Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°980 (2025-27)

mardi 8 juillet 2025

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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JS BACH - Cantate BWV 76
"Die Himmel erzählen die Ehre Gottes"

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ENIVREZ-VOUS

Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !

Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge ; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.

Charles BAUDELAIRE - Enivrez-vous



 
Au bord de l'étang,
Petits cygnes et canetons

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
fin-mai 2025



L'étang
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025



Canard colvert mâle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025

Foulque macroule à sa toilette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025




Canard colvert mâle à sa toilette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025

Canard colvert femelle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025



Couple au repos
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025

Cygne tuberculé et ses petits (6)
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025

Foulque à sa toilette
(la femelle avec les taches blanches sur la tête)

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025




Couple de Canard colvert
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025



Le mâle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025

La femelle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 17 mai 2025



L'étang
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 24 mai 2025



Les canetons...
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 24 mai 2025



Couple et ses canetons
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 24 mai 2025



Essai en "flou-filé"
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 24 mai 2025



Toilette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 24 mai 2025

Le mâle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 24 mai 2025

[à suivre...]

 


Suggestion de lecture :

"1

« Tu sais que je n’aime pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, dit le comte Falier à Brunetti. Mais, en l’occurrence, il m’est si proche que j’ai l’impression de n’avoir pas vraiment le choix. » Brunetti était assis en face de son beau-père, dans un de ces fauteuils défraîchis dont le palazzo Falier était plein. Il écouta le vieil homme un certain temps, bien conscient de la difficulté qu’avait ce dernier à lui raconter son histoire.

Le comte avait appelé Brunetti ce matin-là et lui avait demandé s’il avait le temps, en rentrant du travail, de passer prendre un verre chez lui, car il voulait lui poser quelques questions au sujet d’une affaire. Comme c’était une des premières journées de douceur printanière, la réaction immédiate de Brunetti fut d’envisager le chemin le plus simple pour aller de la questure au palais sans se faire engluer sur les sentiers suivis par les hordes migrantes de touristes, devenues désormais monnaie courante. Avec un ciel si clair et une température aussi agréable, remonter la riva degli Schiavoni serait impossible ; traverser la place Saint-Marc, une pure folie. En revanche, les vaporetti en provenance du Lido étaient généralement peu bondés ; il accepta l’invitation et, passant outre sa répugnance habituelle à prendre les transports en commun, il embarqua sur le no 1 pour Ca’ Rezzonico et arriva rapidement à destination.

« Je n’aime pas les ragots, insista le comte, en captant de nouveau l’attention de Brunetti. Je n’ai jamais aimé ça.

— Alors tu t’es trompé de ville, répliqua le commissaire avec un sourire affable, pour atténuer son coup de griffe, et tu devrais sûrement éviter de parler à des Vénitiens. »

Le comte lui répondit par un large sourire. « Le premier point n’est pas vrai, comme tu le sais. » Puis, avec un sourire encore plus chaleureux, il poursuivit : « Le second pourrait l’être, mais si c’est le cas, il est trop tard pour agir. J’ai été entouré de Vénitiens toute ma vie.

— L’un d’eux est-il à la source des bruits qui courent sur Gonzalo ? s’enquit Brunetti, intrigué que son beau-père veuille discuter des rumeurs circulant au sujet de son meilleur ami et curieux d’en savoir davantage.

— Oui. Et il est avocat. » S’attendant sans doute à ce que Brunetti lui demande qui c’était, le comte leva une main. « Peu importe qui me l’a dit. C’est l’histoire qui compte. »

Le commissaire ne pouvait être plus d’accord. Comme la plupart des Vénitiens, il avait l’habitude de nager au milieu du maelström des vraies et fausses informations qui emportait dans son sillage une grande partie de la vie quotidienne ; mais, contrairement à beaucoup d’entre eux, il y prenait peu de plaisir. Sa longue expérience en la matière lui avait montré combien ces vagues enchevêtrées de mots manquaient pour la plupart de fondement. Brunetti, le commissaire de police, avait entendu des récits scabreux à l’en faire rougir, et Brunetti, le lecteur, connaissait bien les plaisirs divers et variés de Tibère, décrits par Suétone. Toutefois, Brunetti le penseur savait combien les Vénitiens étaient enclins à exagérer les faits et gestes de personnes qu’ils n’avaient jamais rencontrées, combien ils étaient négligents sur les conséquences des commérages qu’ils colportaient allègrement, et à quel point ils manquaient viscéralement de fiabilité.

