Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°686 (2019-37)

mardi 24 septembre 2019

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Alessandro Scarlati - Più non m'alleta e piace

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Moineau domestique et Hirondelle rustique

Courvières (Haut-Doubs)
juillet et août 2019



Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 14 juillet 2019




Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 14 juillet 2019
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Moineau domestique femelle
Courvières (Haut-Doubs)
mercredi 17 juillet 2019



Moineau domestique
mâle

Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 18 juillet 2019

Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 18 juillet 2019

Moineau domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs)
lundi 29 juillet 2019
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Moineau domestique femelle
Courvières (Haut-Doubs)
mercredi 31 juillet 2019
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Troupe d'Hirondelles
Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 23 août 2019

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Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 23 août 2019
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Jeunes Hirondelles rustiques
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 24 août 2019
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En attente...
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 24 août 2019

... de la bécquée !
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 24 août 2019

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 24 août 2019



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Courvières (Haut-Doubs)
samedi 24 août 2019


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Nourrissage, en plein vol !
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 24 août 2019

... ou posé !
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Zoom sur les parasites :

des "mouches Cratérines" - Crataerina pallida (ou une autre espèce ?)
Elles se développent dans les nids... et sucent le sang des jeunes oiseaux.
Cela peut poser problème si l'oiseau est affaibli !

Pour en savoir plus sur ces insectes
(qui parasitent aussi les Martinets) :

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ou

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Courvières (Haut-Doubs)
samedi 24 août 2019

Sur le toit du bâtiment agricole de mes voisins...
Courvières (Haut-Doubs)

vendredi 30 août 2019

Dans le poulailler...
Courvières (Haut-Doubs)

vendredi 30 août 2019
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Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 30 août 2019
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Avant le départ pour l'Afrique !
Courvières (Haut-Doubs)

vendredi 30 août 2019




Suggestion de lecture :

 CHAPITRE IV

L’HIRONDELLE ET LE MOINEAU

Un second problème nous est proposé par le Pélopée. Il fréquente nos demeures, il recherche la chaleur de nos foyers. Son nid de boue, sans consistance, perméable à l’eau, ravagé par une pluie, ruiné de fond en comble par une humidité de quelque persistance, rend indispensable un abri sec, nulle part meilleur que dans nos habitations. Son tempérament frileux exige en outre retraite chaude. Peut-être est-il un étranger non encore bien acclimaté, un émigrant des régions africaines, qui, venu du pays de la datte au pays de l’olive, trouve en ce dernier le soleil insuffisant et supplée le climat cher à sa race par le climat artificiel de l’âtre. Ainsi s’expliqueraient ses habitudes, si disparates avec celles des autres hyménoptères prédateurs, qui tous fuient le voisinage trop direct de l’homme.

Mais par quelles étapes a-t-il passé avant de devenir notre hôte ? Où logeait-il avant qu’il y eût des logis maçonnés par l’industrie humaine ; où mettait-il couver sa nichée de larves avant qu’il y eût des cheminées ? Lorsque, sur les collines voisines, où les traces de leur séjour abondent, les antiques Canaques de Sérignan taillaient le silex pour arme, raclaient la peau de bique pour vêtement et dressaient pour demeure la hutte de branchages et de boue, le Pélopée déjà fréquentait-il leur wigwam ? Construisait-il dans les profondeurs de quelque pot ventru, en terre noire, à demi cuite, façonnée sous le pouce, initiant par tel choix sa descendance à rechercher aujourd’hui la gourde du paysan sur la cheminée ? S’avisait-il de bâtir dans le pli des nippes, dépouilles de loups et d’ours, appendues à quelque andouiller de cerf, le porte-manteau de l’époque, s’essayant ainsi dans une prise de possession qui doit aboutir plus tard aux rideaux de la fenêtre, à la blouse du laboureur ? Préférait-il pour son nid l’appui de la paroi en branches entrelacées et glaise, vers l’orifice conique qui donnait issue à la fumée du foyer, disposé au centre de la hutte entre quatre pierres ? Sans valoir nos cheminées actuelles, c’était suffisant à la rigueur.

