des millions d'autres. Voici le véritable domaine des conquêtes honorables, capables de satisfaire les tendances les plus diverses et de rassasier toutes les faims. Le grand livre de la Nature demeure perpétuellement ouvert, à disposition de tout homme de bonne volonté, sans aucune distinction de classe, d'âge, de fortune ou même de possibilités intellectuelles. Car il parle au moins autant aux sens qu'à l'esprit. Et tout être, même le plus simple, peut être touché et comblé par la beauté et la poésie du monde."

Samivel - Cîmes et Merveilles



Petit texte :

"
Chapitre I - Le cloaque et ses surprises

C'est dans l'égout de Paris que se trouvait Jean Valjean. Ressemblance de plus de Paris avec la mer. Comme dans l'océan, le plongeur peut y disparaître. La transition était inouïe. Au milieu même de la ville, Jean Valjean était sorti de la ville ; et, en un clin d'œil, le temps de lever un couvercle et de le refermer, il avait passé du plein jour à l'obscurité complète, de midi à minuit, du fracas au silence, du tourbillon des tonnerres à la stagnation de la tombe, et, par une péripétie bien plus prodigieuse encore que celle de la rue Polonceau, du plus extrême péril à la sécurité la plus absolue. Chute brusque dans une cave ; disparition dans l'oubliette de Paris ; quitter cette rue où la mort était partout pour cette espèce de sépulcre où il y avait la vie ; ce fut un instant étrange. Il resta quelques secondes comme étourdi ; écoutant, stupéfait. La chausse-trape du salut s'était subitement ouverte sous lui. La bonté céleste l'avait en quelque sorte pris par trahison. Adorables embuscades de la providence ! Seulement le blessé ne remuait point, et Jean Valjean ne savait pas si ce qu'il emportait dans cette fosse était un vivant ou un mort. Sa première sensation fut l'aveuglement. Brusquement il ne vit plus rien. Il lui sembla aussi qu'en une minute il était devenu sourd. Il n'entendait plus rien. Le frénétique orage de meurtre qui se déchaînait à quelques pieds au-dessus de lui n'arrivait jusqu'à lui, nous l'avons dit, grâce à l'épaisseur de terre qui l'en séparait, qu'éteint et indistinct, et comme une rumeur dans une profondeur. Il sentait que c'était solide sous ses pieds ; voilà tout ; mais cela suffisait. Il étendit un bras, puis l'autre, et toucha le mur des deux côtés, et reconnut que le couloir était étroit ; il glissa, et reconnut que la dalle était mouillée. Il avança un pied avec précaution, craignant un trou, un puisard, quelque gouffre ; il constata que le dallage se prolongeait. Une bouffée de fétidité l'avertit du lieu où il était. Au bout de quelques instants, il n'était plus aveugle. Un peu de lumière tombait du soupirail par où il s'était glissé, et son regard s'était fait à cette cave. Il commença à distinguer quelque chose. Le couloir où il s'était terré, nul autre mot n'exprime mieux la situation, était muré derrière lui. C'était un de ces culs-de-sac que la langue spéciale appelle branchements. Devant lui, il y avait un autre mur, un mur de nuit. La clarté du soupirail expirait à dix ou douze pas du point où était Jean Valjean, et faisait à peine une blancheur blafarde sur quelques mètres de la paroi humide de l'égout. Au delà l'opacité était massive ; y pénétrer paraissait horrible, et l'entrée y semblait un engloutissement. On pouvait s'enfoncer pourtant dans cette muraille de brume, et il le fallait. Il fallait même se hâter. Jean Valjean songea que cette grille, aperçue par lui sous les pavés, pouvait l'être par les soldats, et que tout tenait à ce hasard. Ils pouvaient descendre eux aussi dans ce puits et le fouiller. Il n'y avait pas une minute à perdre. Il avait déposé