Certes, les actes des gens l’intéressaient, mais il ne leur accordait aucun crédit tant qu’il n’avait pas accumulé suffisamment de preuves. Ainsi, les propos parvenus aux oreilles de son beau-père demeuraient-ils à prouver, et n’étaient en rien une vérité à avaler toute crue pour le commissaire.

Alors que le comte cherchait ses mots, Brunetti se mit à penser à une décision que la famille évitait de prendre depuis des années : vendre la villa familiale près de Vittorio Veneto1, où le comte et la comtesse ne se rendaient jamais et où sa propre famille ne passait plus que rarement l’été. À force de tergiverser, l’eau avait commencé à s’infiltrer sous les fenêtres exposées au nord et le gardien avait annoncé qu’il voulait une augmentation de salaire substantielle.

Comme s’il avait lu dans les pensées de son gendre, le comte précisa : « Ce n’est pas de la villa que je veux te parler, même si Gonzalo me la rappelle parfois. »

Brunetti, surpris par cette association d’idées, répliqua : « Je ne savais pas que l’eau avait commencé à lui couler dessus. »

Le comte ignora la plaisanterie et explicita sa remarque : « Tu as connu Gonzalo et la villa pratiquement à la même époque, Guido ; tu as partagé de nombreux bons moments en leur compagnie, mais maintenant, tous deux accusent les effets du temps. »

L’ami de ses beaux-parents, Gonzalo Rodríguez de Tejeda, parrain de Paola et oncle d’adoption, avait fait partie de la famille Falier aussi loin que remontaient les souvenirs de Brunetti. Il était venu de Londres pour le dîner de leur dixième anniversaire de mariage et leur avait offert une poterie coufique du XIIe siècle, de la couleur jaune pâle du désert. Elle était de la taille d’un saladier et sur ses parois intérieures couraient des motifs ornementaux qui ressemblaient à une inscription coranique. Gonzalo avait eu la sagesse de la placer à l’intérieur d’une boîte en plexiglas accrochée au mur, de manière à lui épargner les risques encourus dans une maison avec des enfants en bas âge. Elle était toujours suspendue dans le salon, entre les deux fenêtres qui donnaient au loin sur le campanile de Saint-Marc.

Au cours des dernières années, Brunetti et Gonzalo s’étaient croisés de temps à autre dans la rue, dans un magasin ou un restaurant, et ils avaient toujours eu plaisir à papoter en buvant une ombra2 ou un café. Ils s’étaient rencontrés par hasard, quelques mois plus tôt, près du campo dei Santi Apostoli. En arrivant sur la place, Brunetti avait vu Gonzalo venir vers lui, une main levée en guise de salutation. Il avait noté que les cheveux du vieil homme étaient passés du gris acier à la blancheur de la neige, même s’il se tenait aussi droit qu’un sergent instructeur et que son regard était toujours d’un bleu perçant – une réminiscence, probablement, des envahisseurs nordiques de l’Espagne.

Ils s’étaient donné l’accolade, dit combien ils étaient ravis de se voir, et Gonzalo avait ajouté – dans un italien dépourvu de tout accent – qu’il était en retard à un rendez-vous et ne pouvait pas s’arrêter pour bavarder, mais qu’il transmettait son bonjour à Paola et aux enfants.