De ces misérables débuts aux emplacements d’aujourd’hui, quels progrès pour le Pélopée, si réellement, dans ma région, il est contemporain des primitifs Canaques ! À lui aussi la civilisation a largement profité : du bien-être croissant de l’homme il a su faire le sien. La demeure avec toiture, solives et plafond imaginée, l’âtre avec faces latérales et canal inventé, le frileux s’est dit : « Comme il fait bon ici ! Dressons-y notre tente. » Et, malgré la nouveauté des lieux, il s’est empressé d’en prendre possession.

Remontons plus loin encore. Avant la hutte, avant l’abri sous roche, avant l’homme, le dernier venu sur la scène du monde, où bâtissait donc le Pélopée ? La question n’est pas dépourvue d’intérêt, nous ne tarderons pas à nous en apercevoir. Et puis, elle n’est pas isolée. Où nidifiaient l’hirondelle de fenêtre et l’hirondelle de cheminée avant qu’il y eût des fenêtres et des cheminées ? Quel réduit pour sa famille choisissait le moineau avant qu’il y eût des toitures avec leurs tuiles et des murailles avec leurs trous ?

Sicut passer solitarius in tecto, dit déjà le Psalmiste. Du temps du roi David, le moineau piaillait tristement sous la tuile du toit aux ardeurs de l’été comme il le fait de nos jours. Les constructions d’alors différaient peu des nôtres, du moins pour les commodités du moineau ; et l’abri sous la tuile était depuis longtemps adopté. Mais lorsque la Palestine n’avait que la tente en poil de chameau, où donc le passereau faisait-il élection de domicile ? 

Quand Virgile nous parle du bon Évandre qui, précédé de sa garde, deux molosses, se rend auprès d’Énée, son hôte, il nous le montre matinalement éveillé par le chant des oiseaux :

 

Evandrum ex humili tecto lux suscitat alma

Et matutini voluerum sub culmine cantus.

 

Quels pouvaient être ces oiseaux qui, dès la première aube, gazouillaient sous le toit du vieux roi du Latium ? Je n’en vois que deux : l’hirondelle et le moineau, l’un et l’autre réveille-matin de mon ermitage, aussi ponctuels qu’aux temps saturniens. Le palais d’Évandre n’avait rien de princier. Le poète ne le cache pas ; c’était pauvre demeure : humili tecto, dit-il. D’ailleurs, le mobilier nous renseigne sur l’édifice. On donne pour couchette à l’hôte illustre une peau d’ourse et un tas de feuilles :

 

……                  Stratisque locavit

Effultum foliis et pelle Libystidis ursae.

 

Le Louvre d’Évandre était donc une case un peu plus grande que les autres, peut-être en troncs d’arbre superposés, peut-être en blocs non équarris, employés tels quels, peut-être en torchis de roseaux et de glaise. À ce rustique palais convenait un couvert de chaume. Si primitive que fût l’habitation, l’hirondelle et le moineau étaient là, du moins le poète l’affirme. Mais où se tenaient-ils avant de trouver un gîte dans la demeure humaine ?

L’industrie du moineau, de l’hirondelle, du Pélopée et de tant d’autres ne peut être subordonnée à celle de l’homme ; chacun doit posséder un art primordial de bâtir, qui du mieux utilise l’emplacement disponible. Si de meilleures conditions se présentent, on en profite ; si ces conditions manquent, on revient aux antiques usages, dont la pratique, plus exigeante quelquefois en travail, est du moins toujours possible. 

