Mardi 12 août 2008
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Héron cendré adulte dans un pré
Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Mercredi 23 juillet 08

.

"Voyez-le venir du fond de l'anse, volant presque au ras des hautes herbes, avec cette lenteur des familiers qui ont tout le temps devant eux. Il donne l'impression d'être un rentier un peu dégingand, battant de grandes ailes
bringuebalantes, le cou replié en S,portant à l'extrémité de lui-même une lance de bois verni. A l'évidence
le Grand Héron sait où il va. Il a repéré depuis longtemps la mare où finalement il se pose en ramenant à la verticale les longues échasses qu'il traînait sous lui et qui lui servent, en vol, de gouvernail. Maintenant qu'il est debout, on voit tout de suite à qui l'on a affaire : à un archer patient, à un pêcheur placide, qui aime travailler seul. L'aigrette noire qui flotte sur sa nuque est l'empennage d'une flèche dont le bec est la pointe implacable. L'arc, c'est le cou allongé et mobile ; c'est aussi tout le corps de ce grand oiseau au plumage bleuté.
Est-ce bien d'un oiseau qu'il s'agit ? A le voir si tendu, si concentré, on songe plutôt à quelque artiste devant sa page vierge. Il a tout vu de ce qui se cachait dans cette eau peu profonde. L'air de regarder ailleurs, l'air d'être dans les nuages et de prendre plaisir à sentir ses plumes dans le vent, il a deviné ce qui se tapit entre les lignes.
Avec lenteur il relève la grande patte aux ongles jaunes, la replace devant lui sans rien brouiller, il fait un autre pas, s'arrête, bande le cou vers l'arrière, il dirige son poinçon vers le lieu exact de la cible. Il attend. Il est fait pour attendre. Son être tout entier - une maigreur de muscles sous une enveloppe de plumes lâches - est constitué pour cette formidable tension. Puis, le moment venu, d'une détente fulgurante du corps, il fond sur le premier mot chargé de vie."

Pierre MORENCY - Lumière des oiseaux.

 



Petit texte :

"Le gardeur de troupeaux

Jamais je n’ai gardé de troupeaux
mais c’est tout comme si j’en gardais
Mon âme est semblable à un pasteur,
elle connaît le vent et le soleil
et elle va la main dans la main avec les Saisons
suivant sa route et l’œil ouvert
Toute la paix d’une nature dépeuplée
auprès de moi vient s’asseoir
Mais je suis triste ainsi qu’un coucher de soleil
est triste selon notre imagination
quand le temps fraîchit au fond de la plaine
et que l’on sent la nuit entrer
comme un papillon par la fenêtre

Mais ma tristesse est apaisement
parce qu’elle est naturelle et juste
et c’est ce qu’il doit y avoir dans l’âme
lorsqu’elle pense qu’elle existe
et que des mains cueillent des fleurs à son insu

D’un simple bruit de sonnailles
par-delà le tournant du chemin
mes pensées tiennent leur contentement.
Mon seul regret est de les savoir contentes,
car si je ne le savais pas
au lieu d’être contentes et tristes,
elles seraient joyeuses et contentes

Penser dérange comme de marcher sous la pluie
lorsque s’enfle le vent et qu’il semble pleuvoir plus fort

Je n’ai ni ambition ni désirs.
Être poète n’est pas une ambition que j’ai,
c’est ma manière à moi d’être seul.

Et s’il m’advient parfois de désirer
par imagination pure, être un petit agneau
(ou encore le troupeau tout entier
pour m’éparpiller sur toute la pente
et me sentir mille choses heureuses à la fois)
c’est uniquement parce que j’éprouve ce que j’écris au
coucher du soleil,
ou lorsqu’un nuage passe la main par-dessus la lumière
et que l’herbe est parcourue des ondes du silence.

Lorsque je m’assieds pour écrire des vers,
ou bien, me promenant par les chemins et les sentiers,
lorsque j’écris des vers sur un papier immatériel,
je me sens une houlette à la main
et je vois ma propre silhouette
à la crête d’une colline,
regardant mon troupeau et voyant mes idées,
ou regardant mes idées et voyant mon troupeau
et souriant vaguement comme qui ne comprend ce qu’on dit
et veut faire mine de comprendre.

Je salue tous ceux qui d’aventure me liront,
leur tirant un grand coup de chapeau
lorsqu’ils me voient au seuil de ma maison
dès que la diligence apparaît à la crête de la colline
Je les salue et je leur souhaite du soleil,
et de la pluie, quand c’est de la pluie qu’il leur faut,
et que leurs maisons possèdent
auprès d’une fenêtre ouverte
un siège de prédilection
où ils puissent s’asseoir, lisant mes vers.
Et qu’en lisant mes vers, ils pensent
que je suis une chose naturelle-
par exemple, le vieil arbre
à l’ombre duquel, encore enfants
ils se laissaient choir, las de jouer,
en essuyant la sueur de leur front brûlant
avec la manche de leur tablier à rayures.
"

Le Gardeur de troupeaux d’ Alberto Caeiro*
*hétéronyme de Fernando Pessoa
.



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