Le Trochiscanthe nodiflore [TN]
n°996 (2025-43)
mardi
28 octobre 2025
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Correspondances
La Nature est un temple où de vivants
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![]() Au lever du jour... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 10 septembre 2025 ![]() 7h22 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 10 septembre 2025
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Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 10 septembre 2025
Potentille ansérine
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 10 septembre 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 10 septembre 2025
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 mercredi 10 septembre 2025 ![]()
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Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 13 septembre 2025
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Au lever du jour...
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 21 septembre 2025
![]() ![]() ![]() Le Souci Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 septembre 2025 ![]() ![]() Argus bleu mâle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 septembre 2025 Ce petit papillon est
dit "myrmécophile" : ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Devant la loge... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 samedi 27 septembre 2025 ![]() ![]() Au lever du jour... Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]() ![]() 7h39 Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]()
![]() ![]() ![]() ![]() Rougequeue noir femelle Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]() ![]() ![]()
![]() ![]() ![]() Potentille ansérine Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]() Succise Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]() ![]() Hélianthème nummulaire Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]()
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]() ![]() ![]() Azuré - Collier de corail (?) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]() Souci Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]() ![]() Hélianthème (en contre-jour) Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 ![]() La loge
Courvières (Haut-Doubs), loge n° 5 dimanche 28 septembre 2025 |
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"Ina Aroita descendit à la plage un samedi matin en quête de jolis matériaux. Elle emmena avec elle Hariti, sa fille de sept ans. Elles laissèrent à la maison Afa et Rafi, qui jouaient à même le sol avec des robots transformables. La plage n’était pas loin à pied de leur bungalow voisin du hameau de Moumu, sur la petite colline coincée entre falaises et mer de la côte est de l’île de Makatea, dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, aussi loin de tout continent qu’une terre habitable pouvait l’être – une poignée de confettis verts, comme les Français qualifiaient ces atolls, perdus dans un champ de bleu sans fin. Née à Honolulu d’un père hawaïen sous-officier et d’une mère tahitienne hôtesse de l’air, élevée dans des bases navales à Guam et à Samoa, formée dans une gigantesque université du Middle West américain, Ina Aroita avait travaillé pendant des années comme femme de ménage dans un grand hôtel de Papeete avant de parcourir cent trente milles nautiques jusqu’à Makatea pour y jardiner, y pêcher, tisser et tricoter un peu, élever deux enfants et tenter de se rappeler pourquoi elle vivait. C’est à Makatea que Rafi Young avait fini par la rattraper. Et c’est sur cette île qu’ils s’étaient mariés et qu’ils avaient entrepris de mener une vie de famille, loin de la tristesse croissante du monde réel. Quatre ans sur Makatea avaient convaincu Ina Aroita qu’elle ne vivait que pour goûter la présence de son lunatique mari et de leurs deux enfants, Afa, son enfant-crabe, et Hariti, sa timide danseuse. Elle faisait pousser des choses : des ignames, du taro, de l’arbre à pain, du châtaignier, de l’aubergine, de l’avocat. Elle fabriquait des choses : des sculptures en coquillages, des paniers de pandan, des cailloux peints de mandalas. De temps à autre, un des rares touristes venus en voilier visiter les légendaires ruines de Makatea ou en escalader les spectaculaires falaises achetait un objet ou deux. Ina Aroita confectionnait ses assemblages de glaneuse dans son jardin, transformant la frange de jungle derrière son cottage restauré en musée de plein air pour un public inexistant. Des vrilles d’Homalium et de Myrsine poussaient par-dessus ses œuvres et les recouvraient de vert, tout comme la jungle de l’île ensevelissait les carcasses de machinerie rouillée et les vestiges de voie ferrée remontant à l’époque des mines de phosphate. Ce samedi-là, mère et fille ratissèrent l’estran, en quête de fortune. Le butin était abondant : coquilles de palourdes et d’escargots, carapaces de crabes, jolis morceaux de corail et d’obsidienne polis par la houle implacable. Elles franchirent les rochers éclaboussés de sel pour atteindre l’endroit où se brisaient les vagues. Partout des trésors incroyables se dissimulaient à la vue de tous. Hariti trouva une pierre plate et bleue qui scintillait quand elle la mouillait. “Maman, c’est une pierre précieuse ?
