Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°225 - Mardi 13 juillet 2010

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Comme un Souffle
- Musique du film "Le Peuple Migrateur"

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Dans les jardins I :
Tulipes...
Morges (Suisse)
Lundi 26 avril 2010

et un Narcisse !




Petit texte :

"Chapitre 11

Où Tistou décide d'aider le docteur Mauxdivers

C'est en visitant l'hôpital que Tistou fit la connaissance de la petite fille malade. L'hôpital de Mirepoil, grâce à la générosité de Monsieur Père, était un très bel hôpital, très grand, très propre et pourvu de tout ce qu'il fallait pour soigner les maladies. De larges fenêtres laissaient entrer le soleil; les murs étaient blancs et brillants. Tistou ne trouva pas que l'hôpital était laid, pas du tout. Et pourtant il sentit... comment expliquer cela?... il sentit qu'il s'y cachait quelque chose de triste.
Le docteur Mauxdivers, qui dirigeait l'hôpital, était un homme très savant et très bon, cela se voyait au premier regard. Tistou trouva qu'il ressemblait un peu au jardinier Moustache, un Moustache qui n'aurait pas eu de moustaches et qui aurait porté de grosses lunettes d'écaille. Tistou le lui dit.
- Cette ressemblance vient sans doute, répondit le dovteur Mauxdivers, de ce que Moustache et moi nous nous occupons l'un et l'autre de soigner la vie. Moustache soigne la vie des fleurs et moi je soigne la vie des gens.
Mais soigner la vie des gens était beaucoup plus difficile; Tistou le comprit vite en écoutant le docteur Mauxdivers. être médecin, c'était livrer sans cesse une bataille. D'un côté il y avait la maladie, toujours prête à entrer dans le corps des gens, et de l'autre la bonne santé, toujours prête à s'en aller. En plus il y avait mille sortes de maladies et une seule bonne santé. La maladie se mettait toute espèce de masques pour qu'on ne la reconnaisse pas; un vrai Mardi gras. Il fallait la déceler, la décourager, la chasser et en même temps, attirer la bonne santé, la tenir serrée, l'empêcher de s'enfuir.
- Tu as déjà été malade. Tistou?
- Non, jamais.
- Vraiment?
En en effet le docteur se rappela qu'on ne l'avait jamais appelé pour Tistou. Madame Mère avait souvent des migraines; Monsieur Père souffrait quelquefois de l'estomac. Le valet Carolus l'autre hiver avait eu une bronchite. Tistou, rien. Voilà un enfant qui depuis sa naissance n'avait pas connu la moindre varicelle, la moindre angine, le moindre rhume! Un cas très rare de bonne santé, un cas exceptionnel.
- Je vous remercie beaucoup de me donner cette leçon, docteur, elle m'intéresse bien, dit Tistou.
Le docteur Mauxdivers montra à Tistou la salle où l'on préparait les petites pilules roses contre la toux, la pommade jaune contre les boutons, les poudres blanches contre la fièvre. Il lui montra la salle où l'on peut regarder à tracers le corps de quelqu'un, comme à travers une fenêtre, pour voir où la maladie se cache, et aussi la salle, avec des miroirs au plafond, où l'on guérit l'appendicite et tant de choses qui menacent la vie.
"Puisque ici l'on empêche le mal de passer, tout devrait sembler gai et heureux, se disait Tistou. Où se cache donc cette tristesse que je sens?..."
Le docteur ouvrit la porte de la chambre qu'occupait la petite fille malade.
- Je te laisse, Tistou, tu viendras me retrouver tout à l'heure dans mon bureau, dit le docteur Mauxdivers.
Tistou entra.
- Bonjour, dit-il à la petite fille malade. Elle lui parut très jolie, mais bien pâle. Ses cheveux se déroulaient, noirs, sur l'oreiller. Elle avait à peu près le même âge que Tistou.
- Bonjour, répondit-elle poliment, sans bouger la tête.
Elle regardait fixement le plafond.
Tistou s'assit auprès du lit, son chapeau blanc sur les genoux.
- Le docteur Mauxdivers m'a dit que tes jambes ne marchaient pas. Vont-elles mieux depuis que tu es ici?
- Non, répondit la petite fille toujours aussi poliment; mais cela n'a pas d'importance.
- Pourquoi? demanda Tistou.