Le moineau nous dira le premier où en était son art de nidification lorsque manquaient les logements de la muraille et de la toiture. Le creux d’un arbre, à l’abri des indiscrets par son élévation, avec embouchure étroite garantie de la pluie et cavité suffisamment spacieuse, est pour lui demeure excellente qu’il accepte volontiers, même quand abondent dans les alentours les vieux murs et les toitures. Le moindre dénicheur dans mon village est au courant de l’affaire, et il en abuse. L’arbre creux, voilà donc un premier logis employé par le moineau, bien avant d’utiliser la case d’Évandre et la forteresse de David sur le rocher de Sion.

Il a mieux encore dans ses ressources architectoniques. À son informe matelas, amoncellement sans cohérence de plumes, de duvet, de bourre, de paille et autres matériaux disparates, semblerait indispensable un appui fixe, largement étalé. Le passereau se rit de la difficulté, et de temps à autre, pour des motifs dont je n’ai pas le secret, il conçoit un plan audacieux : il se propose un nid n’ayant d’autre appui que trois ou quatre menus rameaux au sommet d’un arbre. L’inhabile matelassier veut obtenir la suspension aérienne, la demeure oscillante, apanage des ourdisseurs, vanniers, tisseurs, versés à fond dans l’art de l’entrelacement. Il y parvient.

Dans l’enfourchure de quelques rameaux, il amasse tout ce que les abords d’une maison peuvent lui présenter d’acceptable pour son travail : menus chiffons, fragments de papier, bouts de fil, flocons de laine, brins de paille et de foin, feuilles sèches de graminées, filasse abandonnée par la quenouille, lanières d’écorce rouies par un long séjour à l’air ; et de ses récoltes variées, gauchement enchevêtrées l’une dans l’autre, il parvient à faire une grosse boule creuse avec étroite ouverture sur le flanc. C’est volumineux à l’excès, l’épaisseur du dôme devant suffire à protéger de la pluie, que n’arrêtera plus l’abri de la tuile ; c’est très grossièrement agencé, sans art aucun, mais enfin c’est assez solide pour tenir bon une saison. Ainsi devait travailler au début le moineau si l’arbre creux manquait. Aujourd’hui l’art primitif, trop coûteux en matériaux et en temps, est rarement pratiqué.

Deux grands platanes ombragent ma demeure ; leurs branches atteignent le toit, où toute la belle saison se succèdent des générations de moineaux, trop nombreuses pour mes semis de pois et mes cerises. Leur vaste fouillis de verdure est la première étape à la sortie des nids. Là s’assemblent et longuement piaillent les jeunes, avant de prendre l’essor pour la picorée ; là stationnent les escouades des repus à leur retour des champs. Les adultes s’y donnent rendez-vous pour surveiller la famille récemment émancipée, admonester les imprudents, encourager les timides ; là se vident les querelles de ménage ; là se discutent les événements du jour. Du matin au soir, c’est un continuel va-et-vient de la toiture aux platanes et des platanes à la toiture. Eh bien, malgré cette assidue fréquentation, je n’ai vu qu’une fois, en une douzaine d’années, le moineau nidifier dans la ramée. Le couple qui se décida pour le nid aérien sur l’un des platanes ne fut pas très satisfait, paraît-il, des résultats obtenus, car il ne recommença pas l’année suivante. Nul depuis n’a remis une seconde fois sous mes yeux un gros nid en boule balancé par le vent à l’extrémité d’une branche. L’abri fixe et moins coûteux de la tuile est préféré. 

Nous voilà suffisamment renseignés sur l’art primordial du moineau. Que nous apprendront à leur tour les hirondelles ? Deux espèces fréquentent nos demeures : l’hirondelle de fenêtre (Hirundo urbica) et l’hirondelle de cheminée (Hirundo rustica), l’une et l’autre fort mal dénommées, tant dans la langue savante que dans la langue vulgaire. Ces qualificatifs d’urbica et de rustica, qui font de la première une citadine et de la seconde une villageoise, peuvent s’appliquer aux deux indifféremment, le séjour tantôt à la ville et tantôt au village leur étant commun. Les déterminatifs de fenêtre et de cheminée ont une précision que les faits rarement confirment et très souvent contredisent. Pour la clarté, condition souveraine de toute prose acceptable, et pour ne pas sortir des mœurs propres aux deux espèces dans ma région, j’appellerai la première Hirondelle de muraille, et la seconde Hirondelle domestique. La forme du nid est le trait différentiel le plus frappant. L’hirondelle de muraille donne au sien la configuration en boule, avec huis rond, tout juste suffisant pour le passage de l’oiseau. L’hirondelle domestique façonne le sien en coupe largement ouverte.