La fillette conclut qu’elle avait le droit de rire. Elle fourra la pierre dans un sac filet pour la rapporter à la maison. Plus tard, elles décideraient ensemble quoi faire de toutes leurs trouvailles lisses, mouchetées, brillantes. Tout en glanant, Ina Aroita racontait à sa fille l’histoire de Ta’aroa. “Tu te rends compte ? Il a construit le monde avec les bouts de sa coquille d’œuf !” Ina avait appris cette légende de sa propre mère, à la paillote de Waikiki Beach, trois kilomètres en contrebas de Diamond Head, quand elle avait sept ans. Et à présent elle la transmettait à cette artiste de sept ans, aussi neuve qu’étrange, qui avait bien besoin de mythes d’audace créatrice. Le monde, dans toute sa profusion splendide et surprenante, était né de l’ennui et du vide. Tout commençait par l’attente et l’immobilité. L’histoire parfaite à raconter à une enfant si sombre et si anxieuse. Ina arrivait à son passage favori, celui où Ta’aroa mobilise l’aide de tous les artistes, quand Hariti laissa échapper un cri glaçant. Ina escalada les rochers en direction de sa fille, cherchant partout le danger. Avec Hariti, il y avait toujours un danger. Ses parents biologiques étaient morts juste au moment où elle atteignait l’âge de s’en souvenir, et elle n’avait jamais oublié que le monde était perpétuellement aux aguets pour tout vous arracher. Quel que puisse être le danger cette fois, Ina ne parvenait pas à le distinguer. Rien sur cette longue étendue de plage n’avait le pouvoir de leur faire du mal. Tout était calme à l’horizon, littéralement, tout au long du rivage incurvé et, par-delà les caps, jusqu’à la colonie fantôme de Teopoto à la pointe nord de l’île. Et pourtant la fille d’Ina, si impressionnable, restait figée sur place à gémir. La terreur s’étendait à deux pas des petits pieds nus de Hariti. Dans un petit creux du sable gisait le cadavre d’un oiseau. Les ailes molles et repliées, les pattes écartées, la tête pendante, vaincue : un albatros, mort depuis longtemps. Et mort avant d’être adulte, car l’envergure des ailes d’un albatros adulte aurait fait deux fois la taille d’Ina Aroita. N’empêche que cet oiseau s’étendait sur la plage, presque aussi grand que Hariti. Les parties tendres du corps s’étaient désintégrées en un contour doré sur le sable gris. Les restes pennés des ailes putréfiées ressemblaient à des feuilles de palmier séchées. Deux grands bâtons – les humérus de l’animal – saillaient des clavicules vides. La silhouette luttait encore pour se relever et s’envoler. Un bout de sternum et les fines bandes brunes de côtes friables recouvraient ce qui restait de l’abdomen. À l’intérieur de cette cage thoracique, invulnérables à la décomposition, nichaient deux poignées de morceaux de plastique. Hariti hurla de nouveau et
projeta du sable sur cette chose morte à grands coups de
pied. Elle fit un pas dégoûté vers la charogne, comme pour
en piétiner les restes, les réduire en poussière et les
mêler à la plage. Sa mère la tira en arrière, trop fort.
Mais le choc d’être brusquée et enserrée mit fin aux cris de
la fillette. “Il a mangé un truc qu’il n’aurait pas dû, répondit-elle en français.
Chaque réponse d’Ina rendait le monde plus terrifiant. La petite fille enfouit sa joue mouillée contre la cuisse nue de sa mère. “C’est flippant, maman. Fais-le partir.
L’idée séduisit la fillette, qui adorait à la fois les rituels et farfouiller dans le sable. Mais alors que Hariti commençait à jeter sur le cadavre des poignées de corail et de coquillages effrités, Ina Aroita l’interrompit de nouveau. Ina plongea la main dans la poitrine de l’oiseau pourrissant et en retira deux bouchons et un téton de bouteille, le tube noir d’un étui de pellicule photo qui devait avoir au moins quinze ans, un briquet jetable, plusieurs mètres de monofilament emmêlé, et un bouton en forme de pâquerette. Elle balança ce butin coloré dans leur sac résille, avec le reste de leur pêche miraculeuse. “Nous pouvons faire quelque chose avec ceux-ci”, dit-elle en français. Mais elle ne voyait vraiment pas quoi. Elles façonnèrent une tombe en forme de monticule rond et lisse. Hariti voulait la surmonter d’une croix, comme celles des deux cimetières de l’île. Alors elles en confectionnèrent une avec des branches d’hibiscus et la plantèrent dans le sable. Puis elles bordèrent le monticule de coquilles de limaces vertes et de petits cailloux jaunes. “Dis une prière, maman.” Ina hésita sur le choix de la langue. Cet oiseau égaré pouvait très bien être venu de l’Antarctique, via l’Australie ou le Chili. Il avait passé presque toute sa vie sur l’eau. Ina dit quelques mots en tahitien, parce que ni le français ni l’anglais ne lui semblaient appropriés, et qu’elle connaissait trop mal les diverses nuances de la langue des Tuamotu pour dire quoi que ce soit de pertinent. Un quart d’heure après cette brève cérémonie, la fille d’Ina gambadait de nouveau jusqu’aux vagues et dénichait de nouveaux joyaux, comme si la mort par ingestion de plastique n’était qu’un mythe indéchiffrable parmi tant d’autres, aussi mystérieux qu’un dieu niché dans un œuf tournoyant avant le commencement du monde..."
Richard POWERS - Un
jeu sans fin
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