Marius sur le sol, il le ramassa, ceci est encore le mot vrai, le reprit sur ses épaules et se mit en marche. Il entra résolument dans cette obscurité. La réalité est qu'ils étaient moins sauvés que Jean Valjean ne le croyait. Des périls d'un autre genre et non moins grands les attendaient peut-être. Après le tourbillon fulgurant du combat, la caverne des miasmes et des pièges ; après le chaos, le cloaque. Jean Valjean était tombé d'un cercle de l'enfer dans l'autre. Quand il eut fait cinquante pas, il fallut s'arrêter. Une question se présenta. Le couloir aboutissait à un autre boyau qu'il rencontrait transversalement. Là s'offraient deux voies. Laquelle prendre ? fallait-il tourner à gauche ou à droite ? Comment s'orienter dans ce labyrinthe noir ? Ce labyrinthe, nous l'avons fait remarquer, a un fil ; c'est sa pente. Suivre la pente, c'est aller à la rivière. Jean Valjean le comprit sur-le-champ. Il se dit qu'il était probablement dans l'égout des Halles ; que, s'il choisissait la gauche et suivait la pente, il arriverait avant un quart d'heure à quelque embouchure sur la Seine entre le Pont-au-Change et le Pont-Neuf, c'est-à-dire à une apparition en plein jour sur le point le plus peuplé de Paris. Peut-être aboutirait-il à quelque cagnard de carrefour. Stupeur des passants de voir deux hommes sanglants sortir de terre sous leurs pieds. Survenue des sergents de ville, prise d'armes du corps de garde voisin. On serait saisi avant d'être sorti. Il valait mieux s'enfoncer dans le dédale, se fier à cette noirceur, et s'en remettre à la providence quant à l'issue. Il remonta la pente et prit à droite. Quand il eut tourné l'angle de la galerie, la lointaine lueur du soupirail disparut, le rideau d'obscurité retomba sur lui et il redevint aveugle. Il n'en avança pas moins, et aussi rapidement qu'il put. Les deux bras de Marius étaient passés autour de son cou et les pieds pendaient derrière lui. Il tenait les deux bras d'une main et tâtait le mur de l'autre. La joue de Marius touchait la sienne et s'y collait, étant sanglante. Il sentait couler sur lui et pénétrer sous ses vêtements un ruisseau tiède qui venait de Marius. Cependant une chaleur humide à son oreille que touchait la bouche du blessé indiquait de la respiration, et par conséquent de la vie. Le couloir où Jean Valjean cheminait maintenant était moins étroit que le premier. Jean Valjean y marchait assez péniblement. Les pluies de la veille n'étaient pas encore écoulées et faisaient un petit torrent au centre du radier, et il était forcé de se serrer contre le mur pour ne pas avoir les pieds dans l'eau. Il allait ainsi ténébreusement. Il ressemblait aux êtres de nuit tâtonnant dans l'invisible et souterrainement perdus dans les veines de l'ombre. Pourtant, peu à peu, soit que des soupiraux lointains envoyassent un peu de lueur flottante dans cette brume opaque, soit que ses yeux s'accoutumassent à l'obscurité, il lui revint quelque vision vague, et il recommença à se rendre confusément compte, tantôt de la muraille à laquelle il touchait, tantôt de la voûte sous laquelle il passait. La pupille se dilate dans la nuit et finit par y trouver du jour, de même que l'âme se dilate dans le malheur et finit par y trouver Dieu. Se diriger était malaisé. Le tracé des égouts répercute, pour ainsi dire, le tracé des rues qui lui est superposé. Il y avait dans le Paris d'alors deux mille deux cents rues. Qu'on se figure là-dessous cette forêt de branches ténébreuses qu'on nomme l'égout. Le système d'égouts existant à cette époque, mis bout à bout, eût donné une longueur de onze lieues. Nous avons dit plus haut que le réseau actuel, grâce à l'activité