Pour emplacement de sa construction, l’hirondelle de muraille, bien moins familière que l’autre, ne choisit jamais l’intérieur de nos demeures. Il lui faut le dehors, l’appui élevé, loin des indiscrets ; mais un abri contre la pluie lui est en même temps indispensable, car son nid de boue craint l’humide presque autant que celui du Pélopée. Elle s’établit donc de préférence sous le rebord des toits et sous les corniches des édifices. Chaque printemps, j’ai sa visite. La maison lui plaît. Le bord de la toiture s’avance en un encorbellement de quelques rangées de briques comme on les emploie ici pour le couvert des habitations, c’est-à-dire courbées en demi-cylindre. De là résulte une longue série de niches demi-circulaires, abritées de la pluie par les rangées supérieures et bien exposées à la chaleur sur la façade méridionale. Au milieu de tous ces réduits, si hygiéniques, si bien défendus et d’ailleurs conformes au plan du nid, l’oiseau n’a que l’embarras du choix. Il y a place pour tous, si nombreuse que devienne un jour la colonie.

En dehors des emplacements de ce genre, je n’en vois pas d’autres agréés de l’hirondelle dans le village, si ce n’est le dessous de quelques corniches de l’église, la seule construction ayant tournure de monument. En somme, l’appui d’un mur, en plein air, avec abri contre la pluie, c’est tout ce que l’hirondelle demande à nos maçonneries. 

Mais le rocher vertical est la muraille naturelle. S’il s’y trouve des saillies qui surplombent et forment auvent, l’oiseau doit les adopter comme l’équivalent du rebord de nos toitures. Les ornithologistes savent, en effet, que dans les régions montagneuses, loin des habitations, l’hirondelle de muraille bâtit contre les parois verticales des rochers, à la condition que sa boule de terre soit au sec sous un abri.

Dans mon voisinage se dressent les montagnes de Gigondas, la plus curieuse construction géologique qu’il m’ait été donné de voir. Leur longue chaîne est à déclivité si rapide que la station verticale est à peine possible vers le haut ; l’ascension de la partie accessible doit s’achever en rampant. On se trouve alors au pied d’une falaise à pic, énorme table de roche vive qui, pareille à quelque rempart de Titans, surmonte d’une crête dentelée le dos abrupt. Les gens du pays appellent cette cyclopéenne muraille les Dentelles. J’herborisais un jour à sa base, quand mes regards furent attirés par les évolutions d’un essaim d’oiseaux devant la sauvage façade. Aisément je reconnus l’hirondelle de muraille : son vol silencieux, son ventre blanc, son nid en boule appliqué contre le roc, me renseignaient assez. À mon tour, j’apprenais là, en dehors des livres, que cette espèce accole ses nids aux rochers verticaux lorsque lui manquent les corniches de nos édifices et le rebord de nos toitures. Ainsi devait-elle nidifier dans les temps antérieurs à nos maçonneries.