Il avait tapoté la joue du commissaire en un geste d’affection bien à lui, puis répété qu’il était pressé, avait pivoté et était parti au pas de course en direction des Fondamente Nuove et du palazzo où il habitait. Brunetti n’avait pas bougé d’un pouce en le regardant s’éloigner, content de cette rencontre, comme à chaque fois. Il avait repris sa route puis, sans raison particulière, s’était arrêté et retourné pour suivre des yeux son ami en train de se frayer un chemin dans la foule. Alors qu’il s’attendait à le voir marcher à vive allure, Brunetti découvrit une grande silhouette se déplaçant lentement, la tête penchée, un coude en angle droit et la main sur la hanche, comme pour apaiser une douleur cachée. Brunetti avait aussitôt détourné le regard, ayant le sentiment de l’avoir surpris en train d’accomplir un acte embarrassant qui devait rester secret.

Le commissaire sortit de sa rêverie et s’aperçut que le comte l’observait attentivement. « Quand l’as-tu vu pour la dernière fois ? demanda-t-il.

— Il y a deux mois, peut-être un peu plus. Nous nous sommes croisés aux Santi Apostoli, mais juste le temps de nous dire bonjour.

— Quelle impression t’a-t-il faite ?

— Égal à lui-même, je dirais », déclara Brunetti, pour éviter au vieil homme d’entendre qu’un de ses amis avait succombé aux attaques du temps qui les menaçaient tous deux.

Pour esquiver le regard du comte, Brunetti examina le portrait d’un jeune homme accroché sur le mur opposé et se sentit scruté à son tour. Vibrant de jeunesse, les muscles hurlant leur désir d’être libérés de l’immobilité exigée par la pose, il se tenait debout, la main gauche appuyée sur la hanche et l’autre sur le pommeau de son épée. Nul doute qu’il s’agissait d’un ancêtre de Paola, un parent éloigné du côté Falier, mort à la guerre ou des suites d’une maladie, ou encore de ses excès d’alcool, et laissant cette image derrière lui pour prouver qui il avait été à son époque.

Dans les traits du jeune homme, Brunetti crut reconnaître – mais peut-être était-ce l’effet de son imagination – ceux de Paola, même si les générations avaient émoussé les angles du visage de son épouse, où subsistait seulement – du moins dans ses accès de colère subite – cet œil de faucon à la recherche de sa proie.

« Avez-vous eu le temps de discuter ? »

Brunetti secoua la tête.

Le comte baissa les yeux sur ses mains pressées contre ses cuisses. Quel bel homme il est encore, songea le commissaire. Il profita de la distraction manifeste du comte pour le regarder de plus près et fut surpris de se rendre compte que son beau-père était devenu plus chétif depuis leur dernière rencontre. Ou plutôt depuis la dernière fois qu’il avait prêté attention à l’apparence du vieil homme. Même si ses épaules étaient plus étroites, la veste du comte les étreignait encore en douceur. Peut-être l’avait-il fait retoucher, mais Brunetti s’aperçut que le revers était à la mode de cette année, et donc qu’elle était neuve.

Le comte continua d’observer le dos de ses mains, comme si elles pouvaient lui procurer une réponse, puis il regarda Brunetti droit dans les yeux et lui lança : « Tu es toujours dans une position ambiguë, n’est-ce pas, Guido ? »

Est-ce une question, se demanda Brunetti, ou l’affirmation de son opinion ? Évoquait-il la différence de classe entre lui, le fils d’un homme d’humble extraction, dont la vie avait été une kyrielle d’échecs, et sa femme, la fille du comte Falier, future héritière d’une des plus grandes fortunes de la ville ? Ou peut-être entre ses responsabilités professionnelles et les hautes exigences que pouvaient lui dicter l’amitié et l’amour ? Ou bien était-ce sa situation de commissaire de police, marié au sein de la famille Falier, dont les affaires ne pouvaient souffrir aucun examen approfondi des autorités ?

Pour éviter de lui demander à quelle facette de sa vie il faisait allusion, Brunetti temporisa : « Je pense que beaucoup d’entre nous mènent des existences ambiguës. C’est nécessaire, dans le monde où nous vivons. »..."


Donna LEON - Quand un fils nous est donné


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