spéciale des trente dernières années, n'a pas moins de soixante lieues. Jean Valjean commença par se tromper. Il crut être sous la rue Saint-Denis, et il était fâcheux qu'il n'y fût pas. Il y a sous la rue Saint-Denis un vieil égout en pierre qui date de Louis XIII et qui va droit à l'égout collecteur dit Grand Égout, avec un seul coude, à droite, à la hauteur de l'ancienne cour des Miracles, et un seul embranchement, l'égout Saint-Martin, dont les quatre bras se coupent en croix. Mais le boyau de la Petite-Truanderie dont l'entrée était près du cabaret de Corinthe n'a jamais communiqué avec le souterrain de la rue Saint-Denis ; il aboutit à l'égout Montmartre et c'est là que Jean Valjean était engagé. Là, les occasions de se perdre abondaient. L'égout Montmartre est un des plus dédaléens du vieux réseau. Heureusement Jean Valjean avait laissé derrière lui l'égout des Halles dont le plan géométral figure une foule de mâts de perroquet enchevêtrés ; mais il avait devant lui plus d'une rencontre embarrassante et plus d'un coin de rue—car ce sont des rues—s'offrant dans l'obscurité comme un point d'interrogation : premièrement, à sa gauche, le vaste égout Plâtrière, espèce de casse-tête chinois, poussant et brouillant son chaos de T et de Z sous l'hôtel des Postes et sous la rotonde de la halle aux blés jusqu'à la Seine où il se termine en Y ; deuxièmement, à sa droite, le corridor courbe de la rue du Cadran avec ses trois dents qui sont autant d'impasses ; troisièmement, à sa gauche, l'embranchement du Mail, compliqué, presque à l'entrée, d'une espèce de fourche, et allant de zigzag en zigzag aboutir à la grande crypte exutoire du Louvre tronçonnée et ramifiée dans tous les sens ; enfin, à droite, le couloir cul-de-sac de la rue des Jeûneurs, sans compter de petits réduits çà et là, avant d'arriver à l'égout de ceinture, lequel seul pouvait le conduire à quelque issue assez lointaine pour être sûre. Si Jean Valjean eût eu quelque notion de tout ce que nous indiquons ici, il se fût vite aperçu, rien qu'en tâtant la muraille, qu'il n'était pas dans la galerie souterraine de la rue Saint-Denis. Au lieu de la vieille pierre de taille, au lieu de l'ancienne architecture, hautaine et royale jusque dans l'égout, avec radier et assises courantes en granit et mortier de chaux grasse, laquelle coûtait huit cents livres la toise, il eût senti sous sa main le bon marché contemporain, l'expédient économique, la meulière à bain de mortier hydraulique sur couche de béton qui coûte deux cents francs le mètre, la maçonnerie bourgeoise dite à petits matériaux ; mais il ne savait rien de tout cela. Il allait devant lui, avec anxiété, mais avec calme, ne voyant rien, ne sachant rien, plongé dans le hasard, c'est-à-dire englouti dans la providence. Par degrés, disons-le, quelque horreur le gagnait. L'ombre qui l'enveloppait entrait dans son esprit. Il marchait dans une énigme. Cet aqueduc du cloaque est redoutable ; il s'entre-croise vertigineusement. C'est une chose lugubre d'être pris dans ce Paris de ténèbres. Jean Valjean était obligé de trouver et presque d'inventer sa route sans la voir. Dans cet inconnu, chaque pas qu'il risquait pouvait être le dernier. Comment sortirait-il de là ? Trouverait-il une issue ? La trouverait-il à temps ? Cette colossale éponge souterraine aux alvéoles de pierre se laisserait-elle pénétrer et percer ? Y rencontrerait-on quelque nœud inattendu d'obscurité ? Arriverait-on à l'inextricable et à l'infranchissable ? Marius y mourrait-il d'hémorragie, et lui de faim ? Finiraient-ils par se perdre là tous les deux, et par faire deux squelettes dans un coin de cette nuit ? Il l'ignorait. Il se