Le problème est autrement épineux pour la seconde espèce. Beaucoup plus confiante dans notre hospitalité, et peut-être aussi plus frileuse, l’hirondelle domestique s’établit autant que possible à l’intérieur de nos demeures. L’embrasure d’une fenêtre, le dessous d’un balcon, à la rigueur lui suffisent ; mais elle leur préfère le hangar, le grenier, l’écurie, la chambre déserte. Cohabiter avec l’homme, dans le même appartement, est entreprise non au-dessus de sa familiarité. Aussi peu craintive que le Pélopée pour prendre possession des lieux, elle s’installe dans la cuisine de la ferme, elle maçonne sur la solive enfumée du paysan ; plus aventureuse même que l’insecte potier, elle fait siens le salon, le cabinet, la chambre à coucher et toute pièce de tenue correcte qui lui laisse la liberté d’aller et de venir. 

Chaque printemps, j’ai à me défendre contre ses audacieuses usurpations. Volontiers je lui cède le hangar, le porche de la cave, le réduit du chien, le bûcher et autres dépendances de l’habitation. Cela ne suffit pas à ses vues ambitieuses : il lui faut mon cabinet de travail. Une fois elle veut s’établir sur la tringle des rideaux, une autre fois sur le bord même de la croisée ouverte. Vainement je cherche à lui faire comprendre, en abattant les fondations de son édifice à mesure qu’elle les dresse, combien serait dangereux pour son nid le soutien mobile d’une croisée, qui doit se fermer de temps en temps, au risque d’écraser la maison et la couvée ; combien seraient désagréables pour mes rideaux la besogne boueuse et plus tard les fientes des oisillons : je ne parviens pas à la persuader ; et pour couper court à l’entreprise obstinée, je suis obligé de tenir les fenêtres closes. Si je les ouvre de trop bonne heure, elle revient avec sa becquée de terre pour recommencer.

Instruit par l’expérience, je sais ce que me coûterait une hospitalité réclamée avec tant d’insistance. Si je laissais ouvert sur la table quelque livre précieux, si je laissais étalé quelque dessin de champignon, travail de ma matinée et tout frais encore du pinceau, elle ne manquerait pas d’y laisser choir, en passant, son cachet de boue, son parafe stercoral. Ces petites misères m’ont rendu soupçonneux, et je tiens bon contre l’importune visiteuse.

Une seule fois, je me suis laissé séduire. Le nid était placé dans l’angle du mur et du plafond, sur quelques moulures de plâtre. En dessous se trouvait une console de marbre, dépôt habituel des livres que j’avais à consulter. En prévision des événements, je déménageai la bibliothèque succursale. Tout alla bien à peu près jusqu’à l’éclosion ; mais aussitôt les oisillons présents, les choses changèrent d’aspect. Avec leur estomac insatiable, où les aliments ne font que passer, aussitôt digérés, fondus, les six nouveau-nés devenaient intolérables. De minute en minute, flac ! flac ! le guano pleuvait sur la console. Ah ! si mes pauvres livres avaient été là ! Malgré mes coups de balai, le fumet ammoniacal emplissait mon cabinet. Et puis, quelle servitude ! L’appartement se fermait la nuit. Le père couchait dehors ; la mère en fit autant quand la couvée fut grandelette. Alors, dès la première aube, ils étaient aux fenêtres, se désolant devant la barricade de verre. Pour ouvrir aux affligés, il fallait me lever à la hâte, la paupière encore lourde de sommeil. Non, je ne me laisserai plus tenter ; je ne permettrai plus à l’hirondelle de s’établir dans une pièce qui doit être fermée la nuit, et encore moins dans la pièce où je raconte les mésaventures que m’a values ma trop bénévole complaisance. 

On le voit : l’hirondelle à nid en demi-coupe mérite excellemment la qualification de domestique, en ce sens qu’elle a pour demeure l’intérieur de nos maisons. Sous ce rapport, elle est parmi les oiseaux ce que le Pélopée est parmi les insectes. Ici se représente la question du moineau et de l’hirondelle de muraille : où logeait-elle avant qu’il y eût des maisons ? Pour mon compte, je ne l’ai jamais vue nidifier ailleurs qu’à l’abri de nos habitations ; et les auteurs que je consulte ne paraissent pas en savoir plus long sur ce sujet. Aucun ne dit mot du manoir adopté par l’oiseau en dehors des refuges fournis par l’industrie humaine. La longue fréquentation de notre société et le bien-être qu’elle y trouve lui auraient-ils désappris à fond les us primitifs de sa race ? 