- Parce que je n'ai nulle part où aller.
- Moi, j'ai un jardin, dit Tistou pour dire quelque chose.
- Tu as de la chance. Si j'avais un jardin, peut-être aurais-je envie de guérir pour aller m'y promener.
Tistou aussitôt regarda ses pouces. "S'il n'y a que cela pour lui faire plaisir..."
Il demanda encore:
- Tu ne t'ennuies pas trop?
- Pas trop. Je regarde le plafond. Je compte les petites fentes qu'il y a dedans. "Des fleurs, ce serait mieux", pensa Tistou. Et il de mit à appeler intérieurement: "Coquelicots, coquelicots!... Boutons d'or, pâquerettes, jonquilles!"
Les graines entrèrent sans doute par la fenêtre, à moins que Tistou ne les ait apportées sous ses chaussures.
- Tu n'es pas malheureuse, au moins?
- Pous savoir si on est malheureux, répondit la petite fille, il faut avoir été heureux. Moi je suis née malade.
Tistou comprit que la tristesse de l'hôpital se cachait dans cette chambre, dans la tête de cette petite fille. Il en devenait tout triste lui-même.
- Tu reçois des visites?
- Beaucoup. Le matin, avant le petit déjeuner, je vois la soeur-thermomètre. Et puis le docteur Mauxdivers vient; il est très gentil, il me parle très doucement et il me donne un berlingot. A l'heure du déjeuner, c'est le tour de la soeur-pilules; puis avec mon goûter, je vois entrer la soeur-aux-piqûres-qui-font-mal. Et après vient un monsieur en blanc qui prétend que mes jambes vont mieux. Il les attache avec des ficelles pour les faire bouger. Tous, ils disent que je vais guérir. Mais moi je regarde le plafond; lui, au moins, il ne me raconte pas de mensonges.
Tandis qu'elle parlait, Tistou s'était levé et s'affairait autour du lit.
"Pour que cette petite fille guérisse, il faut qu'elle ait envie de voir un lendemain, c'est clair, songeait-il. Une fleur, avec sa manière de se déplier, de ménager des surprises, pourrait sûrement l'aider. Une fleur qui pousse, c'est une vraie devinette, qui recommence tous les matins. Un jour elle entrouvre un bouton, le jour d'après elle défroisse une feuille verte comme une petite grenouille, et puis après elle déroule un pétale... A attendre chaque jour la surprise, cette petite fille oubliera peut-être sa maladie...
Les pouces de Tistou ne chômaient pas.
- Moi, je crois que tu vas guérir, dit-il.
- Toi aussi tu le crois?
- Oui, oui, je t'assure. Au revoir.
- Au revoir, répondit la petite fille malade. Tu as bien de la chance d'avoir un jardin.
Le docteur Mauxdivers attendait Tistou derrière son grand bureau nickelé, encombré de gros livres.
- Alors, Tistou, demanda-t-il, qu'as-tu appris aujourd'hui? que sais-tu de la médecine?
- J'ai appris, répondit Tistou, que la médecine ne peut pas grand-chose contre un coeur triste. J'ai appris que pour guérir il faut avoir envie de vivre. Docteur, est-ce qu'il n'y a pas de pilules pour donner de l'espoir?
Le docteur Mauxdivers fut étonné de trouver tant de sagesse chez un si petit garçon.
- Tu as appris tout seul, dit-il, la première chose que doit savoir un médecin.
- Et la seconde, docteur?
- C'est que pour bien soigner les hommes, il faut les aimer beaucoup.
Il donna toute une poignée de berlingots à Tistou et mit une bonne note sur son carnet.
Mais le docteur Mauxdivers fut encore bien plus étonné le lendemain, lorsqu'il entra dans la chambre le la petite fille.
Celle-ce souriait; elle s'était réveillée en plein champ.
Des narcisses poussaient autour de la table de nuit; la couverture était devenue un édredon de pervenches; de la folle avoine moussait sur la carpette. Et puis la fleur, la fleur à laquelle Tistou avait donné tous ses soins, une rose merveilleuse, qui ne cessait de se transformer, d'épanouir une feuille ou un bourgeon, la fleur montait à la tête du lit, le long de l'oreiller. La petite fille ne regardait plus le plafond; elle contemplait la fleur.
Le soir même, ses jambes commencèrent à remuer. La vie lui plaisait..."

Maurice DRUON - Tistou les Pouces Verts



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