demandait tout cela et ne pouvait se répondre. L'intestin de Paris est un précipice. Comme le prophète, il était dans le ventre du monstre. Il eut brusquement une surprise. À l'instant le plus imprévu, et sans avoir cessé de marcher en ligne droite, il s'aperçut qu'il ne montait plus ; l'eau du ruisseau lui battait les talons au lieu de lui venir sur la pointe des pieds. L'égout maintenant descendait. Pourquoi ? Allait-il donc arriver soudainement à la Seine ? Ce danger était grand, mais le péril de reculer l'était plus encore. Il continua d'avancer. Ce n'était point vers la Seine qu'il allait. Le dos d'âne que fait le sol de Paris sur la rive droite vide un de ses versants dans la Seine et l'autre dans le Grand Égout. La crête de ce dos d'âne qui détermine la division des eaux dessine une ligne très capricieuse. Le point culminant, qui est le lieu de partage des écoulements, est, dans l'égout Sainte-Avoye, au delà de la rue Michel-le-Comte, dans l'égout du Louvre, près des boulevards, et dans l'égout Montmartre, près des Halles. C'est à ce point culminant que Jean Valjean était arrivé. Il se dirigeait vers l'égout de ceinture ; il était dans le bon chemin. Mais il n'en savait rien. Chaque fois qu'il rencontrait un embranchement, il en tâtait les angles, et s'il trouvait l'ouverture qui s'offrait moins large que le corridor où il était, il n'entrait pas et continuait sa route, jugeant avec raison que toute voie plus étroite devait aboutir à un cul-de-sac et ne pouvait que l'éloigner du but, c'est-à-dire de l'issue. Il évita ainsi le quadruple piège qui lui était tendu dans l'obscurité par les quatre dédales que nous venons d'énumérer. À un certain moment il reconnut qu'il sortait de dessous le Paris pétrifié par l'émeute, où les barricades avaient supprimé la circulation et qu'il rentrait sous le Paris vivant et normal. Il eut subitement au-dessus de sa tête comme un bruit de foudre, lointain, mais continu. C'était le roulement des voitures. Il marchait depuis une demi-heure environ, du moins au calcul qu'il faisait en lui-même, et n'avait pas encore songé à se reposer ; seulement il avait changé la main qui soutenait Marius. L'obscurité était plus profonde que jamais, mais cette profondeur le rassurait. Tout à coup il vit son ombre devant lui. Elle se découpait sur une faible rougeur presque indistincte qui empourprait vaguement le radier à ses pieds et la voûte sur sa tête, et qui glissait à sa droite et à sa gauche sur les deux murailles visqueuses du corridor. Stupéfait, il se retourna. Derrière lui, dans la partie du couloir qu'il venait de dépasser, à une distance qui lui parut immense, flamboyait, rayant l'épaisseur obscure, une sorte d'astre horrible qui avait l'air de le regarder. C'était la sombre étoile de la police qui se levait dans l'égout. Derrière cette étoile remuaient confusément huit ou dix formes noires, droites, indistinctes, terribles..."

Victor HUGO - Les Misérables

J'avais déjà mis en ligne un texte sur les égouts de Paris (d'un précédent chapitre...),

vous pouver le relire en cliquant [ici]



Voir la liste des anciens numéros du"Trochiscanthe nodiflore" (les archives) : cliquez [ici]

Site internet : Rencontres sauvages

Me contacter : pascal@pascal-marguet.com

Calendrier 2013 : Pour le télécharger directement au format pdf (1400 ko), cliquez [ici]

 

Pour vous désinscrire, vous pouvez m'envoyer un e-mail (en répondant à ce message) avec pour objet "désinscription",

ou en cliquant

[ici]

Pour partager cette page sur "FaceBook", cliquez sur le bouton ci-dessous :



Rejoignez-moi sur "FaceBook" en cliquant sur le lien suivant :

[http://www.facebook.com/marguet.pascal]