J’ai de la peine à le croire : l’animal n’est pas oublieux à ce point des mœurs antiques lorsqu’il est nécessaire de se les remémorer. Quelque part, de nos jours, l’hirondelle travaille encore en dehors de notre dépendance comme elle le faisait au début. Si l’observation se tait sur le gîte choisi, l’analogie supplée à ce silence avec toute la probabilité désirable. En somme, pour l’hirondelle domestique, que représentent nos maisons ? Des refuges contre les intempéries, contre la pluie surtout, si pernicieuse à la conque de boue. Les grottes naturelles, les cavernes, les anfractuosités des éboulements rocheux, sont autant de refuges, moins hygiéniques peut-être, mais enfin très acceptables. À n’en pas douter, c’est là que l’hirondelle maçonnait son nid quand lui manquait la demeure humaine. L’homme contemporain du mammouth et du renne est venu partager avec elle le logement sous roche. Entre les deux, l’intimité s’est établie. Puis, de progrès en progrès, à la caverne a succédé la hutte, à la hutte la case, à la case la maison ; et l’oiseau, laissant le moins bon pour le meilleur, a suivi l’homme dans sa demeure perfectionnée.

Terminons la cette digression sur les mœurs des oiseaux pour appliquer au Pélopée les documents recueillis en route. Chaque espèce exerçant son industrie dans nos habitations a dû d’abord, et doit encore, disons-nous, l’exercer dans des conditions où l’œuvre de l’homme est étrangère. L’hirondelle de muraille et le moineau viennent de nous en fournir des preuves qui ne laissent rien à désirer ; plus réservée dans ses secrets, l’hirondelle domestique ne nous a livré que des probabilités, bien voisines, d’ailleurs, de la certitude. Presque aussi tenace que cette dernière dans son refus de divulguer les antiques usages, le Pélopée est longtemps resté pour moi problème insoluble sous le rapport du domicile primordial. Où se tenait donc, loin de l’homme, le passionné colon de nos cheminées ? Trente années et plus se sont écoulées depuis que j’ai fait sa connaissance, et son histoire se terminait toujours par un point d’interrogation. En dehors de nos demeures, aucune trace de nid de Pélopée. Cependant j’appliquais la méthode de l’analogie, qui donne réponse très probable à la question de l’hirondelle domestique ; je portais mes recherches dans les grottes, dans les abris sous roc à chaude exposition. Jamais de renseignements. Je poursuivais toujours mes inutiles investigations, quand le hasard, propice à ceux qui ne se lassent pas, est enfin venu me dédommager à trois reprises, et dans des conditions que je ne soupçonnais pas le moins du monde favorables.

Les antiques carrières de Sérignan sont riches en amoncellements de pierrailles, rebuts entassés là depuis des siècles. Ces amas sont le refuge du mulot, qui gruge, sur un matelas de foin, les amandes, les noyaux d’olives, les glands cueillis à la ronde, et varie ce régime farineux avec des escargots, dont les coquilles vides s’entassent sous quelque dalle. Divers hyménoptères, des Osmies, des Anthidies, des Odynères, choisissent dans le tas conchyliologique abandonné et bâtissent leurs loges dans la spirale de l’escargot à leur goût. La recherche de telles richesses me fait remuer tous les ans quelques mètres cubes de ces pierrailles. 

