Mardi 23 octobre 2007
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Toiles, mésanges, ...

Lac de Saint Point
(Haut-Doubs)


Samedi 15 septembre 2007

Arantèle sur fond vert.

... sur fond gris.

Mésange nonnette dans un Saule marsault.

Moineau domestique mâle dans un Saule marsault.

Association d'arantèles.

2 Mésanges bleues dans un Saule (fragile?).

Mésange bleue.

Arantèle sur fond orange.



Un petit texte :

"Il fallut attendre que la neige eût commencé à fondre ; heureusement que l'hiver avait été très froid, mais sec, et le printemps s'annonça de bonne heure. Ce pâturage de Sasseneire est à deux mille trois cents mètres ; il est de beaucoup le plus élevé de ceux que possède la commune, c'est-à-dire trois, mais qui sont sur les côtés de la vallée, tandis que Sasseneire est dans le fond, sous le glacier. Il arrive qu'à ces hauteurs-là, il y ait encore au mois de juin, des deux, des trois pieds de neige dans les parties mal exposées. Le bénéfice de cette année fut pour Crittin que la couche blanche se trouva moins épaisse là-haut que d'ordinaire et fut ainsi plus vite usée par la bonne chaleur du soleil qui avait commencé à se faire sentir dès le mois de mars. On n'était pas encore au milieu de mai qu'ils purent monter, et étaient cinq, c'est-à-dire le Président, Crittin et son neveu, Compondu et le garde communal. Ils sont partis à quatre heures du matin avec leurs lanternes et des provisions, sans oublier une ou deux bottilles de muscat (qui sont de petits barils plats en mélèze, de la contenance d'un pot, ou un litre et demi). Ils avaient des souliers ferrés et des deux Crittin des jambières de cuir, les autres des guêtres de drap boutonnant sur le côté. On va d'abord à plat sur la rive gauche du torrent coulant dans un lit très encaissé, entre deux fortes marges de sable qui apparaissaient sitôt que l'eau commence à se faire rare, mais en cette saison les bancs de sable et les deux berges elles-mêmes avaient complétement disparu. On voyait vaguement le torrent hausser à plein au ras des prés son dos blanc, qui semblait bouger sur place. Le bon pays était ici avec son herbe déjà haute, pleine de fleurs ; ici, c'était encore le bon pays où le torrent était silencieux et tout tranquille dans les herbages, comme une bête en train de pâturer. Les hommes marchaient en deux groupes : le Président et Crittin plus devant. Le Président avait une lanterne ; le garde de commune avait une lanterne. On a commencé à monter. On s'éloignait peu à peu du torrent qu'on laissait descendre sur sa gauche comme à la corde, tandis qu'on montait soi-même sur la droite, parmi les bosses de terrain qui venaient en avant et se mettaient en travers de votre chemin, de sorte qu'il fallait redescendre, puis on recommençait à monter. On a passé devant une petite réunion de fenils qui vous ont regardé venir, se taisant pour vous regarder venir : après quoi, ils ont été se serrer les uns contre les autres, comme pour se dire des choses. On y voyait encore un peu ici, à cause des étoiles et à cause de l'assez grande largeur du ciel. Mais voilà que bientôt les bords de la vallée se sont rapprochés, en même temps qu'on a vu s'avancer à votre rencontre un espèce de nouvelle nuit plus noire, mise dans le bas de l'autre comme pour vous empêcher de passer. Le Président leva sa lanterne, qui était une lanterne à vitres carrées laissant sortir une bande de lumière sur son devant et sur chacun de ses côtés : on a vu chacune de ces bandes s'allonger : l'une frappant en face de vous la pente raide où les pierres ont eu une ombre, les deux autres faisant venir à droite et à gauche les troncs rouges des pins qui semblaient avoir été cassés à une faible hauteur au-dessous du sol par le vent. On a commencé à cheminer entre ces tronçons de colonnes comme dans un corridor de cave, qui était fait par la lanterne, que la lanterne creusait, que la lanterne perçait devant vous à mesure qu'on avançait ; puis la lanterne l'ôtait de devant vous, alors tout le noir vous croulait dessus. On était pris dedans, on l'avait qui vous pesait sur les épaules, on l'avait sur la tête, sur les cuisses, autour des mains, le long des bras, empêchant vos mouvements, vous entrant dans la bouche ; et on le mâchait, on le crachait, on le mâchait encore, on le recrachait, comme la terre de la forêt. On se débattait ainsi un moment, comme quand on a été enterré vif, puis la lumière de la lanterne vous ressuscitait à nouveau ; - pendant qu'ils allaient, les cinq hommes allaient, et de temps en temps une pierre qu'ils faisaient rouler descendait la pente qu'ils montaient eux-mêmes, mêlant son bruit au bruit de leurs souliers. Plusieurs fumaient ; mais, dans une nuit pareille, on a beau fumer, c'est comme si on ne fumait pas.
On a beau tirer tant qu'on veut sur le tuyau de sa pipe et amener à soi toute la quantité de fumée qu'on veut : faute d'être vue, elle est comme si elle n'existait pas. Ils avaient donc laissé peu à peu leurs pipes s'éteindre et ils les avaient fourrées dans leur poche ; ils avaient été sans pipe, ils faisaient seulement un peu de bruit avec les pieds ; puis l'un ou l'autre disait quelque chose, mais quand on ne peut pas les voir, les mots c'est comme la pipe, les mots eux non plus n'ont point de goût. Les hommes ont fini par ne plus rien dire du tout ; c'est ainsi qu'on a mieux entendu le torrent quand il est revenu avec son bruit, il a commencé à venir un peu, puis brusquement, à un contour, il a été là dans toute sa force. C'est qu'on était entré dans la gorge..."

C.F. Ramuz - La Grande Peur dans la Montagne


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