Trois fois, en semblable travail, j’ai fait rencontre de l’ouvrage du Pélopée. Deux nids étaient placés dans les profondeurs du tas, contre des moellons guère plus gros que les deux poings ; le troisième se trouvait fixé à la face inférieure d’une large pierre plate, formant voûte au-dessus du sol. En ces trois nids, soumis aux vicissitudes du dehors, rien de plus que l’habituelle structure à l’intérieur de nos maisons. Pour matière, la boue plastique, comme toujours ; pour défense, une écorce de la même boue ; et voilà tout. Les périls de l’emplacement n’avaient inspiré à l’architecte aucune amélioration ; l’édifice ne différait pas de ceux qui sont bâtis contre la paroi d’une cheminée. Un premier point est acquis : dans ma région, le Pélopée nidifie parfois, mais très rarement, dans les tas de pierres et sous les dalles naturelles qui ne touchent pas en plein le sol. Ainsi devait-il nidifier avant de devenir l’hôte de nos demeures et de nos foyers. 

Un second point est à débattre. Les trois nids rencontrés sous les pierres sont dans un piteux état. Imprégnés d’humidité, ils n’ont guère plus consistance que la flaque de boue exploitée pour leur construction. Ils sont ramollis au point de n’être plus maniables. Les loges sont éventrées ; les cocons, si reconnaissables à leur teinte, à leur translucidité de pellicule d’oignon, sont en pièces, sans vestiges des larves que je devrais y voir à l’époque de mes trouvailles, c’est-à-dire en hiver. Les trois masures ne sont pourtant pas de vieux nids ruinés par le temps après la sortie de l’insecte parfait, car les portes d’issue sont encore closes, exactement tamponnées. C’est latéralement, par des brèches anormales, que les loges bâillent. Jamais l’insecte, se libérant, ne commet ces violentes effractions. Ce sont bien des nids récents, des nids du précédent été. 

Leur délabrement a pour cause la situation non assez défendue. Dans les tas de pierres, la pluie pénètre ; sous l’abri d’une dalle, l’humidité sature l’air. S’il tombe un peu de neige, le mal s’aggrave encore. Ainsi se sont effrités, éboulés, les misérables nids, en laissant les cocons partiellement à nu. Non défendues par leur étui de terre, les larves sont devenues la proie du brigandage qui moissonne le faible. Quelque mulot passant par là peut-être a fait régal de ces tendres lardons. 

Devant ces ruines, un soupçon me vient. L’art primitif du Pélopée est-il bien praticable dans ma région ? En nidifiant ici dans les amas de pierres, l’insecte potier trouve-t-il, surtout pendant l’hiver, la sécurité nécessaire à sa famille ? C’est fort douteux. L’extrême rareté des nids dans de telles conditions dénote la répugnance de la mère pour ces emplacements, et l’état délabré de ceux que j’y trouve semble en affirmer le péril. Si le climat, trop peu clément, met le Pélopée dans l’impuissance de pratiquer avec succès l’industrie des ancêtres, ne serait-ce pas la preuve que l’insecte est un étranger, un colon venu d’un pays plus chaud, plus sec, où ne sont pas à redouter les pluies tenaces et surtout les neiges ?

Volontiers je me le figure comme originaire de l’Afrique. Dans le lointain des âges, il nous est venu par étapes à travers l’Espagne et l’Italie, et la région de l’olivier est à peu près la limite de son extension vers le nord. C’est un africain naturalisé provençal. En Afrique, en effet, il nidifie fréquemment, dit-on, sous les pierres, ce qui, je pense, ne doit pas lui faire dédaigner la demeure de l’homme, s’il y trouve tranquillité. Ses congénères de la Malaisie sont mentionnés comme fréquentant les habitations. Ils ont les mêmes mœurs que l’hôte de nos foyers ; ils partagent avec lui la singulière prédilection pour les tissus flottants, les rideaux des fenêtres. D’un bout à l’autre du monde, même goût pour les araignées, pour les cellules de boue, pour l’abri sous le toit de l’homme. Si j’étais en Malaisie, je retournerais les tas de pierres, et très probablement je recueillerais une ressemblance de plus : la nidification originelle sous quelque dalle."

Jean Henri Fabre - Souvenirs entomologiques



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